Paris : session of questions to the government at the Senate
JEANNE ACCORSINI/SIPA

Face à un « budget cryptosocialiste », la majorité sénatoriale veut « éradiquer tous les impôts » votés par les députés

Ils vont « nettoyer » le texte, le « décaper ». Les sénateurs de droite et du centre attendent de pied ferme le budget 2026 et le budget de la Sécu. Après avoir eu le sentiment d’être mis à l’écart des discussions, ils entendent prendre leur revanche, ou du moins défendre leur version du budget : plus d’économies et faire table rase des impôts votés par les députés.
François Vignal

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Ils se préparent. Après les députés, les sénateurs s’apprêtent à leur tour à se lancer dans le marathon budgétaire. Si les députés passent le ballon aux sénateurs, le style de jeu sera sensiblement différent. Alors que le gouvernement a cédé sur plusieurs points aux socialistes, à commencer par la suspension de la réforme des retraites, la majorité sénatoriale de droite et du centre entend « remettre les choses à l’endroit », comme dit un sénateur LR.

« Ça arrange tout le monde qu’il n’y ait pas de vote à l’Assemblée »

Alors que les députés n’ont pu aller au bout de l’examen du budget de la Sécu, et devraient faire de même sur le projet de loi de finances, le gouvernement a renoncé finalement à ouvrir la séance ce week-end, alors que la date couperet pour le vote de la partie recettes arrive lundi soir. Les sénateurs devraient récupérer le texte du gouvernement, agrémenté par les amendements votés, comme il s’y est engagé. « Le gouvernement fait ça pour que les députés ne chargent pas la barque davantage », décrypte un sénateur LR. C’est surtout pour ne pas arriver au vote sur la partie recette du budget, ajoute un membre de la Haute assemblée : « Evidemment, ils veulent éviter le vote. Car il n’y a pas de vote possible. Ça oblige les uns et les autres à se positionner. Ça arrange tout le monde qu’il n’y ait pas de vote. Tout ça, c’est faux cul. On fait semblant… »

La suite ? Les sénateurs vont se faire un malin plaisir à défaire ce que les députés ont fait. Les impôts supplémentaires votés au Palais Bourbon – taxe sur les multinationales, sur les Gafam, sur les grandes entreprises, etc. – risquent de passer un sale quart d’heure. Si au Sénat, « on ne parle pas de bazooka ou de tronçonneuse », comme dit Max Brisson, porte-parole du groupe LR, on sent les sénateurs prêts à en découdre, du moins à revoir profondément la copie.

« Le Sénat va passer tout ça à la paille de fer ! »

« Le Sénat va passer tout ça à la paille de fer ! » lance un sénateur de la majorité, qui va jeter un sort aux nouvelles recettes. Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord, résume l’état d’esprit d’une bonne partie de ses collègues : « On va tout annuler, tout simplement. Toute taxe nouvelle doit être supprimée, c’est relativement simple », prévient l’ancien ministre. « On va être obligés de nettoyer ce texte de toutes les scories rajoutées. Et qui sont totalement irresponsables », insiste le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet, membre de la commission des finances. « Tout ce qui est création d’impôts nouveaux fait partie des irritants », disait plus pudiquement, le 5 novembre, le rapporteur du budget au Sénat, le sénateur LR Jean-François Husson, qualifiant quand même de « monstruosités » les votes intervenus à l’Assemblée.

Les sénateurs veulent « sabrer » « la folie fiscale » des députés

« Tout ce qui est augmentation de charges pour les entreprises et salariés, hausse d’impôts pour les classes moyenne et baisse de pouvoir d’achat pour les retraités, va être sabré », insiste Marc-Philippe Daubresse. « En fait, c’est un budget cryptosocialiste et évidemment, on ne peut pas accepter ça », martèle le sénateur LR du Nord, qui pointe « la folie ordinaire fiscale des députés. On va remettre du bon sens, et évidemment, on va rétablir la réforme des retraites ». Il y va de sa formule :

 Mon collègue Olivier Henno a dit que c’est un gouvernement myrtille, bleu à l’extérieur mais rouge à l’intérieur. J’ajoute que ça va se terminer en déconfiture. 

Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord.

« Sur le principe, nous ne souhaitons pas de hausse de la fiscalité bête et méchante », ajoute Olivier Paccaud, autre membre de la commission des finances, qui se dit « très réservé sur toute la fiscalité supplémentaire ». Il faudra voir néanmoins dans le détail. « En réunion de groupe, nous avons dit que nous ne voulions pas un euro supplémentaire de prélèvements obligatoires », souligne le sénateur Max Brisson, porte-parole du groupe LR. « Ça n’interdit pas d’augmenter tel impôt si on baisse un autre, ou s’il y a des effets d’aubaine, de la suroptimisation fiscale, qu’on puisse chercher à la combattre. Ça ne veut pas dire que ce sera un coup de rabot sans discernement. Mais avec un objectif : le niveau de prélèvement est largement suffisant, mais on peut faire bouger les lignes à l’intérieur de cette règle », précise le sénateur des Pyrénées-Atlantiques.

