Lille: First meeting of Renaissance with Valerie Hayer for the European elections
French Prime Minister Gabriel Attal, Valerie Hayer and President of the National Assembly, Yael Braun Pivet . First meeting of Renaissance with Valerie Hayer for the European election in Lille , FRANCE on Mars 09, 2024. //01JACQUESWITT_lille046/Credit:Jacques Witt/SIPA/2403091938

Européennes : face à la très large avance du RN dans les sondages, le camp présidentiel adopte une stratégie de « diabolisation »

A trois mois des élections européennes, le RN continue de creuser l’écart avec le camp présidentiel, qu’il distance de plus de 10 points dans différents sondages. Les cadres de la majorité qui ont ce week-end, à Lille dépeint le RN, comme le « parti de l’étranger, de la 5ème colonne de Poutine », ne convainquent pas les électeurs pour le moment. Analyses des politologues, Luc Rouban, Olivier Rouquan et Gilles Ivaldi.
Simon Barbarit

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La campagne a à peine commencé mais elle pourrait devenir un long chemin de croix pour la majorité présidentielle. Désignée tardivement, la tête de liste Renaissance, actuelle présidente du groupe Renew (Renaissance) au Parlement européen, Valérie Hayer lançait son entrée dans l’arène, samedi dernier, par un grand meeting au Grand Palais de Lille. Devant 3000 personnes et la quasi-totalité du gouvernement, les poids lourds de la macronie, Gabriel Attal, Gérald Darmanin, Edouard Philippe ou encore François Bayrou se sont succédé à la tribune pour soutenir la candidature de cette trentenaire quasi inconnue du grand public et surtout désigner l’adversaire : le RN.

« Ils ont toujours dit non à l’Europe. La seule différence maintenant, c’est qu’ils le cachent un peu et que le non s’est transformé en niet », a tancé Gabriel Attal après avoir accusé le RN de proximité avec Vladimir Poutine.

« Référendum pour ou contre Emmanuel Macron »

« La stratégie des participants était claire : Dramatiser et stigmatiser le Rassemblement national comme étant le parti de l’étranger, le parti de la 5e colonne de Poutine. Une logique défensive qui ne visait pas à aborder les idées propres à l’Union européenne, ses institutions ou comment améliorer leurs fonctionnements. Il y avait également très peu d’éléments sur ce qui préoccupe la majorité des Français, le pouvoir d’achat, l’immigration, l’accès aux services public… Mais en abordant la campagne ainsi, Renaissance ne fait qu’aller là où le RN veut l’entraîner : faire de ces élections intermédiaires, un référendum pour ou contre Emmanuel Macron. Une stratégie assez contreproductive jusqu’à présent », relève Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

La stratégie du camp présidentiel se heurte semaine après semaine à des sondages décourageants. Une enquête menée du 1er au 6 mars auprès de 12.000 personnes par Ipsos-Cevipof-Institut Montaigne-Fondation Jean-Jaurès et publié lundi dans Le Monde enregistre une hausse de trois points par rapport à novembre, de la tête de liste RN, Jordan Bardella, désormais crédité de 31 % des voix, loin devant la liste menée par Valérie Hayer, en recul de deux points (18 %). Suivent les listes de Raphaël Glucksmann (PS, Place publique), avec 11,5 % des intentions de votes (+1 point), et de Marie Toussaint (Ecologistes) avec 8,5 % d’intentions de votes (-1 point). En baisse par rapport à novembre, François-Xavier Bellamy (LR), est annoncé à 7 % (-1 point), l’Insoumise Manon Aubry à 7 % aussi (-0,5 point) et Marion Maréchal à 5 % pour Reconquête ! (-1,5 point).

