European Parliament in Strasbourg

Européennes 2024 : les sondages peuvent-ils encore bouger ?

Les rapports de force vont-ils rester globalement stables jusqu’au scrutin du 9 juin ? La liste PS-Place Publique de Raphaël Glucksmann peut-elle dépasser celle de la majorité présidentielle de Valérie Hayer ? Marion Maréchal va-t-elle devancer la liste LR de François-Xavier Bellamy ? Les Français vont-ils se décider au dernier moment ? Eléments de réponses avec quatre sondeurs.
François Vignal

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Va-t-on assister à des surprises le soir du 9 juin ? Les sondages pour les élections européennes se multiplient et donnent une idée du rapport de force. Le scrutin approche mais il reste du temps, avant le scrutin : un peu plus d’un mois et demi. Si on observe depuis quelques semaines une dynamique, plus ou moins forte, pour la liste Glucksmann, les grandes tendances n’ont cependant jusqu’ici pas énormément évolué, avec un Jordan Bardella qui caracole en tête avec sa liste RN. Les intentions de vote peuvent-elles alors encore beaucoup bouger ?

« L’expérience des européennes de 2019 montre que les choses peuvent bouger dans les derniers jours »

Pour les sondeurs interrogés, la réponse est globalement oui. « La campagne est en cours, elle a tout juste commencé. Les Français sont encore assez éloignés de l’élection, qui sera probablement marquée par une très forte abstention. Donc évidemment, les lignes peuvent encore bouger », souligne Emile Leclerc, directeur d’études à Odoxa. « Cela peut bouger, car la campagne n’a pas véritablement commencé », confirme Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d’Harris Interactive et directeur du département stratégies politiques et opinion. « Il y a une impression de stabilité, mais les choses peuvent encore bouger, très probablement, car ce qu’on observe traditionnellement, c’est que les Français entrent très tard dans la campagne. Dans les quinze derniers jours, voire la dernière semaine », ajoute Stéphane Zumsteeg, directeur du département politique et opinion de l’institut de sondage Ipsos.

« L’expérience des européennes de 2019 nous avait montré que les choses peuvent bouger dans les derniers jours », rappelle Laure Salvaing, directrice générale de Verian (ex-Kantar public). « Des thématiques de campagne peuvent encore apparaître. En 2019, la thématique écologique avait émergé en tout fin de campagne, il y avait les manifestations climat », rappelle Jean-Daniel Lévy. Si bien qu’en fin de campagne, tout avait changé pour « la liste écologiste de Yannick Jadot, qui était donnée à 8-9 %. Les jeunes qui déclaraient dans les études ne pas aller voter, sont non seulement allés voter, et ont décidé de voter Jadot de manière massive », précise le sondeur d’Harris Interactive. Résultat, la liste EELV termine à 13,5 %.

« Aujourd’hui, on a l’impression que les grandes forces et grandes tendances sont installées »

Mais une élection reste une élection et tout reste possible. Y compris… qu’il ne se passe rien ou presque. Les résultats des études du moment pourraient très bien être ceux du 9 juin. « Aujourd’hui, on a l’impression que les grandes forces et grandes tendances sont installées », constate Laure Salvaing. La directrice générale de Verian pense que « ce qui ne bougera pas, sauf événement exceptionnel, c’est le niveau du RN qui devrait être entre 28 et 32 % ».

« On trouvera toujours un contre-exemple. Il y a des élections où les choses sont quasi figées plusieurs semaines ou plusieurs mois à l’avance. Et d’autres où on voit au dernier moment une liste qui progresse beaucoup. Il n’y a aucune règle », pense Emile Leclerc d’Odoxa, qui rappelle un point essentiel à la lecture des études d’opinion :

 Il faut toujours retenir qu’un sondage est vraiment une photographie, ça n’a jamais été une prédiction. C’est l’état actuel du rapport de force. Heureusement, tout le monde peut changer d’avis jusqu’au dernier moment, à la dernière seconde, décider d’aller voter ou pas. Tout peut encore changer. 

Emile Leclerc, directeur d’études pour l'institut de sondage Odoxa.

« Un croisement des courbes entre Glucksmann et Hayer n’est pas exclu du tout »

Depuis quelque temps, l’attention se porte sur la liste PS-Place Publique de Raphaël Glucksmann, qui bénéficie d’une dynamique, au point de se rapprocher de celle de la majorité présidentielle de Valérie Hayer (lire notre article sur le sujet). « Un croisement des courbes n’est pas exclu du tout, comme il peut très bien se stabiliser autour de 11-12 % », remarque Emile Leclerc, qui rappelle que lors de la présidentielle de 2022, « Eric Zemmour avait connu une progression avant de retomber ».

