Le Sénat a rejeté très largement mercredi soir un amendement controversé du gouvernement qui aurait permis de renégocier les tarifs de rachat de l'électricité produite par des parcs éoliens en mer.
L'amendement avait été présenté en dernière minute par le gouvernement dans le cadre de l'examen en première lecture au Sénat du projet de loi État au service d'une société de confiance, déjà adopté à l'Assemblée nationale. Il a été rejeté à main levée.
Son dépôt avait provoqué une levée de boucliers en Bretagne, Normandie et Pays-de-la-Loire, les trois régions où est prévue la construction de six de ces parcs.
Les présidents des trois régions ont demandé mercredi "une réunion d'urgence" au Premier ministre Édouard Philippe afin de lui exposer leurs "craintes sur les risques qui pèsent aujourd'hui quant à l'avenir de cette filière stratégique".
Pour le secrétaire d’État aux comptes publics Olivier Dussopt, cet amendement devait donner "une base légale à des renégociations avec les lauréats des appels d'offres sur les énergies marines renouvelables pour baisser les tarifs d'achat et permettre de retirer des autorisations administratives en indemnisant le lauréat".
Les tarifs des appels d'offres actuels sont trop élevés, a-t-il affirmé, "jusqu'à cinq fois supérieurs aux tarifs du marché". "Les éoliennes autorisées en 2011 et 2014 coûtent 41 milliards d'euros aux finances publiques sur vingt ans pour 3 gigawatts seulement", a-t-il ajouté.
"S'il est légitime de réexaminer l'équilibre économique de ces projets, cela ne peut se faire que par une négociation avec les lauréats", lui a répondu le rapporteur Jean-Claude Luche (UC, Ardèche).
Christophe Priou (LR, Loire-Atlantique) a estimé que l'adoption "repousserait fatalement le lancement des parcs off-shore, alors que les régions ont investi 600 millions d'euros dans les infrastructures portuaires pour maximiser les retombées économiques des projets lauréats".
"On ne peut pas faire confiance en un État qui change de pied", a lancé Bruno Retailleau (LR, Vendée). "Que penser d'un amendement très lourd qui s'exonère des études d'impact au moment où le Premier ministre demande un meilleur travail législatif?".
Les présidents des régions concernées ont pointé à la fois "l'absence de concertation tant avec les acteurs de la filière EMR (Énergies marines renouvelables, ndlr) qu'avec les collectivités territoriales concernées", mais aussi le "caractère rétroactif (...) de nature à amoindrir la confiance des investisseurs comme des industriels de la filière". Et de rappeler les investissements (plus de 600 millions d'euros) déjà réalisés par ces régions en matière d'infrastructures.
Des élus de tous bords se sont exprimés depuis plusieurs jours contre cet amendement, y voyant une menace sur l'avenir de l'éolien en mer.
- "Insécurité juridique"-
Côté entreprises impliquées dans ces projets, la grogne gronde aussi.
Dans une tribune adressée au Figaro, les acteurs de la filière (industriels, sous-traitants et futurs exploitants) alertent sur les risques de cet amendement et rappellent que les six projets déjà actés doivent permettre de créer "15.000 emplois industriels" principalement dans les trois régions concernées, avec la construction de plusieurs usines.
Pour France Énergie Éolienne (FEE), qui rassemble les professionnels de la filière, "l'amendement du gouvernement est problématique parce qu'il rompt le climat de confiance dans lequel on était, il fragilise les engagements de long terme qui étaient pris (...)", déclare à l'AFP Pauline Lebertre, déléguée générale de cette association.
"Ça crée une insécurité juridique pour les porteurs de projets et pour tous les investisseurs dans les projets EMR", fait remarquer Mme Lebertre. "On va amoindrir la transition énergétique de la France", a-t-elle ajouté.
"C'est un signal très négatif envoyé par le gouvernement", confirme Dominique Follut, vice-président du cluster d'entreprises Neopolia, en charge des EMR.
Six parcs éoliens sont concernés, actés en deux appels d'offres. Le premier, attribué en 2012, concerne les projets de Courseulles-sur-mer (Calvados), Fécamp (Seine-Maritime), Saint-Brieuc (Côtes d'Armor) et Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Le second, datant de 2014, porte sur les sites du Tréport (Seine-Maritime) et de Yeu/Noirmoutier (Vendée).
Ces différents parcs devraient entrer en service au mieux en 2021 ou 2022. La France accuse un net retard dans le domaine des EMR comparativement à l'Europe du nord.