Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice : « En tant que citoyen, je n’aime pas la transparence »
L’audition du garde des Sceaux par la commission des lois du Sénat a été marquée par une passe d’armes sur les remontées d’informations et un couac vite corrigé sur la réforme de la Constitution. Il entend défendre la présomption d’innocence, « devenue totalement évanescente », et le secret de l’instruction. Il compte faire « un travail avec les journalistes » sur ces sujets.

Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice : « En tant que citoyen, je n’aime pas la transparence »

L’audition du garde des Sceaux par la commission des lois du Sénat a été marquée par une passe d’armes sur les remontées d’informations et un couac vite corrigé sur la réforme de la Constitution. Il entend défendre la présomption d’innocence, « devenue totalement évanescente », et le secret de l’instruction. Il compte faire « un travail avec les journalistes » sur ces sujets.
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Eric Dupond-Moretti, nouveau ministre de la Justice, va apprendre à aimer le Sénat… ou pas. Après un baptême du feu aux questions d’actualité au gouvernement, ses premiers pas en séance mardi, le médiatique garde des Sceaux a été auditionné ce mercredi par la commission des lois du Sénat pour défendre son ambition d’une justice de proximité. Ou plutôt, est passé sur le grill des sénateurs. L’affiche avait de l’allure : face à lui, le président LR de la commission des lois, Philippe Bas, révélé au grand public par la commission d’enquête Benalla. Il manie le verbe tout aussi bien que lui et aime les joutes oratoires. Mais les styles diffèrent.

Si l’audition a commencé de façon convenue, les choses vont ensuite s'emballer quelque peu. Le ministre s’est même pris les pieds dans le tapis, en semblant annoncer une réunion du Congrès pour une réforme de la Constitution, avant de rétropédaler dans la même audition… (lire notre article sur le sujet).

« Un ministre est tenu à une forme d’obligation de réserve » mais « la pensée peut rester la même »

Une autre déclaration du garde des Sceaux sur la transparence devrait faire réagir, quand Patrick Kanner, président du groupe PS, l’interroge sur ses propos passés sur la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). « Vous auriez évoqué la Haute autorité comme étant une "espèce de truc populiste" » rappelle le sénateur PS du Nord.

Or sur le fond de sa pensée, Eric Dupont-Moretti n’en démord pas. « Sur la Haute autorité, j’ai dit en tant que citoyen un certain nombre de choses. Et en tant que citoyen, je n’aime pas la transparence, je n’aime pas la transperçance (sic). Mais pour vous rassurer, je remplirai toutes les obligations qui sont les miennes » lâche-t-il. Il ajoute : « La question (porte sur) l’esprit d’un citoyen. Il est aujourd’hui ministre. Il est tenu à une forme d’obligation de réserve. Il ne peut plus s’exprimer de la même façon. La pensée peut rester la même ».

Didier Migaud, nouveau président de la HATVP, devrait adorer…  « Le terme populiste est infamant », « la transparence, ce n’est pas du voyeurisme, c’est utile » avait réagi début juillet Didier Migaud (voir notre article). Pour rappel, en tant qu’avocat, Eric Dupont-Moretti a eu pour client Jérôme Cahuzac, dont l’affaire a engendré la création de la HATVP…

Eric Dupont-Moretti assure n’avoir « reçu strictement aucune information concernant la situation de Gérard Darmanin »

Un peu plus tôt, une passe d’armes entre Philippe Bas et Eric Dupond-Moretti au sujet des remontées d’information au garde des Sceaux a marqué l’audition. Un moment de tension en réponse à une question de la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie, qui lui a demandé de « clarifier » la question « de la remontée d’information dans les affaires individuelles ». Elle lui a rappelé au passage qu’il avait été l’avocat de Mohammed Merah, de Jérôme Cahuzac ou de Julian Assange. A-t-il prévu « un déport pour que les affaires (le) concernant ne (lui) remontent pas ? »

Pour Eric Dupont-Moretti, il n’y a pas lieu de changer. « Il est normal que le garde des Sceaux sache les affaires qui concernent l’Etat et son fonctionnement pour être informé » dit-il, faisant un parallèle avec « une commission d’enquête, c’est pour être informé sur une situation ». Piqué au vif, l’ancien président de la commission d’enquête Benalla réplique : « Je me permets de vous dire que les commissions d’enquête parlementaire n’interviennent jamais sur le champ d’enquête judiciaire », souligne Philippe Bas. C’était l’accusation de l’exécutif au moment des travaux sur l’affaire Benalla. Au passage, Eric Dupont-Moretti assure n’avoir « reçu strictement aucune information concernant la situation de Gérard Darmanin », dont la nomination à l’Intérieur fait polémique, en raison d’une enquête pour viol encore en cours d’instruction.

« La presse a beaucoup de droits, elle a aussi des devoirs »

Le ministre de la Justice entend aussi défendre la « présomption d’innocence, reléguée au rang d’accessoire. Tout le monde s’en moque ». Soulignant que « la presse a beaucoup de droits » mais « aussi des devoirs », il compte faire « un travail avec les journalistes, sur ces questions. (…) La présomption d’innocence est devenue totalement évanescente dans ce pays. C’est insupportable. Le secret de l’instruction, n’en parlons pas. Je ne sais même plus s’il existe encore ».

Sur un plateau de télé, il raconte avoir échangé avec des journalistes « d’un grand journal du soir », c’est-à-dire Le Monde, qui « disposaient de l’intégralité de l’enquête préliminaire sur l’affaire Fillon ». Il raconte son échange : « J’ai dit "vous avez obtenu ça de qui ?" On m’a dit "secret des sources". "Ah, secret des sources… d’accord". "Du PNF ?" "Non". J’ai suggéré que la femme de ménage avait piqué le dossier et l’avait remis aux journalistes. Il faut travailler là-dessus très sérieusement ». Après Didier Migaud, Eric Dupont-Moretti devrait se faire d’autres « amis ».

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