L’échange avait rythmé une séance jusque-là sans surprise. Dimanche, à l’issue de quatre heures de débat en commission mixte paritaire (CMP), les sénateurs se prononçaient sur le projet de loi d’urgence. Vers la fin de la discussion générale, Philippe Bas, président de la commission mixte paritaire, interpelle Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement : « Monsieur le ministre, pouvez-vous vous engager au nom du gouvernement à nous informer du contenu de ces ordonnances avant qu'elles soient signées ? Et, dans le même esprit, informer mensuellement les assemblées des mesures qui ne relèvent pas de l'état d'urgence sanitaire, via les présidents des commissions concernées ? ». Réponse de Marc Fesneau : « Nous associerons le Parlement au travail mené, mais les délais des ordonnances seront parfois peu compatibles avec l'exigence d'une association du Parlement à leur élaboration. Nous ferons au mieux. En revanche, oui, les présidents des commissions concernées seront informés mensuellement des mesures prises : cela, je puis m'y engager. ». Ce dispositif d’ « information » du Parlement par le gouvernement est un dispositif familier des parlementaires.
Un dispositif similaire à celui mis en place après les attentats de 2015
« C’est un dispositif qui est très proche de celui mis en place après les attentats de 2015 » analyse Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas. « La loi d’urgence sanitaire crée un nouveau régime d’exception sur la base de l’état d’urgence issu de la loi de 1955. Cependant, les garde-fous sont moins importants que dans le cadre de la loi de 1955, qui prévoit, elle, un pouvoir d’investigation fort du Parlement. Comme en 2015, la loi d’urgence sanitaire autorise simplement le Parlement à demander des informations à l’exécutif ». Ce suivi de l’activité du gouvernement est-il suffisant pour éviter les dérives ? « Dans un contexte pareil, il faut laisser le gouvernement libre de ses actions. Nous sommes en guerre. Nous suivrons ses actions jour après jour, et nous ferons les comptes après » promet René-Paul Savary, sénateur LR de la Marne et rapporteur du texte d’urgence en commission mixte paritaire (CMP).
En 2015, à la suite des attentats et du déclenchement de l’état d’urgence, les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat s’étaient dotées de pouvoirs d’enquête. Elles recevaient des informations sur les mesures prises par l’exécutif, comme par exemple le nombre d’assignations à résidence signées par les préfets. Les présidents de ces commissions, Jean-Jacques Urvoas et Philippe Bas, avaient un accès facilité au cabinet du Premier ministre. Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ce dispositif va à nouveau être mis en place au Sénat.
Un « comité de suivi » de l’action du gouvernement
« Il faut que le parlement continue d’exercer ses fonctions de contrôle du gouvernement. C’est nécessaire de le faire quand ça va bien. Mais c’est encore plus nécessaire de le faire quand ça va mal », assure René-Paul Savary. Les discussions autour de la mise en place d’un « comité de suivi » de l’action gouvernementale ont, selon nos informations, déjà débuté.
Un comité de suivi sera mis en place sous l’impulsion de la commission des lois et de son président, Philippe Bas. En son sein, un représentant de chaque groupe politique pourra siéger. Le comité de suivi se réunira de manière régulière, et sera chargé d’examiner les mesures prises par le gouvernement dans les domaines « régaliens ». Les restrictions imposées aux libertés fondamentales, comme par exemple la liberté d’aller et venir, feront ainsi l’objet d’une attention particulière. Par ailleurs, l’état d’urgence sanitaire autorisant le gouvernement à prendre des mesures d’ « urgence économique » susceptibles d’empiéter sur le droit du travail, d’autres comités pourraient être mis en place à l’initiative des autres commissions du Sénat (Affaire économiques, Affaires Sociales, etc.).
Certains garde-fous sont aussi prévus par le régime de l’état d’urgence sanitaire. Philippe Bas a ainsi obtenu du gouvernement l’engagement que ce régime serait limité à un an. L’exécutif devra par ailleurs repasser devant le Parlement dans deux mois s’il souhaite proroger l’état d’urgence. Enfin, peu importe la couleur politique, les élus semblent s'accorder sur la nécessité, une fois la crise passée, d’une mise en place d'une commission d’enquête. Une idée qui fait son chemin tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.