Com’ un air de déjà-vu. L’idée de « labellisation » des médias, qui serait portée par les journalistes et non l’Etat, évoquée par Emmanuel Macron, a suscité une polémique, lancée par les médias du groupe Bolloré, les LR et le RN (lire notre article sur le sujet). Face aux « fausses informations » qui se sont propagées, l’Elysée a décidé de répondre, et vite. Surprenant ? Ce n’est pourtant pas une première.
Le cas de ce début de semaine est symptomatique. Dimanche, le JDD affiche à sa Une : « Vers un contrôle de l’information », photo du chef de l’Etat à l’appui. Un article est même titré « Emmanuel Macron : la tentation du ministère de la Vérité ». Une référence explicite à 1984, roman dystopique de George Orwell, qui décrit une société totalitaire. L’éditorialiste vedette de C News, Pascal Praud, prend le relais et dénonce la « tentation autoritaire d’un Président mécontent du traitement médiatique, qui souhaite imposer un récit unique », parlant de « Pravda ».
« A la viralité, il faut répondre par la viralité »
Face à la montée du sujet, l’Elysée décide de répliquer, via son compte X (ex-Twitter). « Quand parler de lutte contre la désinformation suscite la désinformation… » répond la présidence, s’appuyant sur une vidéo, qui reprend les codes des réseaux. On voit un extrait de l’édito de Pascal Praud, avec écrit « attention, fausse information », puis la vidéo montre des extraits des propos du chef de l’Etat, pour entendre ce qu’il a exactement dit. Une vidéo qui a été préalablement vue par le Président, avant sa diffusion.
Ce qui est à l’œuvre, c’est en réalité la nouvelle stratégie de l’Elysée face aux fake news : ne plus laisser passer. « Nous assumons un virage depuis quelques mois », confirme à publicsenat.fr l’entourage d’Emmanuel Macron. Plutôt qu’ignorer, attitude observée dans le passé, l’exécutif riposte, quand le sujet prend de trop fortes proportions. Et c’est souvent le cas. « A la viralité, il faut répondre par la viralité. Dans ce cas, un communiqué n’a que peu d’impact », explique l’entourage du chef de l’Etat.
« Si une fausse information touchant la Présidence est grave et virale, on dément »
Ce virage, on a commencé à l’observer depuis plus de huit mois. Le 9 mars, la présidence « dément » sur X « avoir employé les termes « faire peur » qui lui sont prêtés dans l’édition du jour du JDD ». Le lendemain, c’est une publication d’un article de Blast, qui affirmait faussement qu’Emmanuel Macron était sur le point d’acheter… une Aston Martin DB9, celle de James Bond, qui est dans le viseur. « Un 1er avril cela aurait pu être drôle, mais il s’agit d’un honteux mensonge. C’est faux et grotesque. Par ailleurs Blast n’a pas contacté l’Élysée avant de publier son article », recadre sur X l’Elysée. La réponse est à l’écrit, mais l’idée est là : étouffer dans l’œuf l’infox.
Rebelote, lors d’un déplacement d’Emmanuel Macron à Kiev, avec une vidéo prise dans le train, aux côtés d’autres dirigeants européens. Le Président tenterait de dissimuler avoir pris de la cocaïne, un mouchoir étant pris pour un sachet blanc. « Une soirée cocaïne entre copains ? » demande un compte conspirationniste. La rumeur est relayée notamment par plusieurs comptes pro russes. Cette fois, c’est en anglais, photos à l’appui, que l’Elysée dément. « Ceci un mouchoir pour se moucher », dit le texte sur la photo…
« L’effet Streisand n’est plus la bonne grille de lecture à l’ère des réseaux sociaux »
Répondre ne va pourtant pas de soi à la base. Car jusqu’il y a peu, on conseillait de ne pas réagir. « Il y a toujours un dilemme. Est-ce qu’il faut faire exister ces contenus ? Dans les écoles de communication, avant, on disait qu’il ne fallait jamais démentir pour ne pas faire exister la fausse information. Mais nous avons changé d’époque. L’effet Streisand n’est plus la bonne grille de lecture à l’ère des réseaux sociaux », explique un proche du chef de l’Etat. Pour rappel, voyant qu’un site avait publié une photo de sa demeure en Californie, la chanteuse Barbra Streisand attaqua en justice, donnant finalement plus d’exposition au sujet.
Mais pour les soutiens du chef de l’Etat, il n’y avait ce coup-ci pas de doute à avoir. « C’est de manière caractérisée une fausse information. Un ministère est une entité étatique. Or le Président a dit précisément que l’Etat ne devait jamais être celui qui crée ou gère un label. C’est caractérisé, c’est grave, c’est viral. C’est pour ça que l’Elysée a répondu », soutient un proche, qui insiste : « Là, on a franchi une limite ». Une limite où l’idée de totalitarisme est évoquée.
« C’est tellement insupportable de se faire éclater la tronche tous les matins » souligne Gaspard Gantzer
Pour Gaspard Gantzer, ancien conseiller en communication de François Hollande, quand ce dernier était Président, la réponse de l’Elysée est compréhensible. « Je ne sais pas si c’est positif ou négatif. En revanche, je comprends qu’ils le fassent. C’est tellement insupportable de se faire éclater la tronche tous les matins, de devoir gérer de la désinformation en permanence, ça doit être frustrant de ne pas réagir. Ils considèrent que c’est un combat et qu’il faut le mener. Je ne sais pas si c’est efficace, mais je comprends qu’ils le fassent. Psychologiquement, ça fait du bien de se battre. Même si c’est peut-être peine perdue », avance Gaspard Gantzer, qui est aujourd’hui à la tête de Gantzer Agency.
