Paris: weekly session of questions to the government

« Ferme ta gueule », « pov’con », « faux-cul » : petite histoire de l’insulte en politique

Début décembre, Gérard Larcher lâche à la radio un « Ferme ta gueule » retentissant adressé à Jean-Luc Mélenchon. Si une telle sortie de la part du deuxième personnage de l’Etat, réputé pour sa modération, a posé question, l’insulte n’est pas nouvelle en politique. Florilège et petite histoire de l’invective depuis la IIIe République.
Tâm Tran Huy

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

Ce 7 décembre, au petit matin, Gérard Larcher est sorti de sa réserve et de sa modération habituelles. Interrogé sur Jean-Luc Mélenchon et son attaque à Ruth Elkrief sur X (Ex-Twitter), le président du Sénat opte pour un registre très inattendu, un cri du coeur, doublé d’un tutoiement et d’une expression très familière avec un retentissant « Ferme ta gueule », qui conclut ainsi son interview. Les commentateurs ne se rappellent pas de sorties comparables de la part d’un tel personnage protocolaire. Pourtant, les invectives sont courantes en politique.

« Grande gueule et petites couilles »

En 2010, le Canard Enchaîné s’en fait l’écho avec jubilation. Nicolas Sarkozy, à propos de Dominique de Villepin, a eu ce bon mot : « Une dissolution ratée, une législature ratée, un référendum perdu, tu parles d’un CV, c’est grande gueule et petites couilles. » Le langage est fleuri et le mot d’esprit amusant, mais il y a une grande différence avec la sortie de Gérard Larcher : c’est un propos rapporté et non une phrase en direct dans un média. L’impact est donc beaucoup moins fort que pour la réaction à la radio du Président du Sénat. Mais cela donne un bon aperçu de ces mots d’amour que l’on aime s’échanger dans la sphère politique.

Parmi les autres saillies récentes, on se rappelle aussi de Benjamin Griveaux, qui avait appliqué les doux noms « d’abrutis » ou encore de « fils de pute » à ses adversaires à la Mairie de Paris. L’éphémère candidat aux municipales de 2020 eut le temps de présenter ses excuses avant de se retirer de la campagne. Daniel Cohn-Bendit, connu pour ses colères, avait lui lancé un « Ta gueule » très spontané à Martin Schulz en 2010 : ce dernier, alors président du Parti socialiste européen, l’avait interrompu alors qu’il fustigeait la coalition constituée autour de José Manuel Barroso. Le même Cohn-Bendit, face à Gilbert Collard, qui le traitait de « faux-cul » sur un plateau de télévision en 2019, avait répondu : « Ordure ! Connard ! » Bref, les exemples contemporains ne manquent pas.

Une configuration actuelle « où l’invective est plus présente »

Alors pourquoi la montée de violences verbales dans l’hémicycle de l’Assemblée, depuis le 2e mandat d’Emmanuel, marque autant les esprits ? Le climat y a-t-il vraiment changé ou y sommes-nous plus sensibles ? Pour le chercheur en science politique Cédric Passard, qui a travaillé sur l’insulte et le pamphlet en politique, la situation d’aujourd’hui est bien spécifique : « On est dans une configuration où l’invective est plus présente. Cela a déjà eu lieu, lors de débats sur de grandes réformes sociales, comme l’IVG, le PACS, le Mariage pour tous… Ce n’est donc pas inédit. Mais aujourd’hui, il y a beaucoup d’invectives sans ce contexte. Cela s’explique notamment par la stratégie de certains groupes, par exemple celle des Insoumis, qui, comme leur nom l’indique, revendiquent une forme de subversion de l’ordre parlementaire, en portant la lutte des classes sur le terrain langagier. » Ajoutez à cela, l’arrivée de nombreux acteurs politiques néophytes depuis 2017, moins rompus aux habitudes parlementaires, et vous obtenez le climat actuel. D’autant que pour certains, l’insulte est « un moyen de se faire entendre à défaut de peser sur le vote ». Les stratégies se mélangent donc à l’inexpérience mais parfois aussi à de nouveaux usages en politique.

 

« Valets de la ploutocratie », « punaises ministérielles », « ramassis de drôles » : ces insultes du 19e siècle

Mais un coup d’œil dans le rétro permet aussi de s’apercevoir que l’insulte existe depuis que la politique existe. Si l’on s’en tient à la IIIe République, les noms d’oiseaux sont alors légion. « Valets de la ploutocratie », « punaises ministérielles », « ramassis de drôles », ces expressions ne sont pas sorties de l’abécédaire des insultes favorites du capitaine Haddock, mais bien d’un article de 1884 de la Gazette de France recensant les expressions fleuries utilisées par les parlementaires pour s’invectiver dans l’hémicycle.

