Faut-il changer la loi après la condamnation de Marine Le Pen ?

Des voix s’élèvent pour demander une révision des textes, après la condamnation de Marine Le Pen qui l’empêche de se présenter en 2027. François Bayrou invite le Parlement à « la réflexion sur l’état de la loi », pointant « les décisions potentiellement porteuses de conséquences irréversibles, (qui) ne sont pas susceptibles d’appel ». Le sénateur LR et avocat Francis Szpiner soutient lui un changement, affirmant que « la loi pose problème, car elle vide de son sens l’appel ».
François Vignal

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La condamnation de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics, dans l’affaire des assistants parlementaires du RN, assortie de cinq ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire, soit application immédiate, est largement commentée. Cette décision bouleverse la vie politique française et rebat les cartes. Elle empêche la responsable du RN de se présenter à la présidentielle 2027. Au point que certains appellent à revoir les lois qui ont permis aux juges de prendre cette décision.

« C’est au Parlement, quand il s’agit de s’interroger, de prendre ses responsabilités », soutient François Bayrou

Même le premier ministre, François Bayrou, exprime ses doutes. Dans une série de réponses alambiquées, lors des questions d’actualité au gouvernement, il n’a pas caché ses critiques sur la décision des juges… tout en défendant la décision. Un « en même temps » très macrono-centriste.

« Il se trouve que le seul point de l’exécution provisoire fait que des décisions lourdes et graves ne sont pas susceptibles de recours. Les décisions potentiellement porteuses de conséquences irréversibles ne sont pas susceptibles d’appel. Je l’ai dit comme citoyens à différentes reprises », a soutenu François Bayrou, sous le brouhaha de l’hémicycle. Mais s’il exprime une forme de critique, en tant que « citoyens », comme premier ministre, il rappelle que « les principes de droit font que les décisions de justice sont protégées, que les magistrats doivent être soutenus et c’est au Parlement, quand il s’agit de s’interroger, de prendre ses responsabilités », affirme le premier ministre, qui a par ailleurs été relaxé dans l’affaire des assistants parlementaires européens de l’UDF puis du Modem.

« Je pense qu’il y a des questions à se poser. Je l’ai fait moi-même » affirme le premier ministre

« Il n’y a pas de passe-droit », a-t-il ensuite assuré dans une seconde réponse, tout en ajoutant : « Pour vous, la réflexion doit être conduite. Je n’ai pas l’intention de mélanger les discussions sur un jugement, que je soutiens, que je ne commente pas, avec la réflexion sur l’état de la loi, qui appartient au Parlement. Et cette réflexion sur l’état de la loi mérite d’être constamment réfléchi et pris en compte (sic) ».

« La loi à partir de laquelle les juges ont pris leur décision a été votée par le Parlement de la République », a-t-il rappelé dans une troisième prise de parole, mais « je pense qu’il y a des questions à se poser. Je l’ai fait moi-même ». Pour modifier la loi, « la démarche est très simple. Vous annoncez que vous allez déposer une proposition de loi, qui sera examinée par la Parlement dans ses deux chambres, et c’est le Parlement qui décidera si oui, ou non, il faut toucher à l’écriture de la loi », avance François Bayrou, répondant au président du groupe UDR, Eric Ciotti, qui a annoncé que son « groupe portera dans sa niche de juin une proposition de loi pour supprimer l’exécution provisoire pour les peines d’inéligibilité ». Il s’en remet donc au Parlement, pour ne pas dire l’incite, à modifier éventuellement la loi.

La condamnation de Marine Le Pen n’est pas l’application de la loi Sapin 2

Mais quelle loi ? Concernant le procès du RN et de Marine Le Pen, contrairement à ce qui a pu être dit dans un premier temps, la condamnation n’est pas l’application de la loi Sapin 2 (lire notre article pour plus de détails). Ce texte, promulgué le 9 décembre 2016, prévoit obligatoirement une peine complémentaire d’inéligibilité pour les infractions liées au manquement au devoir de probité des personnes dépositaires de l’autorité publique.

Or les faits pour lesquels Marine Le Pen a été jugée coupable « ont pris fin au plus tard le 15 février 2016 et non le 31 décembre 2016 », écrivent les juges dans leur délibéré, publié par le site Les Jours. « Dès lors », les dispositions de la loi Sapin 2 « qui rendent obligatoire le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité à l’encontre notamment de toute personne coupable de détournement de fonds publics ne sont en l’espèce pas applicables », est-il écrit. Et de préciser qu’« il s’agit donc d’une possibilité pour le tribunal de prononcer notamment, à titre complémentaire », une peine d’inéligibilité. Mais dans le point suivant, les juges détaillent l’esprit de la loi Sapin 2, laissant entendre que ce contexte de durcissement de la législation a pu jouer dans leur décision… Quant à l’exécution provisoire, c’est l’application de l’article 471, alinéa 4, du code de procédure pénale. Donc rien à voir avec la loi Sapin 2.

Si le législateur souhaite, à l’avenir, éviter une condamnation pour inéligibilité dans un cas similaire à Marine Le Pen, il faut donc changer le code de procédure pénale, ce qui n’empêche pas de modifier aussi la loi Sapin 2, pour des faits à partir de décembre 2016.

