Face au Sénat, le président de Vinci Autoroutes dément tout superprofit

Face au Sénat, le président de Vinci Autoroutes dément tout superprofit

Les sénateurs relancent des auditions de sociétés d’autoroutes, quelques semaines après la révélation d’un rapport très critique des services de l’État. Le président de Vinci Autoroutes conteste tout écart avec les modélisations réalisées au moment de la privatisation.
Guillaume Jacquot

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Le Sénat ne relâche pas la pression. En pleine polémique sur les bénéfices des sociétés d’autoroute et l’augmentation récente des tarifs des péages, la commission de l’aménagement du territoire a engagé un nouveau cycle d’auditions ce 29 mars sur le sujet, avec comme point d’horizon la préparation de la fin des concessions actuelles à partir de 2031. Deux ans après la fin de la commission d’enquête sur les concessions autoroutières, qui avait pointé leur « rentabilité hors normes », le secteur est plus que jamais dans le viseur des parlementaires. Mais plus seulement.

Désormais, les interrogations montent aussi au sein du gouvernement. Auditionné devant les députés le 22 mars, le ministre de l’Économie et des Finances a admis que les critères retenus pour calculer la rentabilité des investissements dans les sociétés d’autoroutes, au moment des privatisations en 2006, n’étaient « pas bons ». Un mois plus tôt, la Première ministre annonçait l’intention du gouvernement de les mettre à contribution pour financer une partie de son plan d’avenir pour les transports, compte tenu de leurs « profits importants ». La fuite en début d’année d’un rapport confidentiel de l’Inspection générale des finances (IGF) de 2021 qui avait conclu à « une rentabilité très supérieure à l’attendu » des sociétés d’autoroutes, explique probablement ce récent mouvement du gouvernement. Ce document a, depuis, été rendu public.

Face à cette rentabilité plus élevée que prévu, le ministère de l’Economie a même saisi le Conseil d’État sur la possibilité de raccourcir « de quelques années » la durée des concessions actuelles. Le ministère des Transports demande également aux juristes d’étudier « toutes les options fiscales ».

Le président de Vinci Autoroutes dénonce les débordements passionnels sur la question de la rentabilité

Les échanges sur le niveau de la rentabilité ont presque tourné au dialogue de sourds entre sénateurs et le dirigeant de Vinci Autoroutes, premier concessionnaire autoroutier de France. Dénonçant des « débordements passionnels » dans un débat qui « repose de moins en moins sur des considérations objectives », Pierre Coppey a contesté le tableau général, se référant d’ailleurs aux précautions inscrites dans le rapport de l’IGF. Les inspecteurs du ministère soulignent que les « écarts reposent sur un calcul très hypothétique et doivent être interprétés avec une grande prudence ».

Prenant le soin d’insister sur les investissements massifs à venir en faveur de la décarbonation des transports, le président de Vinci Autoroutes s’est surtout référé au récent rapport de l’Autorité de régulation des transports (ART). « On est exactement dans les termes du modèle tel qu’il avait été contractualisé au moment de la privatisation », s’est défendu Pierre Coppey, estimant le sujet « purgé » par l’ART.

Auditionné avant lui, l’ancien rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale anticipait cette défense. « Les sociétés d’autoroutes se servent beaucoup de l’ART », a prévenu le centriste Vincent Delahaye. Mais d’après sénateur de l’Essonne, l’IGF et l’ART n’ont pas procédé aux mêmes calculs. Les seconds ont étudié la rentabilité des projets, quand sénateurs et inspecteurs de l’IGF se sont penchés, eux, sur la rentabilité attendue pour actionnaires.

S’appuyant sur les calculs du Sénat, l’ancien rapporteur a affirmé que la rentabilité, attendue par les actionnaires qui ont investi dans Vinci Autoroutes (environ 8 %), serait atteinte à la fin 2023, soit bien avant l’expiration de la concession en 2036. « Pour Vinci, les 8 % seront atteints, même si Vinci fait zéro jusqu’à la fin du contrat […] Je ne vois pas pourquoi on pourrait dénoncer des contrats quand l’équilibres est atteint », s’est étonné le sénateur.

« Vous dites que c’est compliqué, on essayera de comprendre »

Peu convaincu par la méthodologie sénatoriale, Pierre Coppey a appelé à prendre en compte « l’ensemble du sujet ». « Les concessions d’autoroutes sont des sujets très capitalistiques, très compliqués, très anciens », a insisté le dirigeant d’entreprise. Sa réponse n’a pas manqué de faire réagir dans la salle d’audition. « Vous dites que c’est compliqué, avec un petit effort, on essayera de comprendre », a répondu, un peu mordant, l’orateur du groupe Les Républicains, Bruno Belin. Gérard Lahellec, sénateur communiste, s’est étonné pour sa part des réponses de Vinci Autoroutes. « Je voudrais vous demander si vous preniez la mesure de l’émotion que suscite cette situation dans l’opinion publique. »

Interrogé par Public Sénat à l’issue de la rencontre, Vincent Delahaye a fait part de son insatisfaction vis-à-vis du discours du président de Vinci Autoroute concernant le niveau de la rentabilité. « J’aimerais qu’il apporte des éléments précis, parce que comme d’habitude il n’y a rien de précis […] Eux, ils disent attendons la fin des contrats pour voir si c’était rentable ou pas. C’est bien gentil mais ce sera beaucoup trop tard. On sait que nos prévisions sont en ligne avec les prévisions des sociétés d’autoroutes donc on peut d’ores et déjà considérer qu’il y a une rentabilité très forte qui provient de ces contrats. »

De son côté, le socialiste Hervé Gillé est d’avis qu’il va falloir « approfondir ce sujet car il y a polémique ». « Les sociétés concessionnaires s’arc-boutent sur ce sujet-là, donc il faut le démonter. »

Auditionné dans la foulée, Arnaud Quémard, directeur général de la Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France (Sanef) a tenu à rappeler que la concession était également un « transfert de risque ». Moins sur la défensive que son homologue de Vinci Autoroutes – il faut dire que la commission d’enquête constatait que les résultats étaient « en ligne avec les prévisions » – Arnaud Quémard a déclaré que le système actuel avait montré « ses avantages ». Pour autant, il a considéré qu’il fallait « réinventer le modèle tout en n’obérant pas l’avenir ». « Je pense que ce modèle doit absolument perdurer, peut-être avec un meilleur encadrement de la rentabilité, peut-être avec un contrôle renforcé mais tout en gardant, dans le cadre d’appel à la concurrence, de nouvelles concurrences, un caractère attractif pour des investisseurs qui ne sont pas forcément que des investisseurs français. »

En fin d’audition, le socialiste Olivier Jacquin a suggéré au président de la commission, Jean-François Longeot, d’entendre prochainement les ministres de l’Economie et des Transports. Pour Vincent Delahaye, l’enjeu des parlementaires est « d’essayer de mettre la pression sur l’État et le gouvernement » afin de « rééquilibrer le rapport de force avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes ». Remonté contre « la langue de bois » ou « l’absence de transparence totale » qui avaient caractérisé selon lui les auditions durant la commission d’enquête, l’ancien maire de Massy considère que les autoroutes font actuellement « un raisonnement à court terme ».

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