À peine arrivée au Palais du Luxembourg, les propositions de loi (organique et ordinaire) contre la manipulation de l’information - dites lois « fake news » - pourraient ne pas être débattues dans l’hémicycle : elles sont l’objet de multiples motions de rejet.
Jugées « bâclées » par le président de la commission des lois, Philippe Bas, son homologue de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly, les trouve « inutiles », et même « dangereuses » pour la liberté d’expression. « On touche là à une liberté fondamentale, défendue par la Constitution et la Déclaration des droits de l’Homme », met en garde le sénateur LR de la Manche.
« Une mesure inefficace et potentiellement dangereuse »
Déposés le 21 mars dernier par les députés LREM, emmenés par Richard Ferrand, les textes ont pour objectif de lutter contre les « fake news » sur Internet en permettant, entre autres, qu’une décision judiciaire puisse être rendue dans de brefs délais pour faire cesser leur diffusion. Une action judiciaire limitée aux périodes préélectorales et électorales, pendant lesquelles les « fausses informations » sont les plus virulentes. « Donner la responsabilité à l’État ou à l’institution judiciaire de dire le vrai du faux est le grand danger de la chose (...) Les vérités d’État sont dangereuses » avait déclaré au Monde Pascal Froissart, enseignant-chercheur spécialiste de la rumeur.
« C’est une mesure inefficace et potentiellement dangereuse, attentatoire à la liberté d’expression et de la presse » répète Catherine Morin-Desailly pour justifier le rejet de cette disposition par la commission de la culture, dont elle est à la tête. Au-delà de l’action judiciaire en elle-même, c’est le délai de 48h qu’aurait le juge des référés pour statuer qui inquiète la sénatrice centriste, également rapporteure des textes : « 48h, c’est à la fois très court et trop long. Trop long car une fois la fausse nouvelle lancée, la viralité permise par les réseaux sociaux aura fonctionné et des centaines de milliers de personnes seront déjà atteintes. Trop court car démontrer une manipulation avérée d’une nouvelle fausse pour déstabiliser le scrutin est extrêmement compliqué. »
Une définition « floue »
Le recours au juge n’est qu’une des raisons pour lesquelles les sénateurs de tous bords - socialistes, LR et de l’Union centriste - rejettent en bloc les textes. Catherine Morin-Desailly regrette le « flou » de la définition même de « fake news » dans les propositions de loi. « Nos collègues députés se sont cassé les dents sur cette question lors du débat et une définition a été réécrite, mais elle ne donne toujours pas satisfaction », regrette-elle. Et d’ajouter qu’il est « difficile de légiférer sur quelque chose d’imprécis ».
« L’arsenal législatif existe déjà »
Finalement, c’est l’existence même des textes qui pose problème : « De nombreuses dispositions permettent de lutter contre la calomnie et la diffamation » rappelle Philippe Bas. Et Catherine Morin-Desailly de confirmer que « l’arsenal législatif existe déjà dans le Code électoral, le Code pénal et la loi de 1 881 (sur la liberté de la presse), mais les dispositifs ne sont pas utilisés. » Le sénateur LR va même jusqu’à ironiser : « Nous sommes submergées par l’hyper législation qui est un mal français, et c’est un président de la commission des lois qui vous le dit. » D’autant qu’il est « très important de traiter ces questions au niveau européen » plutôt que de « dégainer la loi à chaque fois qu’un problème est posé » ajoute Philippe Bas.
Jeudi prochain, les sénateurs sont déterminés à faire valoir le statut de « défenseur des libertés publiques » de la chambre haute. « Le Sénat réaffirme les fondamentaux de la Constitution à la veille de la réforme constitutionnelle », conclut Philippe Bas, bien déterminé à rappeler à l’ordre l’exécutif. La veille, au début de l’examen de la loi ELAN, Gérard Larcher avait demandé à Édouard Philippe de respecter la voix du Sénat. Le ton est donné.