« Le sujet est vaste ». C’est à Poitiers qu’Emmanuel Macron a lancé les Etats généraux de la justice, ce lundi 18 octobre. Annoncés en juin dernier, ces « 120 jours de travaux » et de réflexion, « libres, ouverts et indépendants », donneront lieu à un rapport, « remis avant la fin de l’hiver 2022 au garde des Sceaux », Eric Dupond-Moretti. Soit quelques semaines avant la présidentielle. Trop court pour que cette réflexion puisse se traduire en loi d’ici la fin du quinquennat. Mais de quoi nourrir la campagne pour un second mandat…
« Modernisation de notre justice »
L’ambition de cette « phase nouvelle, est celle de la modernisation de notre justice, avec deux objectifs : restaurer le pacte civique entre la Nation et la justice et garantir l’efficacité du service public de la justice », explique Emmanuel Macron. Pour ça, le chef de l’Etat ressort l’idée d’une sorte de… grand débat. Mais centré sur la justice. Il « souhaite » dans des débats puissent être « organisés partout sur le territoire » dans les « lieux de justice, les cabinets, les amphithéâtres ». Un site internet, « parlons justice, rassemblera en toute transparence les conditions ».
Un comité de douze personnes, composé de hauts magistrats et des deux présidents de la commission des lois de l’Assemblée et du Sénat, Yaël Braun-Pivet (LREM) et François-Noël Buffet (LR), assurera le bon déroulement de la démarche.
Par ces états généraux, Emmanuel Macron vise autant l’amélioration de la « procédure, de la plainte, de l’instruction, du procès, de la peine », que la justice du quotidien, pointant des « lenteurs ou sa lourdeur ». L’idée est d’avoir plus d’« effectivité » et de « lisibilité ». Emmanuel Macron évoque aussi la nécessité de « garantir l’impartialité des juges ». Pour cela, « il faut faire en sorte que les juges ne soient liés à aucun intérêt dans la société ».
Macron condamne les attaques contre le droit européen
S’il s’agit d’imaginer le futur de la justice, Emmanuel Macron ne s’est pas privé pour parler de l’actualité politique. Le chef de l’Etat a ainsi condamné les remises en cause récentes du droit européen, à laquelle se sont adonnés Michel Barnier, Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand, ou encore à gauche, Arnaud Montebourg. « Je suis étonné, pour rester pudique, de voir que dès qu’il y a un problème, nous en revenons à cette vieille maladie française qui consiste à dire : c’est l’Europe. Mais l’Europe c’est nous ! » lance Emmanuel Macron, qui rappelle que ce sont des textes « signés, puis ratifiés souverainement ». « Qu’est-ce que c’est que cette affaire ? Il nous faut donc les défendre », ajoute-t-il, sans citer les candidats de la primaire interne de la droite. Mais il pense très fort à eux.
L’ancien négociateur du Brexit, Michel Barnier, a défendu la nécessité d’une « souveraineté juridique » en matière d’immigration. Valérie Pécresse a elle affirmé que « nos lois constitutionnelles, notre identité constitutionnelle, à chacun, chaque Etat souverain, doit primer sur la juridiction européenne ». Quant à Xavier Bertrand, il veut introduire dans la Constitution « un mécanisme de sauvegarde des intérêts supérieurs de la France ».
« Quand des responsables, des fonctionnaires, des ministres et des élus se trouvent cités dans une procédure pour une crise encore en cours, nous sommes loin de l’apaisement »
Autre allusion à l’actualité, judiciaire celle-ci : la mise en examen de son ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn, par la Cour de justice de la République (CJR) pour sa gestion de la crise du covid-19. L’actuel ministre de la Santé, Olivier Véran, tout comme l’ex-premier ministre, Edouard Philippe, sont aussi concernés par une enquête de la CJR, à la suite du dépôt de dizaines de plaintes sur le même sujet.
« Quand des responsables, des fonctionnaires, des ministres et des élus se trouvent cités dans une procédure pour une crise encore en cours, nous sommes loin de l’apaisement et de l’équilibre », estime Emmanuel Macron, « la situation que nous vivons pose une question qui peut mettre en tension l’autorité judiciaire avec les autres pouvoirs ». Face à des « citoyens devenus procureurs » et un « monde politique qui a perdu la culture de la responsabilité vis-à-vis des citoyens », il faut « redéfinir les champs de la responsabilités pénales des fonctionnaires, élus et ministres ».
Emmanuel Macron rappelle qu’il avait déjà « porté l’idée de la suppression de la Cour de justice de la République », seule habilité à juger les ministres pour des actes commis durant l’exercice de leurs fonctions. Si « les circonstances » de l’échec de la réforme constitutionnelle de début de mandat, « rendent caduque cette réforme aujourd’hui », « la logique reste plus actuelle que jamais ». Pour le Président, « il faut distinguer les actes plus individuels et ceux qui se font dans le cadre du service ou de la mission. Jamais nous ne devons pour autant rendre impossible la décision publique, jamais nous ne devons tomber dans une situation d’impuissance publique, ni retirer au peuple les choix qui, dans une démocrate, doivent in fine être les siens ».
Face à l’inflation de normes, Emmanuel Macron veut réformer le « droit d’amendement »
Autre enjeu : le « travail sur la production des lois et des normes ». Face à des « normes de plus en plus internationales et européennes, celles-ci prolifèrent et s’accélèrent, ce qui est un défi pour tous et nos magistrats ». Ces normes plus nombreuses se traduisent par « une inflation législative ». Si « nous produisons beaucoup moins de normes réglementaires », il convient de faire encore un effort selon le chef de l’Etat. Sa solution ? Revoir le droit d’amendement. L’idée, déjà dans la première mouture de la révision constitutionnelle, avait suscité les foudres des parlementaires d’opposition, et en particulier des sénateurs, sans qui une réforme de la Constitution est impossible.
« Les lois sont plus nombreuses et sont à chaque fois grossies par le droit d’amendement, qui est un droit totalement légitime du Parlement, mais il est clair que sur ce sujet, une réforme de notre Constitution s’imposera. Car aujourd’hui, gouvernement et Parlement courent, en quelque sorte, après la prolifération des normes qui lui sont extérieures, et les changements de la société, pour légiférer encore plus ». C’est donc bien « le rôle du Parlement et du gouvernement, en la matière », qui est visé.
Enfin, pour « garantir l’indépendance nécessaire à l’impartialité de la justice », Emmanuel Macron ressort aussi du carton de sa réforme constitutionnelle enterrée « le renforcement, en terme d’indépendance, des conditions de nominations des magistrats du parquet ». La réforme prévoyait de graver dans le marbre que les magistrats du parquet sont nommés par l’exécutif « sur l’avis conforme » du Conseil supérieur de la magistrature, organe indépendant, comme actuellement pour les juges. Mais si une nouvelle réforme de la Constitution voit le jour, ce ne sera qu’après 2022.