« J’ai été élu pour trancher. Quand il faudra trancher, je trancherai. » En clôturant le 28 juin le premier conseil national des Républicains depuis son élection à la tête du parti, Bruno Retailleau s’est donné pour consigne d’éviter à l’avenir les « cacophonies » dans sa famille politique. Le manque de clarté a souvent été un facteur d’affaiblissement, potentiellement mortel, expliquait-il en substance.
Sa première démonstration s’est jouée ce 3 juillet. Le président de LR est sorti de ses sujets de prédilection liés au régalien, en fixant une ligne collective pour LR sur la stratégie énergétique. L’ancien sénateur de Vendée, qui veut mener son parti à la victoire dans les deux prochaines années, ne s’aventure pas toutefois en terre totalement inconnue, puisqu’il avait publié il y a un quatre ans un ouvrage sur la politique environnementale, sous-titré « pour une écologie du réel ».
Dans une tribune publiée sur le Figaro ce 3 juillet, Bruno Retailleau appelle, aux côtés de deux ses vice-présidents, l’eurodéputé François-Xavier Bellamy et l’ancien député Julien Aubert, à « rebâtir un parc nucléaire » et à arrêter le financement, par des subventions publiques, de l’énergie éolienne et du photovoltaïque. Le triumvirat considère que l’intermittence de ces deux sources d’énergie « fait courir le risque de black-out » au réseau électrique, et qu’elles font courir un risque pour le pouvoir d’achat des Français notamment en raison du coup du raccordement. Ils mentionnent également les atteintes à la biodiversité ou sur les paysages.
Tension autour de l’amendement imposant un « moratoire »
La clarification de la direction de LR n’intervient pas à n’importe moment. Elle se produit en pleine navette parlementaire sur la proposition de loi du sénateur LR Daniel Gremillet, qui fixe une trajectoire énergétique pour le pays, en insistant fortement sur la relance du nucléaire. Le mois dernier, l’Assemblée nationale avait adopté un amendement LR, porté par Jérôme Nury et cosigné par une très grande partie du groupe, imposant un moratoire sur l’éolien et le photovoltaïque. La disposition, adoptée grâce aux voix du RN dans un hémicycle clairsemé, a pour objectif d’interdire à l’administration d’instruire une demande d’autorisation ou de renouvellement d’autorisation d’un projet.
L’amendement avait provoqué une levée de boucliers dans une fraction du groupe Droite républicaine. Un cadre de LR parle d’une « réunion de groupe houleuse » à ce sujet. Antoine Vermorel-Marques, vice-président du parti spécialisé sur les sujets écologiques, s’est ému du vote dans une tribune dans Le Monde le 23 juin. Le député de la Loire avait estimé que ce vote contrevenait à la position de LR « depuis le Grenelle de l’environnement, en 2007 ». « Le risque, aujourd’hui, c’est de relancer un débat dogmatique entre ceux qui défendent le 100 % nucléaire et ceux qui soutiennent le 100 % renouvelables. Les deux sont des voies d’échec », a-t-il écrit.
Une autre tribune a été publiée le même jour, sous la plume des députés LR Antoine Vermorel-Marques, Virginie Duby-Muller et toujours Antoine Vermorel-Marques, dans l’Opinion, Appelant la droite à « ne pas négliger le combat écologique », les trois parlementaires considèrent que « renoncer d’un bloc aux énergies renouvelables, c’est refuser de voir que si certains projets, notamment éoliens, posent des difficultés, d’autres sont souhaités et acceptés par les populations ». Tout le collège de la direction n’est pas non plus sur la même longueur d’onde. Ce matin, sur Europe 1, l’ancien ministre Jean-François Copé a même confié qu’il ne savait pas s’il aurait voté pour ou contre ce moratoire.
« Le moment n’est pas le mieux choisi »
Ce moratoire ne figure plus à ce stade dans le texte. L’Assemblée nationale a finalement rejeté le texte, et c’est donc la version sortie précédemment du Sénat qui est revenue au palais du Luxembourg. Lors de l’examen en commission des affaires économiques, les sénateurs n’ont pas souhaité reprendre cette proposition. Dans un communiqué, la commission souligne que cet amendement « présentait de lourdes difficultés, sur les plans juridique et économique ». Elle a cependant réintroduit une demande du Sénat, faite en première lecture, au chapitre de l’éolien terrestre : privilégier le renouvellement des installations existantes à l’implantation de nouvelles installations.