« On va limiter, pour ne pas dire éradiquer tous les impôts, prélèvements et taxes qui ont proliféré à l’Assemblée »

Tout aussi remonté, le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, soutient qu’« il n’y a pas de ligne dans ce budget. C’est un budget de soumission aux socialistes et destiné à assurer la survie institutionnelle ». S’il défend la nécessité de « dialoguer avec l’opposition socialiste », il regrette ne pas « voir de contrepartie » de leur part.

Sur les recettes, le président de l’UDI est aligné avec ses collègues LR. « On va limiter, pour ne pas dire éradiquer tous les impôts, prélèvements et taxes qui ont proliféré à l’Assemblée, pour se limiter aux impôts essentiels », explique le sénateur des Hauts-de-Seine, bref, « on va décaper le budget ».

« Et bien entendu, on va revenir à des économies », ajoute Hervé Marseille. C’est même la principale ligne de conduite des sénateurs pour « donner du sens » au budget. Le sénateur centriste, Vincent Delahaye, qui vient de sortir un essai au titre évocateur, « Des économies, en veux-tu en voilà » (Ed. de l’Onde), pourrait donner quelques idées. Le sénateur de l’Essonne ne cache pas être carrément horrifié par la copie envoyée par les députés. « C’est effarant. Ce n’était déjà pas terrible au départ. On a déjà trop actionné le levier fiscal. Mais après l’Assemblée, c’est démentiel. Aujourd’hui, la copie issue de l’Assemblée nationale est inacceptable », prévient ce membre de la commission des finances.

« Aux alentours de 34/36 milliards d’euros d’économies »

L’été dernier, la majorité sénatoriale avait déjà planché sur ses mesures d’économies, à l’époque du budget version Bayrou. « Dans le travail que nous avions fait, on était aux alentours de 34/36 milliards d’euros d’économies. Pour nous, c’est l’objectif », soutient Jean-Raymond Hugonnet. Il faut encore cependant que tous les arbitrages soient confirmés.

Une nouvelle réunion est organisée mardi matin, autour de Gérard Larcher, avec les sénateurs du socle commun membres de la commission des finances et de la commission des affaires sociales.

« Le budget de la Sécu sort de l’Assemblée à – 24 milliards d’euros, c’est inconséquent », dénonce Elisabeth Doineau

Car l’autre gros morceau, c’est le budget de la Sécu. Faute de temps, les sénateurs examineront en commission ce samedi, du jamais vu, le rapport sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. « De toute façon, on vit l’inédit à chaque budget », ne peut que constater la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales.

Comme on le sait, le Sénat reviendra sur la suspension de la réforme des retraites, que la majorité sénatoriale avait elle-même inspirée. Concernant les déficits, elle entend revenir au texte d’origine. « On travaille depuis avril à des amendements pour être à 17,5 milliards d’euros de déficit pour la Sécurité sociale. Quand vous voyez que le budget de la Sécu sort de l’Assemblée à – 24 milliards d’euros, c’est inconséquent, c’est irresponsable », dénonce Elisabeth Doisneau, pour qui « c’est nier le fait que nous sommes sous surveillance de l’Union européenne, à cause du déficit excessif ». La sénatrice de la Mayenne insiste :

 Au Sénat, je ne manquerai pas de scander que nous devons revenir à 17,5 milliards d’euros de déficit pour la Sécu. 

Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat.

« On remettra le gel des prestations » et pas de hausse de la CSG

Et si les députés « ont eu de l’imagination à l’Assemblée » pour alourdir le déficit, « il pourrait y avoir beaucoup d’imagination aussi au Sénat », reconnaît-elle, « donc je me prépare à être celle qui dit non. Je suis un peu dans un rôle de censeur ».

Les sénateurs de droite et du centre resteront sur leur idée, défendue cet été, de l’année blanche. « On l’avait proposée. Donc on remettra le gel des prestations », supprimé par les députés sur les pensions de retraite et les minima sociaux. Et alors que les députés ont augmenté la CSG sur le capital, « la majorité sénatoriale n’est pas pour augmenter la CSG » prévient Elisabeth Doineau.

« Il semble de plus en plus probable qu’on aille vers les ordonnances, on se sera peut-être exprimé pour rien »

Face à des sénateurs échaudés depuis plusieurs semaines, la discussion risque de ne pas être évidente pour le gouvernement au Palais de Marie de Médicis. « Les sénateurs sont remontés car ils sont tenus à l’écart, ils sont montrés du doigt et en plus, ils ont une vision complètement différente », explique une figure de la majorité. « Le but n’est pas d’avoir un budget qui permette au gouvernement de tenir, c’est d’avoir un bon budget », soutient un autre…

Des discussions qui interrogent certains sénateurs, avant même que les débats n’aient commencé. Car beaucoup pensent que tout finira par une autre voie que le Parlement. « Il semble de plus en plus probable qu’on aille vers les ordonnances. On se sera peut-être exprimé pour rien. Mais on aura fait passer des messages ». On se console comme on peut.

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