Harris Interactive a donné la semaine dernière la liste PS-Place Publique jusqu’à 14 %, contre 16 % pour Renaissance. « Aujourd’hui, on est à 13-16. On est dans la marge d’erreur », souligne Jean-Daniel Lévy. Autrement dit, les deux listes peuvent être au coude-à-coude potentiellement. Pour le directeur délégué d’Harris Interactive, « il y a pas mal de choses qui peuvent aller dans le sens encore d’une progression de Glucksmann. Tout une partie de l’électorat Hayer peut encore changer d’avis, ce n’est pas gravé dans le marbre ».

L’autre croisement de courbe possible, et qui pourrait faire autant de bruit, ce serait celui entre la liste LR de François-Xavier Bellamy, qui est vers 7-8 % voire moins, et celle Marion Maréchal de Reconquête, autour de 6 voire 7 %. « Aujourd’hui, ils sont à touche-touche. Il y a plutôt une dynamique pour Reconquête. La campagne LR a vraiment du mal à décoller. Si LR est derrière, ce sera assez déterminant pour la suite de la vie politique française », pense Laure Salvaing.

Solidité du vote Renaissance et RN, beaucoup moins pour les listes de gauche et LR

Ce qui plaide pour quelques évolutions possibles, c’est aussi l’enjeu de ce qu’on appelle l’abstention différentielle. « Le premier enjeu pour les partis, c’est la mobilisation », relève Stéphane Zumsteeg d’Ipsos, d’autant qu’« il y a encore énormément de réservoir de Français qui déclarent ne pas être certains d’aller voter, c’est plus d’une personne sur deux. Cela vaut pour tous les partis. L’essentiel, c’est de récupérer les gens qui votent pour eux, notamment à la présidentielle ».

En lien avec cette mobilisation, il est intéressant de noter le niveau de certitude du vote, selon les listes, qui est plus ou moins fort, et globalement faible. « Dans notre dernière enquête pour Le Parisien et France Info, vous avez en gros 63 % des gens qui disent que leur vote est définitif », explique le directeur du département politique et opinion d’Ipsos. Dans le détail, « le vote est le plus ferme, définitif, pour Renaissance, à 81 %, et pour le RN, à 80 %. En revanche, pour toutes les autres forces, l’hésitation est encore forte : 60 % pour le PS, ce qui veut dire que 40 % peuvent encore changer d’avis, 63 % pour LFI et seulement 34 % pour EELV. C’est un signe de faiblesse », souligne Stéphane Zumsteeg, alors que la tête de liste Marie Toussaint n’est qu’à 6-7 %. Mauvais résultat également pour la liste LR, où seulement « 40 % » des sondés sont certains de voter Bellamy, et « 46 % pour Reconquête ». « Cela montre que les choses pourraient changer à gauche et à droite », conclut le responsable d’Ipsos.

Mais selon les instituts, la lecture peut différer… « La sûreté de choix est très forte pour le RN. Ils sont hauts et solides. Elle est relativement solide pour les sympathisants LR et la majorité présidentielle, et les sympathisants Reconquête se montrent particulièrement mobilisés pour ce scrutin », selon Laure Salvaing de l’institut de sondage Verian.

« Des événements internationaux pourraient venir bouleverser cet équilibre »

Des événements de campagne, ou extérieurs, pourraient aussi rebattre les cartes. « On va avoir le discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne, celui de Raphaël Glucksmann sur l’Europe, la présentation du projet écolo, celui de Bardella, bientôt d’autres débats, dont celui du 5 mai du RTL », souligne Jean-Daniel Lévy. « Des événements internationaux pourraient venir bouleverser cet équilibre. C’est le point de vigilance. Il pourrait alors y avoir le fameux effet drapeau, qui a bénéficié à Emmanuel Macron en 2022, avec l’Ukraine », ajoute Laure Salvaing.

Le manque de connaissance globale vis-à-vis du scrutin joue aussi. « Selon un sondage pour le Parlement européen sur la connaissance de la date de l’élection, la France est en dernier. C’est le pays où on sait le moins quand va avoir lieu l’élection », souligne Laure Salvaing, qui note au passage que « si l’abstention est plus forte qu’attendue, aujourd’hui autour de 50 %, les marges d’erreurs sont encore plus importantes ». De quoi renforcer le risque de surprises. « Il reste un mois et demi. C’est long quand même », conclut la directrice générale de Verian. Le temps de susciter tous les espoirs… comme d’amener à quelques désillusions.

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