Etrangers délinquants : Gérald Darmanin annonce une loi, le Sénat demande des moyens

Etrangers délinquants : Gérald Darmanin annonce une loi, le Sénat demande des moyens

Suite à un imbroglio qui a conduit à un placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière, pourtant mis hors de cause dans une affaire de violences sur des forces de l’ordre, Gérald Darmanin annonce un prochain projet de loi visant à faciliter les expulsions. La droite sénatoriale salue l’intention du ministre et rappelle qu’elle a précédé l’exécutif sur le sujet.
Simon Barbarit

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Ce fait divers va-t-il virer au feuilleton d’été ? L’agression filmée de trois policiers en civil, mercredi 20 juillet dans le quartier populaire de la Guillotière à Lyon, n’en finit pas de faire des vagues. Dernier épisode en date, l’annonce, sur RTL, par le ministre de l’Intérieur d’un projet de loi destiné à faciliter l’expulsion du territoire des étrangers délinquants.

« Le syndrome du mardi »

Si on osait, on ferait le parallèle avec ce que Gérard Larcher appelait, il y a peu, « Le syndrome du mardi » et qu’il fustigeait lors d’une agora de la justice organisée au Sénat : « Il arrive un drame dans le pays, et le mardi le Parlement ou du moins la majorité est convoquée par l’exécutif pour qu’on fasse, dans les huit jours, un texte. Et vous vous apercevez, après analyse, que nous avions tous les moyens pour faire face », développait le président de la chambre haute en septembre dernier.

> > Lire notre article. Justice pénale : le Sénat veut mettre fin aux lois d’émotion

« On sait très bien que les lois d’émotion compliquent la législation et la rend difficilement applicable par les administrations. Là, ce n’est même pas une loi d’émotion. Le ministre corrige une bêtise en en faisant une autre », tacle le sénateur socialiste Jean-Yves Leconte.

En effet, la comparaison s’arrête là car dans ce cas de figure, Gérald Darmanin est d’autant plus pressé d’éteindre la polémique qu’il l’a lui-même entretenu par un tweet parti trop vite. « Suite à l’inacceptable attaque contre les policiers de Lyon, des opérations de police ont lieu. Un des délinquants est étranger, il a été interpellé. Sur mon instruction, il a été placé en rétention et sera expulsé. Les délinquants étrangers n’ont pas leur place en France », tranche-t-il sur le réseau social, samedi.

Mais quelques heures plus tard, il est démenti par le parquet de Lyon qui affirme que cette personne est « totalement mise hors de cause dans le cadre des investigations menées. ». « En lien avec les événements ou non, connu pour de nombreuses mises en cause […] cet individu n’a rien à faire dans notre pays qui est généreux si on le respecte », répond Gérald Darmanin, soucieux de ne pas perdre la face.

« C’est ce qu’on appelle les ni-ni : Ni expulsable, ni régularisable »

Sur le fond, le ministre propose de lever « toutes les réserves législatives » empêchant l’expulsion des étrangers délinquants. « Quand vous arrivez sur le territoire avant un certain âge, quand vous avez contracté un mariage… », cite-t-il. « Un mineur étranger qui rentre sur le territoire avant l’âge de 13 ans bénéficie d’une protection absolue. Il n’est pas expulsable. Quand, ils grandissent et qu’à 20 ans ils font les cons, on peut ne pas leur délivrer des titres de séjour. C’est ce qu’on appelle les ni-ni : Ni expulsable, ni régularisable. Nous avons souvent réclamé de faire sauter ce levier », explique la sénatrice LR, Jacqueline Eustache-Brinio, qui préside la commission titre de séjour de son département du Val d’Oise depuis une quinzaine d’années.

« Une semaine, le ministre donne l’impression qu’étranger = délinquant »

Une analyse que conteste Jean-Yves Leconte. « S’ils ne sont pas expulsables, c’est qu’ils sont en situation régulière. On ne peut pas traiter les étrangers en situation régulière différemment que les Français. Etablir des différences de droits est voué à l’échec. Depuis une semaine, le ministre donne l’impression qu’étranger = délinquant. Evidement que nous ne sommes pas contre l’expulsion de délinquants en situation irrégulière à leur sortie de prison. Mais ce n’est pas un problème législatif, ça relève d’une meilleure organisation entre la Justice et la police aux frontières.

Gérald Darmanin pourra néanmoins compter sur la majorité sénatoriale pour faciliter les expulsions des délinquants étrangers. Auteur d’un rapport récent sur le droit des étrangers devenu « illisible et incompréhensible sous l’effet de l’empilement de réformes successives », le président LR de la commission des lois, François-Noël Buffet rappelle que le Sénat avait, dès 2018, dans le cadre du projet de loi Asile et Immigration, voté une disposition visant à réduire le nombre de visas de long séjour accordés aux ressortissants des pays les moins coopératifs en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. « Mais à l’époque l’Assemblée nationale ne nous avait pas suivis », souligne le président de la commission des lois.

La droite sénatoriale avait également réduit de 30 à 7 jours le délai de départ volontaire qui peut être accordé aux étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français.

Le faible taux d’exécution des OQTF

Ce n’est qu’en septembre 2021, à l’orée d’une campagne présidentielle centrée sur les thématiques d’immigration et de sécurité, que le gouvernement annonçait une restriction dans la délivrance de visas pour les ressortissants Marocains, Algériens et Tunisiens en raison de la faible coopération de ces trois pays du Maghreb dans les procédures d’expulsion.

« Le principe affiché par le ministre est une chose. Mais sa mise en œuvre en est une autre. L’administration dispose de moyens très limités, c’est pour cette raison qu’on peut imaginer que le texte annoncé par Gérald Darmanin sera présenté en même temps que la Loppsi (projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur), note François-Noël Buffet qui rappelle les différents obstacles à l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) : les difficultés d’identification des personnes en situation irrégulière, le manque de moyens juridiques et matériels disponibles pour procéder à des éloignements et les négociations avec le pays d’origine peu enclin à délivrer les laissez-passer consulaires.

Le rapport du Sénat chiffrait à 5,7 % le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) au premier semestre de l’année 2021, soit 3501 exécutées sur 61 781 prononcées. Sur RTL, le ministre s’est félicité de voir le taux en augmentation de 25 % pour le premier semestre 2022.

Depuis deux ans, « 2.751 étrangers délinquants ont été expulsés, 770 comme responsables de trafic de stupéfiants, 900 pour violences conjugales », a-t-il poursuivi.

Dans la pratique, le rapport du Sénat alertait sur « un certain sentiment de découragement et de perte de sens » des agents tiraillés entre « l’édiction massive de mesures d’éloignement dont ils savent à l’avance qu’elles ont peu de chances de prospérer, de l’autre le déploiement d’une énergie démesurée pour réaliser une poignée d’éloignements contraints ».

 

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