Le déroulé de l’examen au palais Bourbon a sensiblement agacé une partie des sénateurs. « C’était un peu rock-and-roll leur position à l’Assemblée. Un coup un amendement pour le moratoire, un deuxième coup je m’abstiens. C’était une mesure un peu trop radicale. Il ne faut pas trop exagérer ! » lâche un sénateur investi sur le dossier. « Ce moratoire est une posture politique, populiste et inconsciente. Les énergies renouvelables aujourd’hui, c’est 102 000 emplois », rappelle le sénateur LR Olivier Rietmann, président de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Et d’ajouter : « Malgré tout ce qu’on peut entendre, cette proposition de loi ne fait pas la part belle aux énergies renouvelables. Mais entre aujourd’hui, et le moment où sera produit le premier kilowattheure issu des futurs réacteurs nucléaires, notre besoin en électricité va fortement augmenter, et on va la chercher où cette énergie, si on ne développe pas un tant soit peu les énergies renouvelables ? »
Un pas fait vers les députés sur la définition de certains objectifs chiffrés
Reste la tribune de la direction, qui vient remettre une pièce dans la machine. « Le moment n’est pas le mieux choisi, à la veille de l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi Gremillet », considère le sénateur de Haute-Saône. Pour l’un de ses auteurs, Julien Aubert, l’idée était bien de remettre les pendules à l’heure. « Il y a un désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, et même au sein de l’équipe dirigeante. Au bout d’un moment, ça maintient un flou. Il y a une vraie nécessité de trancher », relaye ce vice-président de LR auprès de Public Sénat, en précisant qu’il est « probable qu’il y ait une réunion pour s’entendre » entre les parlementaires LR des deux chambres. La décharge provoquée par la tribune ne s’est pas arrêtée. Selon France Inter, Michel Barnier se dit « furieux » après la sortie de cette tribune. L’ancien Premier ministre doit s’en expliquer avec son ancien ministre de l’Intérieur et prévoit une « réponse médiatique » dans les prochains jours.
La tribune, largement centrée sur la question des subventions, ne devrait pas percuter pour autant la proposition de loi Gremillet. « À aucun moment dans la proposition de loi, il y a des objectifs de financement. Ce n’est pas son objectif, c’est le projet de loi de finances qui en décidera », clarifie le sénateur LR Alain Cadec, l’un des corapporteurs du texte.
Reste que le Sénat a déjà commencé son travail de rapprochement de la copie des députés, avec la suppression de l’objectif de part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie. Les sénateurs ont confirmé cette suppression, au profit d’un « objectif de part d’énergie décarbonée ». « Nous sommes responsables, on a tenu compte d’un certain nombre de modifications apportées par l’Assemblée avant le rejet du texte », insiste Alain Cadec.
Étincelles dans l’équipe gouvernementale
La définition du mix énergétique ne crée pas seulement des tensions au sein de la droite, elle met aussi en surchauffe le réseau gouvernemental. La prise de position du ministre de l’Intérieur a déclenché les foudres d’une partie de ses collègues, notamment ceux issus de Renaissance. « C’est irresponsable quand on prétend être un homme d’État. C’est dramatique, c’est irresponsable, c’est du populisme le plus basique », s’est exclamée sur France Info la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. Le président des députés Renaissance, Gabriel Attal, a quant à lui dénoncé « un contresens historique et scientifique […] incompréhensible », ainsi qu’un « retour d’une forme de climatoscepticisme antiscience très inquiétant ».
« Croire que sortir de la dépendance aux énergies fossiles et aux pays qui les produisent peut se faire en abandonnant les énergies renouvelables et en mettant au chômage les salariés de leurs filières, est une vue de l’esprit – et une position frontalement opposée à la ligne du gouvernement », a également attaqué le ministre de l’Industrie Marc Ferracci. Interrogé lors d’un déplacement en Aveyron, le chef de l’État a lui aussi tenu à s’inscrire en faux : « On a besoin de renouvelable », a rétorqué le président de la République.
Les auteurs de la tribune estiment avoir été mal compris. « Le moratoire sur les subventions publiques concerne les énergies matures, l’éolien et le photovoltaïque. Il ne s’agit pas d’écarter la géothermie par exemple », cite Julien Aubert. La tribune s’en réfère une logique de marché : « ceux qui vendent doivent être en capacité d’assumer la production ».