Un marathon ponctué de haies. Après l’adoption lundi du projet de loi de finances par le Sénat, une nouvelle étape cruciale s’annonce pour vendredi : la commission mixte paritaire (CMP). Dans ce conclave, sept députés et sept sénateurs tenteront de trouver un texte commun. La CMP est potentiellement prévue pour durer deux jours.
Si l’idée d’un éventuel accord prenait quelque peu du galon la semaine dernière, sa cote semble aujourd’hui à la baisse. Mercredi dernier, le président du groupe Union centriste, le sénateur UDI Hervé Marseille, soutenait qu’« un accord (était) possible, parce que l’esprit de compromis habite aussi les sénateurs ». Aujourd’hui, c’est davantage le doute qui semble le traverser. « La CMP ne sera pas facile », a affirmé le même, juste après le vote.
« Le climat n’était pas à la joie car c’est la douche froide avec le nouveau solde de déficit »
Si le texte est passé largement au Sénat, par 189 voix contre 109, les nombreuses abstentions dans la majorité sénatoriale trahissent en réalité un mouvement d’humeur, voire un malaise. Sur les 130 sénateurs du groupe LR, 19 se sont abstenus et 3 ont voté contre. Au groupe Union centriste, l’autre composante de la majorité, on compte 12 abstentions sur 59 et un votre contre. Soit au total, 31 abstentions et 4 votes contre au sein de la majorité. « Une forme de mise en garde et de mécontentement, donc il faut en tenir compte », prévient Hervé Marseille. « C’est un mouvement d’humeur, mais pas un mouvement de fond », tempère un sénateur LR.
Le coup de chaud de certains sénateurs a plusieurs explications, dont l’amendement gouvernemental sur l’article d’équilibre, qui fixe le niveau des déficits, après les votes du Sénat, mais aussi des députés sur le budget de la Sécu. Résultat : au lieu des 4,7 % de déficit, le PLF ressort de la Haute assemblée à 5,3 % de déficit. Selon l’amendement, 0,3 point sont dus au PLFSS, mais 0,3 point sont la conséquence des différents votes du Sénat. Le matin, lors d’une réunion des LR en visio, l’ambiance n’était pas au top. « Le climat n’était pas à la joie car c’est la douche froide avec le nouveau solde de déficit. Mais chacun a bien compris que ce n’est pas le résultat du vote du Sénat », confie un sénateur LR.
« Il ne faut pas nous énerver non plus. Car on sera désagréables sinon… »
Une bataille d’interprétation s’engage. En séance, à l’issue du vote, le ministre de l’Economie, Roland Lescure, fait la leçon : « Houston, we have a problem ! », lance-t-il, pointant autant les compromis de l’Assemblée que les votes du Sénat. « Ils se sont traduits par une dégradation. Personne, ici, n’a la vertu de l’austérité budgétaire », lance le ministre, « vous allez devoir faire des concessions, y compris sur les recettes qui ne sont pas au rendez-vous ». Roland Lescure regagne sa place sous quelques huées, rares à la Haute assemblée.
« Après le vote, certains collègues m’ont dit « si on avait entendu Lescure avant, on aurait peut-être fait comme toi » », raconte le sénateur LR de l’Aisne, Antoine Lefèvre, qui s’est abstenu. Celui qui est aussi questeur pointe « l’attitude du gouvernement ». Un autre sénateur LR confirme que les sénateurs sont échaudés. « Il ne faut pas nous énerver non plus. Car on sera désagréables sinon… » prévient ce sénateur qui connaît bien le groupe. Il dénonce « un double discours de la part du gouvernement. Cela fait un moment que ça dure. Ça commence à faire beaucoup pour certains ». Le même ajoute : « On est des humains. Faut pas prendre les parlementaires pour des jambons ».
« Si ça n’avait tenu qu’au Sénat, le déficit serait autour des 4,7 % »
A notre micro, le président du groupe LR, Mathieu Darnaud, donne sa lecture et souligne que « si ça n’avait tenu qu’au Sénat, le déficit serait autour des 4,7 %, mais le vote de l’Assemblée nationale du projet de loi de financement de la Sécurité sociale a fait qu’il en est autrement aujourd’hui ».
Du côté de Bercy, on maintient. « La dégradation vient des deux côtés », insiste un ministre, qui rappelle que « le gouvernement a pour mission de faire les articles d’équilibre. Ce n’est pas un choix, c’est une obligation ». La suppression par le Sénat de la taxe exceptionnelle sur les grandes entreprises, pour un manque à gagner de 4 milliards, et l’effort sur les collectivités ramenés de 4,6 à 2 milliards, ne sont pas sans effet.
« La photo finish de ce PLF est trouble »
En creusant un peu, on se rend compte que le mécontentement de certains sénateurs LR ou UC est plus large. « Disons que la photo finish de ce PLF est trouble. Nous devons supporter les conséquences de choix gouvernementaux qui ne correspondent pas à ma ligne. On dégrade le déficit sans réformer, en reculant même sur les retraites ! » explique le sénateur LR Stéphane Piednoir, qui s’est abstenu. Il a « le sentiment désagréable de cautionner en partie les renoncements et les alliances de ce gouvernement ».
Son collègue LR, Jean-Raymond Hugonnet, s’est lui abstenu à cause des collectivités : « L’année dernière, j’avais été le seul du groupe à voter contre, principalement en raison du Dilico (système qui permet de faire participer les collectivités à l’effort, ndlr) qui est la négation de la réalité. Cette année je m’abstiens parce que le Dilico ne touche pas les communes », mais pour le sénateur de l’Essonne, « il faut arrêter cette mauvaise comédie à moins de 90 jours des municipales ».
