Européennes : l’argument du vote utile est-il pertinent ?

Européennes : l’argument du vote utile est-il pertinent ?

Plusieurs candidats aux élections européennes utilisent l’argument du vote utile, justifiant qu’en arrivant au Parlement, ils feraient perdre des sièges à LREM et au RN. Explications.
Public Sénat

Par Ariel Guez

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

À gauche, rien ne va plus. Les communistes menés par Ian Brossat et les Insoumis, menés par Manon Aubry, usent les uns contre les autres du spectre du vote utile. L’argumentaire de Ian Brossat est rodé. « En nous mettant à 5 %, vous faites entrer 4 députés européens de combat, 4 de moins pour Le Pen et Macron », expliquait-il sur notre antenne. Les Insoumis, par la voix de Manuel Bompard sur Twitter, indiquaient quant à eux que si le PCF réalisait un score de 3 %, ce serait « environ 3 eurodéputés perdus en faveur de LREM et du RN ».

La règle des 5 %

En France, la proportionnelle est faussée, puisqu’elle n’est pas intégrale. La loi électorale prévoit en effet que seules les listes au-dessus de 5 % soient maintenues et envoient des élus à Bruxelles. Si un parti obtient 20 % des suffrages, il n’obtient pas 20 % des sièges, car les listes au-dessus de 5 % « bénéficient d’un nombre de sièges proportionnel à leur nombre de voix », selon le site vie-publique.fr.

Par exemple, si un parti fait 20 % des voix et que seulement deux autres listes (qui ont fait 15 et 10 %) se maintiennent, alors ce parti aura 45 % des sièges, le second 33 % et le dernier 22 %. Une proportion de sièges bien éloignée des suffrages exprimés. Néanmoins, plus le nombre de listes qui se maintiennent est haut, plus le total du score de ces listes augmente, et donc plus la répartition est lisse.

En Allemagne, le scrutin est réalisé à la proportionnelle intégrale. En 2014, il a même été jugé inconstitutionnel le fait d’instaurer un seuil de représentativité lors des élections européennes. Cela a permis à plusieurs petits partis d’entrer au Parlement européen lors des dernières élections, comme le parti Pirate.

Dans notre simulation basée sur le sondage Harris/Epoka du 19 mai 2019, si la liste de Ian Brossat atteint 5 %, la gauche radicale gagnera effectivement quatre sièges, tandis que LREM et le RN en perdront chacun un, alors que leur score n’aura pas été modifié. Cette situation s’explique par le mode du scrutin. « Les sièges sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne », selon le document publié à l’attention des candidats par le ministère de l’Intérieur.

Si la liste communiste (ou une autre liste de gauche radicale) arrive à dépasser le seuil des 5 %, le rapport de force de l’échiquier politique sera considérablement différent. Puisqu’après le départ des Britanniques de l’Union européenne et l’arrivée des cinq députés en suspens, les Français seront 13 dans le groupe de gauche radicale GUE/NGL (PCF+FI), tandis qu'ils seront 12 dans le groupe conservateur PPE (LR), selon les données de notre simulation basée sur le sondage Harris/Epoka du 19 mai 2019. La gauche radicale serait derrière le Rassemblement national et La République en marche dans le rapport de force politique national. À l’échelle de leur groupe, les communistes et insoumis pèseraient environ 20 %.

Est-ce probable ?

Ian Brossat n’a pour l’instant été donné à 4 % que dans une seule enquête d’opinion, mais la dynamique semble jouer en sa faveur, et il enchaîne les performances sur les plateaux de télévision. L’adjoint à la maire de Paris espère pouvoir changer la donne dans la dernière ligne droite de la campagne.

Mais le communiste n’est pas le seul candidat proche des 5 %. Nicolas Dupont-Aignan est donné dans les sondages entre 3,5 et 4,5 points. S’il arrivait à convaincre des électeurs hésitants entre sa liste et celle du Rassemblement national, il pourrait lui aussi atteindre les 5 % et renforcer légèrement le camp des souverainistes au Parlement européen, en envoyant quatre députés.

La sûreté du choix et l’abstention.

À quelques jours du scrutin, deux variables vont donc être déterminantes. D’abord, la sûreté du choix, puisqu’au aujourd’hui, seulement la France insoumise, la République en marche, les Républicains et le Rassemblement national ont un socle supérieur à 5 %. La volatilité de l’électorat d’EELV et du Parti socialiste, combinée à une stratégie de vote utile en faveur de LREM, ne garantit pas à Yannick Jadot et Raphaël Glucksmann d’être présents à Bruxelles le matin du 27 mai.

Mais comme nous pouvons le voir, cette option aurait aussi pour conséquence de faire augmenter légèrement le nombre de députés RN, LFI et LR. En clair, plus le nombre de listes au-dessus de 5 % est réduit, plus les partis au-dessus de ce seuil auront de députés. C’est le point de vue de la France insoumise, qui veut arriver en troisième position, devant Les Républicains.

Tout dépend également de l’abstention : quel électorat se mobilisera le plus ? Si les listes du PCF, de Générations, du Parti Socialiste, d’EELV et de la France insoumise dépassent toutes 5 %, elles auront au moins 4 députés chacune, soit un nombre minimum de 20 députés classés à gauche sur l’échiquier politique. De quoi largement rivaliser avec Les Républicains, en talonnant de près LREM. Mais il est peu probable, au regard des sondages, que les cinq listes se maintiennent et aillent à Bruxelles.

 

Dans la même thématique

FRA – FRANCOIS BAYROU – PALAIS ELYSEE
7min

Politique

Dans le camp présidentiel, François Bayrou n’aura pas que des amis

Après la nomination de François Bayrou à Matignon, tout le monde, au sein du bloc central, salue la décision d’Emmanuel Macron. Mais hors micro, on comprend que le président du Modem n’a pas que des soutiens au sein de l’ex-majorité présidentielle. Pour durer, il devra aussi savoir convaincre son propre camp.

Le

the republicans received at the elysee
4min

Politique

Bayrou à Matignon : la droite attend le projet du Premier ministre pour savoir « s’il est l’homme de la situation »

Après l’annonce de la nomination de François Bayrou à Matignon, les sénateurs LR du Sénat sont dans l’expectative. La participation de la droite au prochain gouvernement, dépendra de l’engagement du Premier ministre sur les priorités qu’il a fixé notamment sur la maîtrise de l’immigration et bien sûr du maintien en poste du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Le

Européennes : l’argument du vote utile est-il pertinent ?
6min

Politique

François Bayrou à Matignon : « Il ne semble pas disposé à être un Premier ministre collaborateur »

Emmanuel Macron vient de nommer François Bayrou Premier ministre. Le président du MoDem devient ainsi le premier centriste de la Vème République à accéder à Matignon, il doit désormais composer son gouvernement et se protéger du risque de censure. Allié fidèle mais critique d’Emmanuel Macron, il devra réussir à parler aussi bien aux socialistes qu’à la droite. Analyse sur le plateau de Public Sénat.

Le