Dans l'enquête sur des soupçons de financement libyen de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, les juges d'instruction explorent désormais la piste de versements en liquide via l'un de ses anciens collaborateurs, Thierry Gaubert, mis en examen le 31 janvier.
L'homme de 68 ans, longtemps intime de plusieurs membres du clan Sarkozy, a été mis en examen vendredi pour "association de malfaiteurs", selon des sources judiciaire et proche du dossier, confirmant une information de l'hebdomadaire Le Point.
Il est soupçonné d'avoir touché en 2006 un virement de 440.000 euros provenant du régime libyen de Kadhafi via un de ses amis de l'époque, l'intermédiaire Ziad Takieddine, un des premiers suspects du dossier.
Les enquêteurs se demandent si un tel transfert a pu servir in fine à alimenter en cash le budget de la campagne victorieuse de M. Sarkozy.
Selon les investigations, de l'argent en liquide, au moins 30.000 à 35.000 euros, a circulé au QG du candidat, conduisant à la mise en examen de son trésorier Eric Woerth.
Avec celle, vendredi aussi, de l'homme d'affaires Alexandre Djouhri, ce sont désormais neuf personnes qui sont mises en examen dans cette enquête, dont l'ex-président et son ancien bras droit Claude Guéant.
Témoignages de dignitaires libyens, notes des services secrets de Tripoli, accusations d'un intermédiaire... Après six ans de travail, une somme d'indices ont donné corps à l'hypothèse d'un financement libyen, mais aucune preuve matérielle n'a été trouvée.
En revanche, plusieurs mouvements de fonds suspects ont été mis au jour, dont celui entre M. Takieddine et M. Gaubert, qui fut un proche collaborateur de Nicolas Sarkozy au ministère du Budget (1993-1995).
- Investissements en Colombie -
Le 6 février 2006, la société Rossfield appartenant à M. Takieddine versait 440.000 euros sur un compte au Bahamas, qui s'avèrera appartenir à M. Gaubert.
Or, pour les enquêteurs, l'argent versé par Rossfield a pour origine des fonds libyens, comme l'avait dévoilé Mediapart en décembre. Au total, la société de M. Takieddine aurait perçu cette année-là six millions d'euros du régime de Khadafi, selon le média en ligne.
Interrogé sur ces fonds mi-janvier, l'intermédiaire a affirmé qu'il s'agissait d'opérations immobilières de son ancien ami et qu'il n'y "avait aucun lien avec la Libye", a déclaré au Point son avocate, Me Élise Arfi.
Thierry Gaubert, qui a comparu début décembre avec son ex-épouse devant le tribunal de Paris pour fraude fiscale et blanchiment, avait alors évoqué des investissements immobiliers en Colombie, où il possédait une luxueuse villa. Le jugement est attendu le 19 mars.
Il conteste avoir eu connaissance de l'origine libyenne des fonds mais concède toutefois "avoir retiré en liquide, en plusieurs fois, une somme totale de 180.000 euros entre 2006 et 2007", pour financer son train de vie, selon Le Point.
- agendas d'Hortefeux -
Pour les magistrats instructeurs, ces liquidités aux montants élevés auraient pu dissimuler un circuit de financement occulte au profit de la campagne électorale.
Mais pour l'entourage de Nicolas Sarkozy, Thierry Gaubert n'était plus un proche du candidat. Les agendas de Brice Hortefeux, un de ses futurs ministres, montrent toutefois que ce dernier rencontrait régulièrement M. Gaubert en 2005 et 2006.
"M. Gaubert est mis en examen pour un financement politique comme dans l'affaire Karachi et, comme dans l'affaire Karachi, le parquet abandonnera cette thèse à l'audience", a réagi son avocat, Me François Esclatine, joint par l'AFP.
Lors du procès du volet financier de l'affaire Karachi en octobre, le parquet a en effet considéré que rien ne prouvait que M. Gaubert ait fait office de "mule" pour transporter 10 millions de francs vers le compte de la campagne d'Edouard Balladur, candidat malheureux de la présidentielle de 1995.
Le jugement du tribunal de Paris sur ce dossier doit être rendu le 22 avril.
Fin janvier, le Parquet national financier a dû prendre un réquisitoire supplétif pour élargir les investigations à des soupçons d'"association de malfaiteurs" en vue de commettre des faits de corruption, notamment d'agent public étranger, et de détournement de fonds, en bande organisée.
Un tel acte procédural ouvre la voie à des mises en examen de nouveaux suspects ainsi qu'à une aggravation des poursuites contre les protagonistes déjà impliqués.