Marc-Philippe Daubresse dénonce une « faute grave » sur le logement
Le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, a lui carrément voté contre. Un coup de gueule contre l’absence de réponse à la crise du logement. Il avait déposé un amendement signé par les présidents de groupe Mathieu Darnaud et Hervé Marseille « pour relancer le logement par le statut de bailleur privé locatif », de quoi « créer l’année qui suit 80.000 logements ». Si le rapporteur avait donné un avis de sagesse, il s’est ensuite rangé à un sous-amendement de la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, qui « a menti » sur le chiffrage, l’accuse Marc-Philippe Daubresse. « Mon amendement a été vidé de sa substance », dénonce l’ancien ministre du Logement. « Alors que nous avions un amendement cosigné par deux présidents de groupe, je considère que c’est une faute grave et j’ai coté contre », dénonce le sénateur LR du Nord, qui espère encore que la CMP « rectifie le tir ».
Mais ce n’est pas seulement le sort réservé à son amendement qui l’irrite. « Nous avons un budget de 5,3 % de déficit, certes aggravé par les amendements gouvernementaux. Mais il y avait la possibilité d’aller beaucoup plus loin. Même mon groupe n’a pas été suffisamment ambitieux dans la réduction des dépenses publiques », soutient Marc-Philippe Daubresse.
« Nous n’avons pas réussi à trouver suffisamment d’économies »
Le centriste Michel Canévet s’est aussi abstenu. Précision : il sera l’un des membres de la CMP pour le Sénat… « Je me suis abstenu car je ne suis pas satisfait du solde auquel on arrive. J’ai porté de nombreux amendements pour réduire les dépenses. Il me semble qu’il était nécessaire qu’un certain nombre d’entre eux puissent être validés », soutient le sénateur du Finistère, qui reconnaît que les votes du Sénat alourdissent in fine le déficit « de 0,2 point », soutient-il, et non 0,3, comme dit le gouvernement. « Sans le PLFSS, on tenait les choses sous 5 % », ajoute le centriste. Mais résultat, « le compte n’y est pas ».
Le représentant du groupe Union centriste en vient à critiquer sa propre majorité sénatoriale. « Nous n’avons pas réussi à trouver suffisamment d’économies pour compenser les recettes dont on a estimé qu’elles étaient néfastes pour l’économie », insiste Michel Canévet, « peut-être avons-nous manqué un peu de pédagogie par rapport à des collègues pour expliquer que l’Etat ne pourra pas continuer à tout faire. Il faut le recentrer sur ce qui est essentiel, la justice, la sécurité, la défense », soutient le centriste, qui défend en revanche l’effort allégé pour les collectivités, car « il correspond au poids qu’elles représentent dans la dette publique », comme sur les entreprises.
Résultat, certains sont moins optimistes en vue de la CMP. « Il faut voir les choses en face. Soit c’est une rupture dès maintenant. Soit on voit quelle est la voie de passage. Pour ça, le gouvernement doit jouer cartes sur table », avance un sénateur LR, qui reconnaît lui-même, pour ne pas faciliter les choses, que « chez les LR, il y a plein de courants de pensées. Si on reste étriqués chacun dans nos écuries, on ne s’en sort pas. Mais ça ne doit pas être le grand n’importe quoi. On veut éviter le délire fiscal et redresser nos comptes ».
« Je suis moins optimiste sur la CMP, compte tenu de l’effort qui est à réaliser », soutient Michel Canévet
Face à la montagne, Michel Canévet avoue commencer à douter. « J’étais très optimiste la semaine passée sur le fait qu’on puisse arriver à une CMP conclusive. Je l’étais encore plus à l’issue du vote intervenu sur le PLFSS à l’Assemblée, sur le fait qu’il soit adopté, pas le chiffrage. Maintenant, je suis moins optimiste sur la CMP, compte tenu de l’effort qui est à réaliser pour tenir les objectifs de déficit public », explique ce membre de la commission mixte paritaire, qui reconnaît qu’« il faudra quelques hausses d’impôt ciblées » pour espérer y arriver.
Pour donner une chance à la CMP, Michel Canévet fait confiance au rapporteur général, avec qui il va siéger en CMP. « Jean-François Husson est quelqu’un avec qui on travaille très bien. Il est dans un état d’esprit constructif. On va essayer de trouver des solutions qui soient acceptables par les uns et les autres », ajoute l’élu du Finistère. Une réunion, ce mardi, en fin de journée, au sein de la majorité sénatoriale, devait permettre de rentrer « dans le dur » et voir les points à traiter. Mais pour compliquer les choses, il ne suffit pas de trouver un accord en CMP. Il faut trouver un accord en CMP susceptible d’être voté par les députés, nuance. « Bien sûr, sinon cela ne sert à rien », confirme Michel Canévet.
« Un accord n’est pas impossible », pense un ministre
Au gouvernement, on compte aussi sur le rapporteur général du Sénat. « Il y a des profils constructifs. Jean-François Husson est un très bon rapporteur, qui a à cœur de trouver des chemins. Paul Midy (député Renaissance qui sera en CMP, ndlr) est aussi apprécié pour son dialogue », salue-t-on du côté de la forteresse de Bercy. Un bon connaisseur de l’exercice rappelle que « dans une CMP, le dialogue est parlementaire. Le gouvernement n’est pas en CMP. C’est très important. Les propositions sur la table sont faites par le Parlement ».
Au sein de l’exécutif, on veut encore y croire. « Un accord n’est pas impossible. Mais je ne dis pas que ce sera facile », confie un ministre, qui ajoute :