Le vote Renaissance recentré sur un électorat âgé

« Cette enquête est particulièrement intéressante, car on observe un glissement de l’électorat. Le macronisme qui était au départ un parti d’ouverture vers la jeunesse, innovant et dynamique, s’est recentré sur un électorat âgé. Il devient un parti conservateur, un peu giscardien. Le RN attire de son côté de plus en plus les classes moyennes, supérieures et un électorat diplômé », observe Luc Rouban. Renaissance n’attire, en effet, plus que 4 % des 18-24 ans contre 29 % des plus de 70 ans. Une courbe inverse se dessine pour le RN qui attire 31 % des 18-24 ans, mais quand même 24 % des plus de 70 ans. 19 % des cadres se disent prêts à voter la liste de Jordan Bardella à peine moins que Valérie Hayer qui récolte 21 % d’intentions de vote dans cette catégorie socio-professionnelle.

Olivier Rouquan, politologue et chercheur au CERSA estime lui aussi « qu’attaquer le RN comme le parti de l’étranger, permet de resserrer son camp mais a un effet limité. Renaissance va devoir faire campagne sur les enjeux européens pour rester crédible. Le problème, c’est que depuis 2019, leur crédibilité est entamée sur des thèmes comme l’écologie. De même, il va être difficile pour la majorité présidentielle de faire campagne sur l’immigration. Du côté du RN, au-delà de leur camp de base, le vote Bardella est un vote de protestation contre le pouvoir en place. Et pour ce scrutin, la crédibilité joue moins que pour une élection nationale ».

« Les questions européennes viendront dans un second temps »

« L’angle d’attaque de Renaissance repose sur deux points. Il y a d’abord une première phase qui consiste à rediaboliser le RN en rappelant son ambiguïté avec la Russie et ses liens avec des partis européens d’extrême droite avec qui il siège au Parlement. Les questions européennes viendront dans un second temps et je pense que Valérie Hayer a été désignée pour ça. Elle connaît très bien les institutions. Elle aura une carte à jouer pour s’attaquer au projet du Rassemblement national qui est de défaire l’Europe », relève Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS et au centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

Dans une élection intermédiaire à la proportionnelle à un tour, le camp présidentiel peut difficilement miser sur « le vote utile ». 17 % des électeurs qui ont voté Emmanuel Macron au premier tour en 2022 se reportent sur des listes de gauche, principalement celle de Raphaël Glucksmann (12 %). Malgré le coup de barre à droite au début du second quinquennat, le vote macroniste s’effrite aussi du côté de LR. 8 % électeurs qui ont voté Emmanuel Macron au premier tour en 2022 se retrouvent chez François-Xavier Bellamy et même 6 % chez le RN.

Un sondage qui, pour Gilles Ivaldi, est à interpréter avec prudence à ce stade. « Nous sommes dans un moment asymétrique de la campagne. Entre Jordan Bardella qui a lancé sa campagne depuis de nombreux mois en captant tous les ressentiments contre le gouvernement pour faire de ce scrutin, un vote anti-macron. Pour la grande majorité des électeurs qui s’apprêtent à voter RN, ce sont les enjeux nationaux qui pèsent. Historiquement, pratiquement tous les gouvernements en place ont été sanctionnés par les élections européennes, mais Renaissance a à peine commencé à jouer sa partition. Le RN ne finira pas à 15 %, mais Valérie Hayer peut quand même grappiller quelques points ».

Guerre en Ukraine : « C’est presque le RN qui est le parti de la raison »

Soupçonné par l’opposition d’instrumentaliser le conflit ukrainien « à des fins de campagne électorale », les propos du chef de l’Etat évoquant, il y a quelques jours, une intervention au sol, pourraient là encore s’avérer contreproductifs et conforter le RN qui s’inscrit dans une forme « de récupération du gaullisme », selon Luc Rouban. « Ce qu’a dit Emmanuel Macron, c’est de l’antigaullisme. L’inverse d’une position non-alignée de la France, qui voulait échapper aux logiques de la guerre froide. C’est presque le RN qui est le parti de la raison, dans cette séquence ».

« Dans une crise internationale grave comme, celle-ci, Emmanuel Macron sait que si les choses venaient à évoluer en Ukraine, il pourrait profiter de ce qu’on appelle « l’effet drapeau ». N’oublions pas que la base de son électorat est âgée et dans ces moments-là se sont des électeurs plutôt loyalistes », rappelle Gilles Ivaldi.

 

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