« A la fin du 19e siècle, on est encore dans un temps où la bataille des mots est importante. A ce moment où la République s’installe, ce type de langage est mobilisé par les opposants à la République face aux républicains modérés (comme Léon Gambetta ou Jules Ferry) qui n’utilisent pas ce registre. On retrouve ce franc-parler chez les candidats ouvriers ou qui se réclament du peuple, mais aussi parmi ceux qui ont un certain capital culturel et qui ont fait des études liées à l’éloquence », explique Cédric Passard.

Parmi ceux qui pratiquent l’insulte avec brio, on trouve l’un des illustres prédécesseurs de Gérard Larcher au Sénat, Georges Clemenceau. Le Tigre, par exemple, n’avait pas de bonnes relations avec un ancien président du Sénat, Antonin Dubost, dont les ambitions étaient plus importantes que le souvenir qu’il a laissé dans l’Histoire. Antonin Dubost, alors en campagne lors de l’élection présidentielle de 1913, apprend que Clemenceau dit le plus grand mal de lui. « Vous dites à tout le monde que je suis un imbécile : je ne le suis pourtant pas plus qu’un autre ! » s’exclame-t-il. « Quel autre ? » répond alors Clemenceau. Les deux appartenaient à la même famille radicale et comme ne le dit pas l’adage, il y a beaucoup de linge sale à laver en famille. Le Père la victoire était aussi parfois assassin avec les défunts : à propos de Félix Faure, qui, comme beaucoup le savent, mourut dans les bras de sa maîtresse, il eut cette phrase : « En entrant dans le néant, il a dû se sentir chez lui. » L’histoire ne dit pas si l’ancien président de la République se retourna dans sa tombe.

Le dernier duel pour l’honneur a eu lieu en 1967

La vie politique a été bien plus violente qu’aujourd’hui par le passé. Les propos antisémites, les insultes racistes n’ont pas toujours été réprimés par la loi et étaient fréquents dans les échanges des parlementaires au début du siècle ou dans les années 1930. Au panthéon des insultes dans la III République, rappelle Cédric Passard : « La lâcheté et la trahison, car à l’époque, on n’est pas loin du code de l’honneur issu de l’aristocratie et de la monarchie. » A la joute verbale peut alors succéder le combat physique. Le dernier duel pour l’honneur ne remonte d’ailleurs pas à si longtemps que cela : en 1967, Gaston Defferre, alors président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale crie « Taisez-vous, abruti » au gaulliste René Ribière, député du Val-d’Oise. L’affaire se soldera par un duel à l’épée, en toute illégalité et devant leurs 4 témoins.

Aujourd’hui, les injures qui claquent donnent lieu à des duels devant une assistance bien plus large : celle des réseaux sociaux, où on cherche le buzz et le clash. Pour boucler la boucle, et revenir à notre sujet initial, c’est d’ailleurs un tweet de Jean-Luc Mélenchon qui a suscité la réaction courroucée de Gérard Larcher. Un tweet forcément réfléchi pour le leader de la France insoumise, qui n’écrit pas ses messages lui-même (c’est d’ailleurs précisé dans sa bio sur X). Un tweet qui montre une stratégie du clash et du scandale, « pour visibiliser ce qui auparavant restait en off ou indirect » explique Cédric Passard. Employer des formules vulgaires, une stratégie qui a été testée jusqu’au plus haut niveau, de Nicolas Sarkozy et son célèbre « Casse-toi pauv’con » attrapé par une caméra à la volée au « J’emmerde les non-vaccinés » d’Emmanuel Macron. On est passé d’un temps où les grossièretés échappaient aux politiques à un nouveau monde où elles s’inscrivent dans une stratégie de communication, plus ou moins heureuse.

Alors Gérard Larcher a-t-il été insultant et familier début décembre pour des raisons de stratégie politique ? Pour éclairer la sortie de Gérard Larcher, peut-être faut-il regarder du côté de la réaction de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier a dit qu’il n’en voulait pas « à son vieux pote véto » qui pense que « l’on a une gueule, alors qu’on a une bouche ». Pour rappel Gérard Larcher et Jean-Luc Mélenchon sont entrés en même temps au Sénat. A l’époque, en 1986, ils faisaient partie des plus jeunes élus de la Chambre Haute. Alors peut-être, que quelques 4 décennies plus tard, Gérard Larcher a juste voulu chambrer son vieux camarade ?

Dans la même thématique