A son époque, la question pouvait se poser, mais pas de la même façon, ni avec la même ampleur. « Nous, on le faisait un peu de répondre, mais plutôt auprès de la presse, car ça se jouait plutôt au niveau des médias que des réseaux. Avec le compte de l’Elysée, il nous est arrivé de répondre de temps en temps, mais c’était vraiment rare. Et surtout, il n’y avait pas le même charivari de fake news permanentes et de désinformation », se souvient l’ancien conseiller en communication de l’Elysée.
« L’Elysée lutte pied à pied, ce qui est absolument nécessaire », salue Philippe Moreau-Chevrolet
Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique, salue de son côté cette « nouvelle orientation » stratégique. « L’Elysée lutte pied à pied, en étant dans le fact checking, le démenti systématique, en sautant sur chaque balle, ce qui est absolument nécessaire et bienvenu », soutient le président de MCBG Conseil.
Pour répondre, « ils essaient de reprendre les codes. Ils veulent lutter à armes égales. Ils ont raison, c’est ce qu’il faut faire », insiste le spécialiste en communication. « L’effet Streisand n’existe virtuellement plus aujourd’hui », confirme le communicant. « A partir du moment où la rumeur sort, ça devient instantanément viral. Avant, on disait que répondre, c’était remettre une pièce dans le jukebox. C’est une vieille grille d’analyse. Aujourd’hui, il faut répondre pour créer un précédent et ne pas laisser la rumeur enfler sans avoir défendu sa vérité, sa thèse », ajoute cet expert en com’.
« Emmanuel Macron aussi est un grand brûlé des réseaux sociaux »
Mais le contexte général ne suffirait pas à expliquer ce virage. Selon Philippe Moreau-Chevrolet, ce changement de stratégie serait également « lié, très probablement, à l‘affaire Candace Owens, c’est-à-dire les rumeurs sur l’identité sexuelle de Brigitte Macron. L’Elysée en a tiré les leçons et a décidé de prendre un ton beaucoup plus offensif. C’est-à-dire d’une part dans la riposte juridique. Et d’autre part en luttant contre la désinformation ».
On parle ici de l’affaire Jean-Michel Trogneux, une infox délirante selon laquelle la première dame serait née homme, sous le nom de « Jean-Michel Trogneux », qui est celui de son frère. Une rumeur qui a prospéré et prospère sur les réseaux, en particulier sur X.
L’épisode n’a pas laissé le chef de l’Etat indifférent. C’est en effet également l’un des facteurs qui permet d’expliquer ce changement de braquet dans la communication de l’Elysée. « Lui aussi, c’est un grand brûlé des réseaux sociaux », résume un proche d’Emmanuel Macron. « En 2016, il y a eu les Macron leaks avec les échanges de mails de la campagne. Ensuite, après le discours à la Sorbonne sur Samuel Paty, il y a eu des discours de haine sur les réseaux sociaux. Puis il a aussi été victime à titre personnel. De fait, il est victime de ça », développe le même.
« La vraie puissance de l’Etat, ce n’est pas d’aller sur les plateformes, c’est de réguler le secteur »
Si les fake news ont pignon sur rue, c’est aussi, et peut-être d’abord, grâce à l’évolution de X. « Depuis le rachat de Twitter par Elon Musk et encore davantage la campagne présidentielle américaine, tous les experts observent que des contenus très viraux, très rapides sont poussés artificiellement par les algorithmes », note un proche du chef de l’Etat.
Pour Philippe Moreau-Chevrolet, il faudrait aller plus loin sur ce plan. « L’Elysée montre une belle adaptation, franchement c’est bien, c’est une initiative excellente. Mais ce n’est pas suffisant », soutient le communicant, pour qui « le vrai déterminant, c’est la régulation. La vraie puissance de l’Etat, ce n’est pas d’aller sur les plateformes. C’est de réguler le secteur et d’assurer de le faire et d’imposer des règles communes, claires, à tout le monde ».
« Interdire X » ? « 1881 des plateformes » ?
Des mesures sont justement dans les cartons, comme l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans – le groupe Renaissance a déjà déposé une proposition de loi sur le sujet. Mais certains phosphorent et Emmanuel Macron, qui multiplie les déplacements sur les dangers des réseaux depuis la rentrée, compte agir. Reste encore à arbitrer. Entre la question de l’anonymat – faut-il laisser sa pièce d’identité derrière chaque compte ? – de l’open source, le sujet des bots, des ingérences étrangères, des fakes news, de la responsabilité éditoriale des plateformes, voire l’idée « d’interdire X », imagine un soutien du chef de l’Etat, qui s’interroge aussi sur « un 1881 des plateformes », à l’image de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, on voit que les sujets sont nombreux.
Dans l’immédiat, Gaspard Gantzer pense avoir trouvé la solution : « Je serais à leur place, je laisserais tomber X, c’est vraiment une poubelle. Je ne vois plus aucun intérêt à être sur X. C’est devenu Minute (magazine d’extrême droite, ndlr). Il faut les laisser à leur juste place, c’est-à-dire un réseau social d’extrême droite ».