« On est arrivé à un point où on vide de sa substance l’appel. Le droit d’appel, le double degré de juridiction, c’est un droit fondamental », défend Francis Szpiner

Au lendemain du jugement, l’idée de modifier la loi tente au Sénat, justement, une partie des sénateurs, notamment chez les LR, à l’image du sénateur de Paris, Francis Szpiner. « On ne peut pas reprocher aux juges d’appliquer la loi. Donc les attaques contre la justice ne sont pas convenables. Lorsque vous donnez un pouvoir à un juge et qu’il l’exerce, il ne fait qu’appliquer la loi », commence le sénateur LR de Paris, qui est également avocat (voir la première vidéo, images de Cécile Sixou). En revanche, « la question se pose de savoir si la loi est adaptée. Je pense que la loi pose problème. Car elle vide de son sens l’appel. Pour un élu local par exemple, vous êtes maire, l’inéligibilité est appliquée avec exécution provisoire, vous perdez votre mandat de maire, quand bien même vous seriez relaxé à la Cour. C’est ce que j’appelle le dommage irréversible. Et ça porte atteinte aussi à la présomption d’innocence ». Donc « ou la loi pose problème. Car elle vide de son sens l’appel », il faut revoir la loi, « car on est arrivé à un point où on vide de sa substance l’appel. Le droit d’appel, le double degré de juridiction, c’est un droit fondamental. Or ce droit se retrouve réduit à néant », dénonce celui qui est aussi candidat à la mairie de Paris.

Au passage, avec sa casquette d’avocat, Francis Szpiner dénonce les motivations de la juge sur l’exécution provisoire. Elle pointe la ligne de défense de Marine Le Pen, qui nie toute faute. Les juges voient un risque de récidive et de trouble à l’ordre public démocratique, si Marine Le Pen se présente en 2027, justifiant à leurs yeux l’exécution provisoire. « C’est le plus inquiétant : juger quelqu’un en fonction de son mode de défense. On a le droit de contester les faits. Et le juge a le droit de ne pas vous croire, […] mais en tirer des arguments, sur la manière dont vous vous défendez, ça m’apparaît tout de même étonnant ». Francis Szpiner y voir « un glissement qui devrait inquiéter. On se défend comme on veut ».

« Il ne faut pas tomber dans la législation d’émotion », met en garde le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet

La sénatrice LR de Loire-Atlantique, Laurence Garnier, estime que s’il ne faut « pas commenter les décisions de justice », « en tout état de cause, ça pose un vrai problème pour la démocratie. C’est une évidence ». Faut-il alors changer la loi ? « Il faut regarder les choses de près. La loi n’est pas toujours l’alpha et l’oméga », tempère l’ancienne ministre, « il faut regarder ça finement ».

Jean Raymond Hugonet défend pour sa part une ligne nuancée sur le sujet. S’il « ne sait pas, si à l’époque, c’était une bonne chose » de voter la loi Sapin 2, il ne défend pas une modification des textes pour autant. « Je reproche souvent, quand on est parlementaire – et ça arrive de plus en plus au Sénat malheureusement – qu’on soit dans la législation d’émotion. Je ne suis pas tout à fait favorable à cela. Le remède peut devenir pire que le mal. Et on le voit en ce moment », souligne le sénateur LR de l’Essonne. Pour lui, « il ne faut pas changer la loi ». « Il ne faut pas tomber dans la législation d’émotion. Une fois que c’est fait, si on s’amuse à changer la loi tous les quatre matins, on n’y comprend plus rien », insiste Jean-Raymond Hugonnet.

« Il faudra peut-être en tirer les conséquences pour l’avenir, et peut-être faire évoluer les textes de loi », selon Hervé Marseille

De son côté, le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, n’écarte pas une révision de la loi. Face à un jugement « sévère », il se dit « assez mal à l’aise avec le fait qu’on empêche un candidat (…) de pouvoir concourir devant le suffrage universel ». Le président de l’UDI estime que « si le Parlement veut se saisir à nouveau de ce sujet, il le pourra, en changeant la loi. Et en faisant en sorte qu’il prévoit des peines différentes ».

« Il faudra peut-être en tirer les conséquences pour l’avenir, et peut-être il faudra faire évoluer les textes de loi », insiste-t-il. Un groupe parlementaire aura « tout loisir » de déposer un texte, « encore faut-il qu’il y ait une majorité pour s’en saisir. Notamment à l’Assemblée, ce dont je doute ». Mais pour ce qui est du cas Le Pen, pour le sénateur des Hauts-de-Seine, « les juges n’ont pas fait de politique. Ils ont appliqué la loi ». Regardez :

« Si la loi Sapin 2 permet de dire à tous les élus, attention, vous ne pouvez pas faire n’importe quoi, je pense qu’il ne faut pas la changer », soutient Patrick Kanner

Il faut aller chercher Patrick Kanner, président du groupe PS, pour réellement trouver un défenseur de la législation. « La loi Sapin 2 visait à considérer, que quand on est un homme ou une femme politique, avec des responsabilités publiques, la première qualité qu’on doit posséder, c’est la probité, l’honnêteté, le respect de la loi. Dans l’affaire de Marine Le Pen, la probité n’a pas été respectée, ni la loi. On a détourné des fonds publics. La loi Sapin 2 est extrêmement rigoureuse. C’est d’ailleurs une des dernières lois du quinquennat de François Hollande. Si elle permet de dire à tous les élus, attention, vous ne pouvez pas faire n’importe quoi, je pense qu’il ne faut pas la changer », soutient l’ancien ministre de François Hollande, invité de la matinale de Public Sénat ce mardi matin. Si « une loi peut être changée par une autre loi », pour Patrick Kanner, « non », il ne faut pas toucher à la législation actuelle, « un excellent moyen de prévention ».

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