Révélée dès janvier par Mediapart puis en avril par le Canard Enchaîné, « l’affaire » du « fichage » des manifestants blessés lors de mobilisations des gilets jaunes continue d’embarrasser l’exécutif. Mis en place depuis les attentats de 2015, le fichier SI-VIC (système d’information pour le suivi des victimes) a pour but de recenser, dans une seule plateforme, les victimes d’attentats ou d’une crise sanitaire.
Un fichier mis en place après les attentats de 2015
« Le traitement SI-VIC a pour finalité d’établir une liste unique des victimes d’attentats afin d’informer rapidement leurs proches sur leur situation » précise la CNIL dans sa délibération du 7 juillet 2016. Pour se faire, les données à caractère personnel traitées dans le cadre de ce fichier sont : « les données d’identification (noms, prénoms, date de naissance), « les caractéristiques de prise en charge hospitalière » ou encore les coordonnées de la victime et d’un de ses proches. Ce nouveau système d’information est déclenché à l’initiative de l’Agence régionale de Santé. Les victimes doivent également être informées du traitement de leurs données personnelles.
Après plusieurs articles et une plainte déposée par un avocat d’un manifestant blessé « collecte illicite de données à caractère personnel » et « violation du secret professionnel », l’AP-HP (Assistance publique des hôpitaux de Paris) a finalement reconnu, le 24 avril, un usage « inapproprié » du fichier SI-VIC lors de manifestations de gilets jaunes. « On ne sait pas si les blessés qui arrivent (aux urgences) sont des patients qui ont été bousculés, des forces de l'ordre, des gilets jaunes ou des journalistes. L'information n'est pas demandée » s’était défendue quelques jours plus tard, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn avant de rejeter « tout fichage » de gilets jaunes.
« Une violation grave du secret professionnel » pour le sénateur Bernard Jomier
Une explication loin d’être suffisante du côté de la Haute Assemblée. Jeudi dernier, aux questions d’actualités du gouvernement, le sénateur de Paris, membre du groupe socialiste, Bernard Jomier a évoqué une « violation grave du secret professionnel ». « Le fichier SI-VIC est une procédure exceptionnelle déclenchée en cas d’afflux exceptionnel de victimes. Il a été détourné de son objet à l’occasion du mouvement dit des gilets jaunes » a-t-il estimé avant de demander une « enquête indépendante sur ces faits ». Il faut dire que le sénateur n’a pas été convaincu par la réponse de la secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé, Christelle Dubos. « Jamais nous n’accepterons de demander aux soignants de ficher des gilets jaunes » a-t-elle assuré avant d’évoquer un « malentendu » sur l’usage du fichier SI-VIC et confiant au ministère de la Santé, à l’ARS et à l’AP-HP le soin de mener l’enquête.
Fichage de gilets jaunes: la question de Bernard Jomier au gouvernement
« Ces organismes sont parties prenantes, ce n’est pas à eux qu’il revient de confier l’enquête. Il faut savoir avec acuité ce qu’il s’est passé et ce rôle revient au Parlement » milite l’ancien député LR et médecin Bernard Debré qui a signé l’appel des « 100 médecins contre le fichage des gilets jaunes ».
Un courrier en attendant une commission d’enquête ?
« La réponse n’était pas suffisante. À mon sens, il n’y a même pas eu de réponse » approuve Alain Milon, médecin de formation et président LR de la commission des affaires sociales du Sénat. Raison pour laquelle, dans un courrier signé avec le président LR de la commission des lois, Philippe Bas, il demande à Agnès Buzyn « de faire la lumière sur la réalité du recueil de données lors d'admissions hospitalières consécutives à des manifestations sur la voie publique dont l'exploitation est susceptible de porter atteinte à la liberté individuelle ». « L’absence d'explications claires et convaincantes, à ce jour (...) laisse prospérer l'idée que des manifestants pourraient, en tant que tels, être inscrits dans des fichiers par l'hôpital public à des fins contestable. Cette éventualité contribue à nourrir la défiance à l'encontre des personnels hospitaliers ou des forces de l'ordre ».
« Tout dépendra de la qualité et de l’honnêteté de la réponse d’Agnès Buzyn »
Interrogé par publicsenat.fr, ce lundi, Alain Milon « espère que ce courrier signé par deux présidents de commission sera pris en considération par la ministre » et rappelle qu’un « dossier médical ne doit être partagé qu’avec l’accord du patient ». « En fonction de la qualité de la réponse que nous attendons d’ici à une dizaine de jours, nous déciderons s’il y a lieu de mettre en place une commission d’enquête. Tout dépendra de la qualité et de l’honnêteté de la réponse d’Agnès Buzyn » prévient-il.