La dissolution est une bombe à fragmentation dont les effets se font sentir encore des mois après. L’Assemblée balkanisée a abouti à la censure du gouvernement Barnier. La prochaine étape sera-t-elle l’explosion en vol de l’union de la gauche ? Le Nouveau Front Populaire (NFP) est mis à mal depuis que les socialistes ont fait un pas vers le socle commun pour tenter de trouver une sortie de crise, via la recherche d’un pacte de non-censure pour avancer sur quelques grands sujets. La France Insoumise (LFI) ne veut pas en entendre parler et lâche depuis ses coups contre le numéro 1 du PS, Olivier Faure.
Vendredi, sur France Info, avant de rencontrer Emmanuel Macron, le député PS de Seine-et-Marne est allé loin. Il s’est dit prêt à des « négociations », évoquant la recherche de financement sur les retraites et un gel de la réforme, plutôt que l’abrogation. Aux côtés de Patrick Kanner et de Boris Vallaud, à la tête des groupes PS de l’Assemblée et du Sénat, il porte cependant un discours plus ferme devant le chef de l’Etat : le numéro 1 PS demande un premier ministre de gauche et des mesures issues du programme du NFP.
Fureur de leader insoumis. Si le PS conclut un accord avec Emmanuel Macron pour former un gouvernement, « le Nouveau Front populaire continuera sans eux », prévient Jean-Luc Mélenchon dimanche dans un entretien aux journaux italien et espagnol, La Reppublica et El Pais. « Nous avons été mis devant le fait accompli », regrette l’ancien candidat à la présidentielle, dénonçant la « méthode extrêmement brutale » et « personnelle » d’un Olivier Faure qui « veut être premier ministre pour la gauche ». Sur son blog, il pointe encore un « comportement déloyal et mortifère pour l’image de la coalition dans nos milieux sociaux. Le PS a la censure honteuse ».
« Nous ne sommes pas pour une censure systématique, s’il y des avancées, des bougés », affirme Patrick Kanner (PS)
Bref, le groupe vit bien. Le PS serait-il en train de s’isoler au sein du NFP, le rêve des macronistes ? « Moi, j’ai le sentiment que le PS n’est pas isolé, les écologistes et les communistes vont à l’Elysée aujourd’hui, soucieux de quoi ? Des Françaises et des Français », a rétorqué ce matin sur France Inter, Boris Vallaud, disant préférer « des avancées mêmes modestes dans le sens de la gauche que de grands reculs vers l’extrême-droite ». « Nous ne sommes pas pour une censure systématique, s’il y des avancées, des bougés. Le premier ministre devra en tenir compte. Ce n’est pas une main tendue, mais c’est du réalisme politique », ajoute de son côté Patrick Kanner.
Pour le président du groupe PS du Sénat, la question est « de respecter nos électeurs. Ceux du NFP du premier tour, et aussi du front républicain au second tour des législatives. Je n’oublie pas que nombre de nos députés ont été élus grâce au front républicain ». Le président du groupe PS pointe la position de LFI, qu’il juge guidée par la seule ambition de son leader. « Mathilde Panot (présidente du groupe LFI, ndlr) dit tout le programme du NFP, rien que le NFP. J’interprète ça comme « tout Mélenchon, rien que Mélenchon ». Donc c’est non, c’est définitivement non », lâche à publicsenat.fr l’ancien ministre de François Hollande. Patrick Kanner résume sa position :
Emmanuel Macron propose une nouvelle méthode, « un premier pas pour travailler en confiance », salue Marine Tondelier
De son côté, la patronne des écologistes Marine Tondelier, après avoir accusé Emmanuel Macron de chercher à « fracturer le NFP » en isolant le PS, est sortie satisfaite de sa rencontre avec le chef de l’Etat, ce lundi. Alors que le Président veut mettre tout le monde « autour de la table », elle salue une nouvelle méthode, « un premier pas pour travailler en confiance ». « Nous, Ecologistes, serons à la table. J’imagine que les socialistes y seront. J’imagine que les communistes y seront. Je sais aussi que nous avons plus de poids dans cette discussion si les Insoumis viennent », ajoute Marine Tondelier.
Reçus également, les communistes assument la main tendue. « Pour qu’on avance, on ne vient pas en mettant des préalables sur des noms, des propositions, des lignes rouges. On est dans une situation qui est compliquée pour le pays. […] Il faut qu’on ait conscience de cela et que chacun fasse un pas. On est venus avec cette idée : que chacun fasse un pas vers l’autre. On est venu faire un pas ce matin », assure Fabien Roussel, entouré du président du groupe communiste de l’Assemblée, André Chassaigne, et de la présidente du groupe CRCE-K (communiste) du Sénat, Cécile Cukierman.
