Etat d’urgence parlementaire pour état d’urgence sanitaire. Le Sénat examine ce jeudi le « projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 », avant l’Assemblée nationale vendredi. Un examen express et dans des conditions drastiques : le texte est passé en commission des lois ce matin, avant d’être examiné en séance à partir de 15h15. Le projet de loi autorise le report du second tour des municipales, l’instauration d’un état d’urgence sanitaire et diverses mesures d’ordre économique et social (voir notre article pour plus de détais).
Dépôt des listes pour le second tour le 24 mars et non dans trois mois
Les sénateurs comptent bien modifier le texte sur un point : le report de trois du délai limite pour déposer les listes pour le second tour des municipales. LR, PS ou centristes s’y opposent en force. Ils craignent un risque de « tripatouillage » et de « manipulations » (voir notre article pour plus de détails).
Le rapporteur LR du texte, le président de la commission des lois Philippe Bas, a déposé un amendement fixant le délai limite « au mardi 24 mars », au lieu de trois mois. Il a été adopté par les sénateurs en commission.
Le président du groupe PS, Patrick Kanner, propose lui le « vendredi 3 avril ». Un report au mois de juin, comme le veut le gouvernement, « permettrait toutes les possibilités de tractations, d’enchères et de débauchages possibles, au mépris des suffrages exprimés par les électeurs dimanche 15 mars » dit Patrick Kanner dans son amendement.
Philippe Bas défend aussi une série d’amendements concernant l’intercommunalité ou l’organisation des conseils municipaux. Il propose ainsi de reporter la réunion d’installation des conseils communautaires, permettre l’élection du maire via une urne « ou par un dispositif de vote électronique », ou encore de « réduire de la moitié au tiers » le quorum applicable aux assemblées des collectivités territoriales.
Possibilité de prendre un couvre-feu
Concernant l’état d’urgence sanitaire, Philippe Bas entend « préciser et encadrer » les mesures. « Il appartient en effet au législateur d’assurer une conciliation équilibrée entre d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public, et, d’autre part, la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis » estime le rapporteur du texte, qui souhaite que seul le premier ministre puisse prendre le décret en la matière, et non le ministre de la Santé.
Mais selon les modifications apportées par Philippe Bas, et adoptées en commission, certaines précisions reviennent à possiblement durcir les mesures. Selon le sénateur de la Manche, il convient par exemple de « restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixées par décret ». Une formulation certes plus précise, mais qui permet de décider d’un couvre-feu. Le texte du gouvernement est plus flou, et évoque simplement « les mesures générales limitant la liberté d'aller et venir », ce qui peut cependant déjà permettre, s'il le décide, le couvre-feu. Mercredi, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, a assuré que « le couvre-feu n’était pas envisagé ».
En précisant toutes les mesures, le rapporteur LR formule une série d’interdictions. Philippe Bas souhaite ainsi pouvoir « interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements justifiés par des besoins familiaux, professionnels ou de santé impérieux », « ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine (…) des personnes susceptibles d’être affectées », « ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement (…) à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées », « limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ». On retrouve, comme dans le texte de l’exécutif, la possibilité de « réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre l’épidémie ».
L’amendement précise que les mesures de privation de liberté d’aller et venir et de réquisition « sont proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ».
Patrick Kanner a déposé, au nom du groupe socialiste, un amendement visant à limiter dans le temps les mesures exceptionnelles qui sont prises. Elles ne seraient valables que « jusqu’au 31 décembre 2020 ». Mais il a été rejeté par la commission.
Limiter à une semaine les congés payés pouvant être imposés par l’employeur
L’un des articles autorise l’employeur à imposer aux salariés, durant cette période exceptionnelle, ses congés payés. Un amendement du président LR de la commission des affaires sociales, Alain Milon, prévoit « de limiter à une semaine la durée des congés payés pouvant être imposés par l’employeur sans observer les délais de prévenance ».
Les sénateurs ne touchent pas en revanche à la possibilité de déroger aux règles de droit du travail sur « la durée du travail », le « repos hebdomadaire » et « dominical », pour les « entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale.
Amendement pour faciliter la collecte et le traitement de données de santé et de localisation
Un amendement, non adopté, et déposé par le sénateur LR Patrick Chaize et Bruno Retailleau, président du groupe LR, pourrait faire débat. Il stipule que « toute mesure visant à permettre la collecte et le traitement de données de santé et de localisation, est autorisée pendant une durée de six mois » pour les exploitants d'un service d'assainissement, de production ou de distribution, d'électricité ou de gaz, mais aussi pour les opérateurs des réseaux de communications électroniques.
« Cet amendement vise à faciliter les procédures imposées aux opérateurs dans la collecte et le traitement des données de santé et de localisation » précise les auteurs de l’amendement, afin de « faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19 et en particulier d’assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux ».
Renfort du pouvoir de contrôle de l’Assemblée et du Sénat
La commission a aussi adopté un autre amendement de Philippe Bas visant à « renforce les pouvoirs de contrôle de l’Assemblé nationale et du Sénat pour suivre l’application de la présente loi mais également les conséquences sanitaires de l’épidémie de virus Covid-19 ». S’il salue le rapport prévu le 10 mai pour les municipales, ce n’est pas suffisant. Pour le président de la commission des lois, « la mission de contrôle du Parlement est plus que jamais nécessaire en période de crise, notamment pour s’assurer de la proportionnalité des mesures mises en œuvre ».
Enfin, plusieurs amendements, notamment de Nathalie Delattre et du sénateur PS Olivier Jacquin, proposer de porter exceptionnellement la durée des commissions d’enquête en cours de 6 à 8 mois. Le socialiste précise que « cette mesure concernerait neuf commissions d’enquête, dont cinq au Sénat et quatre à l’Assemblée nationale ». Principe adopté par la commission des lois.