« J’attends des candidats qu’ils formulent des résolutions sur deux sujets majeurs : l’identification des vrais bénéficiaires des sociétés écrans et des trusts, et la publication de leur comptabilité pays par pays des multinationales », confie Jacques Terray, vice-président de Transparency International France, ONG spécialisée dans la lutte contre la corruption.
En France, ces deux mesures ont pourtant été proposées, et même adoptées, avant d’être retoquées par le Conseil constitutionnel. Il s’agissait de l’article 137 de la loi Sapin 2 pour la seconde et du décret du 11 mai 2016 pour la première. Pour Jacques Terray, s’agissant de la comptabilité pays par pays, « il ne faut pas que la France prenne une position isolée là-dessus ». « Nous voulons que cette mesure soit prise au niveau européen, ajoute-t-il. Mais, pour l’instant, c’est un échec. »
Hamon, «c’est le meilleur »
« Mettre ces questions dans le débat public », tel est l’objectif du grand oral de ce soir, confie Jacques Terray. Mais ce n’est pas la seule occasion qu’ont eu les candidats à la présidentielle de s’exprimer à ce sujet. Le 10 février dernier, Transparency leur a envoyé un questionnaire pour qu’ils s’engagent sur onze recommandations formulées par l’ONG en matière de transparence de la vie publique. Un premier bilan a été publié le 23 mars dernier.
Dans cet état de lieux, Benoît Hamon fait figure de bon élève puisqu’il s’est engagé sur la totalité des recommandations. « C’est le meilleur », commente le vice-président de Transparency. Il se défend toutefois de tout soutien au candidat : « On est complètement apolitique. Nous ne prenons absolument pas position pour un candidat ou un autre. » François Fillon, lui, a mis du temps à répondre. C’est seulement par un courrier adressé à Transparency juste après la publication du premier bilan qu’il s’est exprimé sur le sujet. « Il a dit qu’il allait répondre, mais en retard », confirme Jacques Terray.
Il ressort de ce bilan que l’indépendance de la justice est « un thème qui reste clivant », que le non-cumul des mandats ne fait pas encore l’unanimité, contrairement à la publication par les parlementaires des dépenses prises en charge par leurs indemnités représentatives de frais de mandat (IRFM), le contrôle des dépenses en période électorale ou encore l’exigence d’un casier judiciaire vierge (B2) pour se présenter à une élection. La mise en place d’un plan anti-corruption dans les collectivités a quant à elle rencontré l’adhésion de la quasi-totalité des candidats (Marine Le Pen étant la seule défavorable), bien que cette mesure soit absente de leurs programmes.
Bilan « plutôt positif » pour Hollande
« Nous l’avions déjà fait pour deux dernières élections présidentielles, précise Jacques Terray à propos du questionnaire adressé aux candidats. A mi-mandat, on reprendra les réponses du président élu et on lui dira où est ce qu’on en est. Et dans cinq ans, on fera un bilan. » Un bilan que le vice-président de Transparency peut d’ores et déjà dresser à l’approche de la fin du quinquennat de François Hollande : « Sur le plan de la lutte contre la corruption, le bilan est plutôt positif », affirme t-il avant d’énumérer les mesures mises en place sous sa présidence : « Création du Parquet national financier (PNF), loi Sapin 2 avec la nouvelle Agence française anti-corruption, règles sur la protection des lanceurs d’alerte, avancées sur le lobbying (registre des lobbyistes avec le Parlement), déclarations d’intérêts et de patrimoine, mise en place de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique... »
La matière fiscale, « parent pauvre de l’investigation »
« Ce sont des choses nouvelles qui, si toutes ces lois sont bien appliquées, placent la France à un très bon niveau par rapport aux autres pays », se réjouit Jacques Terray. Et pour qu’elles soient « bien appliquées », il faut des moyens humains et financiers, lesquels ne sont pas toujours aux rendez-vous. Le 13 mars dernier, vingt-cinq fonctionnaires de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) ont adressé un courrier au directeur général de la police nationale, déplorant que la matière fiscale soit « le parent pauvre de l’investigation ». Ils dénoncent notamment des « contraintes croissantes, « une charge de travail (qui) a explosé, un « manque de considération », des « départs massifs » en raison de mauvaises conditions de travail, ainsi que trop peu de moyens. Il y a un manque d’effectifs spécialisés sur les affaires financières qui est criant », admet Jacques Terray. L’ancien avocat financier tient tout de même à souligner que « le PNF a bien travaillé ». Et d’ajouter : « Il a démarré sur les chapeaux de roues. » Un clin d’œil à peine dissimulé à certains candidats présents au grand oral de ce soir.
Outre Transparency, co-organisateur du débat de ce soir, l'Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne (Attac) compte faire entendre sa voix pendant cette semaine de lutte contre l’évasion fiscale. Dans sa tribune « Rendez l’argent », publiée le 28 mars dernier sur son site internet, l’ONG s’inspire de la célèbre formule de Margaret Thatcher « I want my money back » pour pousser un cri de colère : « Nous demandons que les centaines de milliards d’euros confisqués par l’évasion fiscale, par le Crédit impôt compétitivité emploi (CICE), par une fiscalité trop généreuse à l’égard des plus riches, par l’absence de taxe sur les transactions financières… nous soient restitués! » Elle affirme qu’« il est possible de récupérer plus de 200 milliards d’euros par an », dont 80 en luttant contre l’évasion fiscale, et propose plusieurs mesures à mettre en œuvre au niveau national : « renforcer les effectifs et les moyes des administrations concernées », « créer un service judiciaire fiscal et douanier », « faire évoluer l’organisation de lutte contre la délinquance fiscale » et « créer un statut de lanceurs d’alerte ».
Des propositions vis-à-vis desquelles les représentants des candidats devraient être amenés à se prononcer ce soir, à partir de 19 heures, quai de la Rapée.