« Si le PS choisissait de soutenir un gouvernement Barnier bis, de fait il aurait rompu avec le programme du NFP et la coalition législative », prévient Paul Vannier (LFI)
A LFI, Eric Coquerel, président de la commission des finances de l’Assemblée, pense au contraire que « ce n’est pas au Président de réunir des partis pour voir comment on fait un gouvernement. Rien que le fait de discuter avec lui, c’est lui donner un rôle qu’il ne devrait pas avoir », pointe le député, alors que LFI a refusé de rencontrer le chef de l’Etat. « Là, il est en train d’essayer de débloquer la situation, et ce que je reproche à nos partenaires NFP est de tomber dans son piège, qui est un piège pour diviser le NFP et pour montrer qu’il est encore maître du jeu », pointe aussi Eric Coquerel.
Paul Vannier, responsable des élections à LFI et l’un des artisans du NFP, prévient : « Si le PS choisissait de soutenir un gouvernement Barnier bis, avec Attal, Wauquiez ou Retailleau, c’est de fait qu’il aurait rompu avec le programme du NFP et la coalition législative qui auront permis l’élection de ses partenaires ». Il ajoute : « Renoncer, ligne par ligne, au programme du NFP, pour nous députés Insoumis, élus sur la base de ce programme dans le cadre d’une mobilisation historique, ce n’est pas une solution ».
« Un pacte de non-censure, c’est un pacte politique, d’une manière ou d’une autre »
LFI reproche au fond au PS de ne pas dire les choses clairement. « Un pacte de non-censure, c’est un pacte politique, d’une manière ou d’une autre », soutient le président de la commission des finances. Eric Coquerel craint « des choses tellement édulcorées ». « S’ils partent sur des choses qui n’engagent à rien, c’est qu’ils préfèrent le maintien de la politique d’Emmanuel Macron à la stratégie de rupture avec le macronisme », soutient l’élu LFI.
Visant toujours la démission du chef de l’Etat, Paul Vannier pointe « toute cette comédie de négociation, de combinaison, qui ne mène nulle part et profite à Macron. Elle lui permet de gagner du temps et d’écarter la question véritable, celle de son départ. C’est une manœuvre de diversion ».
« Il y a des enjeux de congrès pour le poste de premier secrétaire du PS »
Reste que l’évolution d’Olivier Faure en a surpris plus d’un. « C’est un virage important », constate un socialiste. Elle peut aussi se lire par des logiques internes au Parti socialiste, en vue du prochain congrès en 2025. Réélu de justesse, après contestation, en 2023, le numéro 1 du PS est sous pression de son aile la plus sociale-démocrate, qui goute peu le pas de deux avec LFI. En leur donnant des gages, ce serait une manière de conserver le pouvoir et de faire taire les critiques.
« Il y a des enjeux de congrès pour le poste de premier secrétaire. D’autant qu’il peut y avoir d’autres candidats, y compris dans sa propre sensibilité », confirme un socialiste, évoquant le nom de Boris Vallaud.
« Olivier Faure fait un glissé tactique, en disant je ne suis pas si accroché que ça à LFI »
Au sein du bloc central, on lit « le bougé » du premier secrétaire également ainsi. « Olivier Faure est un bon tacticien. Il se dit que LFI est frappée d’indignité, que lui a vocation à être le chantre de l’autre gauche. Il fait un glissé tactique, en disant je ne suis pas si accroché que ça à LFI. On est indépendant dans l’interdépendance… » s’amuse l’un des responsables de l’ex-majorité présidentielle.
Même analyse de la part d’Eric Coquerel. « Il y a des logiques très internes : prendre la position des droitiers du PS pour pouvoir se maintenir et garder la majorité », lâche le député LFI de Seine-Saint-Denis. « Ce qui m’intéresse, c’est le sort du pays et pas celui du PS », ajoute Paul Vannier.
Patrick Kanner rétorque que LFI n’agit qu’à l’aune de l’intérêt d’un seul homme, le leader de La France Insoumise. « On ne peut pas résumer l’avenir de la gauche et de la France à l’avenir électoral de Jean-Luc Mélenchon. Ça ne peut pas être l’alpha et l’oméga. Pour LFI, le seul objectif c’est une présidentielle pour Mélenchon, on le voit de plus en plus », dénonce Patrick Kanner.
« Il y aura un point de non-retour, si le PS va au bout de ce processus », selon Eric Coquerel
Un point rassemblera au moins ces deux gauches : ce ne serait plus un problème de partir séparé à la présidentielle. « Il faut arrêter avec ce fantasme du candidat unique, c’est une faute politique, un contresens absolue », pour Patrick Kanner, qui rappelle les victoires de 1981 et de 2012, avec plusieurs candidats de gauche. « En 2022, c’était la division de la gauche et Jean-Luc Mélenchon a fait 22% », ajoute l’insoumis Paul Vannier.
Alors le divorce est consommé ? Pas encore. Tout dépend de la suite des événements. « Il n’y a pas de point de non-retour. Il y aura un point de non-retour, si le PS va au bout de ce processus », avance Eric Coquerel, qui « espère qu’ils vont revenir à la raison ». S’ils reviennent, on annule tout en somme. Ou presque.