Reconfinement jour 1. Mais le Parlement est au travail. Le Sénat a adopté ce vendredi matin le projet de loi d’état d’urgence sanitaire, dans un contexte où les sénateurs n’ont de cesse de dénoncer la volonté de l’exécutif de mettre députés et sénateurs devant le fait accompli. Emmanuel Macron a décidé du couvre-feu, puis du retour du confinement, dans le huis clos du Conseil de défense. Les parlementaires n’ont d’autres choix que de débattre après coup et de valider les décisions présidentielles. Le présidentialisme de la Ve République s’en retrouve exacerbé, alors que le pouvoir se donne, justement, des pouvoirs exorbitants pour lutter contre l’épidémie de Covid-19.
Symbole de cette situation : jeudi, en fin de journée, pour le début de l’examen du texte, le ministre de la santé Olivier Véran est absent. Il a préféré être aux côtés du premier ministre pour sa conférence de presse sur les détails du confinement. La télévision, plutôt que la représentation nationale démocratique. Vendredi matin, même topo, le ministre est remplacé par le secrétaire d’Etat Adrien Taquet. « Le ministre de la Santé, décidément, ne veut pas venir traiter de ces sujets devant le Sénat… » a raillé la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie.
Situation attentatoire aux libertés publiques et individuelles
Les sénateurs sont nombreux à dénoncer une situation attentatoire aux libertés publiques et individuelles, imposée d’en haut (lire ici). Mais le Sénat a malgré tout adopté le texte, cadre législatif nécessaire à la mise en place du confinement dans la durée. La majorité sénatoriale de droite et du centre s’est voulue « responsable », en donnant cette possibilité à l’exécutif, explique le rapporteur, le sénateur LR Philippe Bas.
Les sénateurs ont cependant limité la durée de cet état d’urgence. Ils ont ramené au 31 janvier, contre le 16 février, sa date de fin. Le Sénat veut aussi imposer au gouvernement de repasser par la case Parlement, en cas de prolongation du confinement au-delà du 8 décembre (lire ici et voir la vidéo ci-dessous).
Confinement : Philippe Bas (LR) veut un vote en cas de prolongation au-delà du 8 décembre
En commission, les sénateurs ont supprimé l’article 2 qui intègre au texte le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire, qui donne énormément de pouvoirs d’exception au premier ministre, à l’exception de la mise en œuvre du confinement. La France était sous ce régime depuis le déconfinement. Il y a deux semaines, les sénateurs examinaient justement sa prolongation, quand l’exécutif a stoppé net son examen, quelques heures avant de décréter le retour de l’état d’urgence. En intégrant ce régime au projet de loi, le gouvernement veut ainsi se donner les mains libres jusqu’au 1er avril, sans repasser par un vote du Parlement, ce dont ne veulent pas les sénateurs.
Les sénateurs ont aussi largement limité le nombre d’ordonnances, autre moyen qui permet, là encore, de se passer du Parlement… Ils ont réduit de 70 à 30 le nombre d’habilitations à légiférer par ordonnance, tout en intégrant certaines au texte de loi.
Les sénateurs au secours du petit commerce pendant le confinement
Jeudi soir, les sénateurs sont venus au secours du petit commerce. Alors que le confinement commence, ils veulent permettre aux préfets de les rouvrir localement, si la situation sanitaire le permet. Les sénateurs ne comprennent pas que « les cordonniers, libraires et fleuristes » doivent fermer, « alors qu’en parallèle, les grandes surfaces continuent à vendre des livres et des fleurs ». Regardez le sénateur LR Philippe Mouiller sur le sujet :
Petits commerces fermés à cause du confinement : "L’enjeu se chiffre à plusieurs milliers d’emplois"
Les sénateurs ont aussi adopté, contre l’avis du gouvernement, un amendement socialiste visant à exonérer de frais bancaires les personnes les plus précaires (personnes éligibles au RSA ou « en situation de fragilité »), durant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire.
Autre amendement PS adopté, avec le soutien du gouvernement cette fois : permettre aux victimes de violences conjugales de ne pas être soumises au couvre-feu ou au confinement dans le même domicile que l’auteur des violences. Si l’éviction du conjoint violent ne peut être exécutée, un lieu d’hébergement permettant le respect de leur vie privée et familiale doit leur être attribué.
Les socialistes n’ont en revanche pas été suivis sur un amendement visant à augmenter de deux semaines, durant l’état d’urgence, les délais de recours à l’IVG. L’exécutif étudie par ailleurs, « la perspective d’étendre, de façon pérenne, le délai d’IVG, hors crise sanitaire » a rappelé Adrien Taquet.
Le groupe PS a aussi défendu en vain un amendement visant à empêcher, durant l’état d’urgence sanitaire, une OPA similaire à celle de Véolia sur Suez.
Mesures pour assurer l'organisation des régionales et départementales en mars 2021
Les sénateurs ont adopté, en fin d’examen, un amendement du sénateur LR Philippe Mouiller, permettant aux départements et régions de communiquer, durant l’état d’urgence, sur les aides qu’elles ont mises en place pour faire face à l’épidémie. Il s’agit ici d’une dérogation au droit électoral, qui prévoit que dans les six mois précédant un scrutin, aucune communication institutionnelle n’est autorisée. « Il ne faut pas confondre l’information et la propagande électorale » s’est étonnée la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, qui craint un avantage pour « les présidents sortants d’exécutifs locaux, qui pourront utiliser plus ou moins les moyens de leurs collectivités pour mener des opérations de communication électorale ».
Encore faut-il que les élections aient lieu. Mais le Sénat entend assurer la sécurité sanitaire des élections régionales et départementales de mars prochain, que l’exécutif est tenté de repousser, en raison de l’épidémie. L’ancien président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, s’est vu confier une mission sur le sujet. Philippe Bas s’est félicité au passage « de l’engagement du ministre, qui nous a indiqué que le gouvernement avait demandé au président Debré de remettre son rapport de mission d’ici trois semaines ».
Pour faciliter l’organisation du scrutin, malgré la crise sanitaire, le rapporteur a fait adopter en commission un amendement visant à faciliter les procurations, à « augmenter le nombre de bureaux de vote pour éviter une trop forte concentration des électeurs » et à « autoriser le vote par correspondance "papier" ». « Au-delà des élections régionales et départementales, renoncer à organiser des élections en raison de l’épidémie pourrait remettre en cause l’élection présidentielle de mai 2022 », glisse au passage le rapporteur dans l’exposé des motifs… Mais comme il l’a rappelé en séance, l’article 6 de la Constitution stipule que la présidentielle doit avoir lieu tous les cinq ans. Y déroger pour raison sanitaire impliquerait une réforme constitutionnelle…