Face à la crise des “gilets jaunes”, l’avenir de Philippe à Matignon en question
Envoyé en première ligne par Emmanuel Macron cette semaine, Édouard Philippe voit son avenir à Matignon remis en question par une crise des ...
Par Marc PRÉEL
Temps de lecture :
4 min
Publié le
Mis à jour le
Envoyé en première ligne par Emmanuel Macron cette semaine, Édouard Philippe voit son avenir à Matignon remis en question par une crise des "gilets jaunes" qui déstabilise comme jamais l'exécutif et le chef de l'État.
Malgré un désaveu de l'Élysée en plein débat à l'Assemblée nationale mercredi, le Premier ministre peut encore espérer une survie politique, soulignent toutefois des sources dans la majorité. Notamment parce que la fronde vise principalement le président et que ce dernier ne veut pas pour l'heure d'un changement de cap majeur sur sa politique.
"Ma mission c'est d'atteindre les objectifs qui ont été fixés par le président de la République. Je le fais avec le soutien de la majorité (...) et avec la confiance du président. Et c'est ce qui m'importe", a affirmé le Premier ministre jeudi soir sur TF1, assurant qu'il n'y avait "aucune cacophonie" entre l'Elysée et Matignon.
Mercredi, 15H00, devant les députés: Édouard Philippe annonce que la hausse de la taxe carbone ne figurera pas dans le budget 2019. Mais il laisse la porte ouverte à un retour, en cas d'hypothétique accord lors de la concertation de trois mois prévue par l'exécutif, "dans le projet de loi de finances rectificative prévu de longue date au printemps".
Le Premier ministre Edouard Philippe à l'Assemblée nationale, le 5 décembre 2018 à Paris
AFP
L’Élysée juge que le chef du gouvernement ne va pas assez loin, et appelle alors des journalistes pour dire que la taxe est "annulée" et ne sera pas remise sur la table au cours de l'année 2019. À la fin du débat au Parlement, Édouard Philippe annonce plus que clairement que "la hausse de cette taxe est désormais abandonnée dans le PLF 2019", sans évoquer cette fois l'hypothèse d'un retour plus tard dans l'année.
- Bataille -
Le cafouillage a révélé encore un peu plus la bataille qui se mène dans les coulisses du pouvoir, où un axe Matignon-Bercy de plus en plus affaibli tente depuis plusieurs semaines de reculer le moins possible face à la violente fronde contre la hausse des taxes sur le carburant, sur le pouvoir d'achat et les impôts en général.
En face, un camp où l'on retrouve notamment le patron du MoDem François Bayrou, le président de l'Assemblée Richard Ferrand, l'influent conseiller Philippe Grangeon ou encore le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian... Des macronistes qui poussent pour un changement de cap plus social.
Le Premier ministre Edouard Philippe à la sortie de l'Elysée, le 5 décembre 2018 à Paris
AFP
Trop techno, trop raide, trop orthodoxe... "Philippe a fait une ligne politique qui malgré toutes ses qualités et son humour nous a plantés", juge un député LREM.
Avec le soutien du directeur de cabinet d'Emmanuel Macron, Alexis Kohler, le Premier ministre a obtenu que le président raye à la dernière minute de son discours du 27 novembre la suspension de la hausse des taxes. Las: après un week-end de graves violences, l'exécutif a fini par reculer mardi.
Le président, tombé à 18% d'opinions favorables selon un sondage YouGov publié jeudi, envoie son Premier ministre, tombé lui à 21%, pour annoncer plusieurs gels fiscaux. Trop peu et trop tard, répliquent l'opposition et les "gilets jaunes", dont le mouvement et les revendications se sont radicalisés de week-end en week-end.
- Flamme -
Pour un des tenants du changement de cap, Édouard Philippe est déjà condamné. "Même si les choses se passent pas trop mal ce week-end (...) je ne vois pas comment il peut aller aux européennes", juge ce pilier de la majorité.
"Il a fait son travail de Premier ministre mais on sent que la flamme n'est plus là", a jugé le chef de file des sénateurs LR Bruno Retailleau jeudi après le discours du chef du gouvernement au Sénat. "Je ne pense pas que ça puisse durer très longtemps, mais il est en fonction", a dit son homologue socialiste Patrick Kanner.
Débarquer Édouard Philippe, oui, mais pour quoi faire? rétorquent d'autres, encore nombreux, dans la majorité.
Sur les ronds-points des "gilets jaunes", c'est principalement le président Macron qui est visé, et la peau d'un Premier ministre est peu susceptible de calmer les plus radicaux.
Quant à Emmanuel Macron, il veut à tout prix éviter de "changer de cap" sur le fond en cours de quinquennat, comme l'avaient fait Nicolas Sarkozy en 2008 ou François Hollande en 2014.
"Et puis qui trouvera un Premier ministre aussi loyal qu’Édouard Philippe ? D'autant qu'il lui faut quelqu'un à droite à Matignon", fait valoir un ami du Premier ministre.
Les hausses d’impôt ciblées sur les grandes entreprises et les plus fortunés, annoncées par Michel Barnier, continuent de diviser la majorité relative. Frondeur en chef, Gérard Darmanin continue de profiter de sa liberté retrouvée en jouant sa propre partition, au risque d’affaiblir le premier ministre. Tous ne ferment pourtant pas la porte à la hausse de la fiscalité.
Le Premier ministre a indiqué que la réforme constitutionnelle sur le corps électoral de Nouvelle-Calédonie, élément déclencheur des violences dans l’archipel, « ne sera pas soumise » au Congrès. Si cette annonce a soulevé la colère de certains membres du camp présidentiel, de nombreux élus, indépendantistes ou loyalistes, saluent la volonté d’apaisement affichée par le nouveau gouvernement.
Les sénateurs Les Républicains vont publier une tribune en soutien à Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, après la polémique sur l’Etat de droit qui ne serait « pas intangible, ni sacré ». Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine, l’a co-signée. Pour lui, l’Etat de droit « n’est pas immuable » et « l’expression populaire peut le faire évoluer ».
Depuis un forum à Berlin, Emmanuel Macron a estimé mercredi qu’une « taxation exceptionnelle sur les sociétés », telle qu’annoncée par le gouvernement de Michel Barnier, était « bien comprise par les grandes entreprises » mais qu’elle devait être « limitée ». La veille, Michel Barnier avait annoncé aux députés, lors de son discours de politique générale, qu’une participation serait demandée aux « grandes entreprises qui réalisent des profits importants » et aux « Français les plus fortunés », au nom de la « justice fiscale ». Cette taxation exceptionnelle a été confirmée par le Premier ministre au Sénat, ce mercredi. A la sortie du discours de politique générale, le président du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard reste prudent. « On verra le montant et l’orientation de cette mesure. Mais une taxation sur les superprofits, c’est quelque chose qu’on a portée et qu’on continue à porter. Que de temps perdu pour se rendre compte qu’on avait besoin d’un peu de justice fiscale », a-t-il regretté sur le plateau de Public Sénat. A ses côtés, la présidente du groupe communiste, Cécile Cukierman s’interroge sur le rôle joué par Emmanuel Macron en cette période inédite. « Ce qui est étonnant, c’est que le Président donne son avis sur un débat qui doit se dérouler entre le gouvernement et le Parlement. Ce serait bien qu’il ne commente pas chaque mesures qui n’ont pas été encore votées d’ailleurs et qui laisse le Parlement faire son travail ».