« Notre pays doit s’arrêter de s’abandonner à ses travers. Notamment celui de reporter à plus tard ses objectifs en matière de finance publique ». Les propos de Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, ce matin au Sénat, sont on ne peut plus clairs. Le représentant de l’institution financière de la rue Cambon était auditionné à propos de la publication du rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques. Un rapport dont nous avons publié les grandes lignes hier dans cet article. Si la Cour des comptes souligne un bilan positif, la Cour des comptes pointe aussi l’augmentation du déficit public et le flou autour des méthodes pour remédier à cette hausse, due notamment aux mesures annoncées à la suite de la crise des Gilets jaunes et du Grand débat.
Pour Didier Migaud, le gouvernement a même renoncé à mettre fin au déséquilibre budgétaire d’ici la fin du quinquennat. « Le gouvernement y a renoncé, puisque le niveau de notre déficit effectif comme de notre déficit structurel est autour de -1,2 donc il a reporté en tout cas l’objectif d’équilibre structurel à moyen terme de nos comptes publics », expliquait le président à notre micro.
Didier Migaud : « Nous sommes souvent sur le podium quand il s’agit de dépenser, nous sommes rarement sur le podium quand il s’agit d’apprécier d’évaluer la qualité de l’action publique »
« Il est vrai que le discours aujourd’hui que nous tenons, nous le tenions déjà il y a quelques années, a reconnu Didier Migaud. Mais parce que les choses ont peu bougé ». Pour le premier Président de la Cour des comptes, l’effort en termes d’efficience de l’action publique reste une vraie question en France « Nous sommes souvent sur le podium quand il s’agit de dépenser, nous sommes rarement sur le podium quand il s’agit d’apprécier d’évaluer la qualité de l’action publique », affirme-t-il.
Si Didier Migaud assure qu’il « peut y avoir des services publics », il ne suffit pas, selon l’ancien membre du Parti socialiste, qu’ils soient présents. « Encore faut-il être efficient par rapport aux missions données. On a des services publics de qualité en France, mais plusieurs peuvent avoir des marges d’efficacité et d'efficience », explique-t-il.
Le sénateur LREM Julien Bargeton prévient néanmoins : les services publics ne sont pas les seuls qui doivent être visés. « Il faut aussi travailler sur les niches fiscales qui sont antiécologiques, mais on ne réduit pas la dépense en cherchant des scalps, on ne réduit pas la dépense avec des coups de rabot », affirme l’élu parisien. « Il nous faut effectivement mener des transformations qualitatives de la fonction publique. […] Je pense qu’avec la croissance qui revient, nous réussirons à nous rapprocher de nos objectifs », soutient-il, confiant.
"Je pense qu’avec la croissance qui revient, nous réussirons à nous rapprocher de nos objectifs " explique Bargeton
Autre élément important rappelé plusieurs fois lors de l’audition de Didier Migaud : le retard de la France comparé à ses voisins, en matière de dette publique. « Nous étions pratiquement au même niveau d’endettement que les Allemands en 2007, avant la crise financière », explique le résident de la rue Cambon. « Si vous prenez la photographie d’aujourd’hui, la France tangente les 100 %, l’Allemagne est revenue vers les 60 %. Nous avons 40 points de PIB qui séparent sur le ratio de la dette sur le PIB la France et l’Allemagne », regrette-t-il.
Le premier Président de la Cour des comptes appelle à « poursuivre bien évidemment les réformes de structure ». « Ce que nous disons aujourd’hui rejoint le discours que tient traditionnellement la Cour sur les marges de progrès qu’il peut y avoir. Mais, après, ce sont des choix politiques », affirme-t-il, renvoyant donc la balle à l’exécutif.
Après la présentation du rapport et les propos liminaires de Didier Migaud, les sénateurs de la commission des finances ont pu poser leurs questions. Selon le rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, l’analyse de la rue Cambon est « relativement en phase » avec celle du Sénat.
La non mise en place des économies sur les APL ne devrait avoir d’impacts qu’en 2019.
La suppression de l’allocation pour le logement (APL) est vite arrivée sur la table. Le sénateur Philippe Dallier (LR) a interpellé Didier Migaud sur la non mise en place des économies du gouvernement sur les APL, prévues initialement à 900 millions.
« Une des réformes prévues était d'actualiser les ressources dans l’attribution de l’APL. Et c’était censé être mis en place en mai 2019 pour un gain qui avait été évalué à l’époque à 640 millions, après correction », a expliqué Didier Migaud, qui a été secondé par Raoul Briet, Président de la première chambre de la Cour des comptes.
« Ce qu’on constate, c’est que mai est passé et que ça ne s’est pas fait, regrette-t-il. Les dernières explications laissent à penser que ça se fera à la rentrée, soit en août, soit en septembre ». « Il est vrai que ça vient minorer l’économie. Simplement si on regarde la globalité des dotations budgétaires, il y a d’autres facteurs qui vont dans le sens inverse. […] Le risque est réel mais assez circonscrit en 2019 », tempère Raoul Briet.
La Cour des comptes à propos des APL
Les représentants de la Cour des comptes ont également été interpellés sur la question des niches fiscales, que le gouvernement compte réduire. Le sénateur Jean-Marc Gabouty a demandé quelles mesures pourraient être prises sur le sujet sans stopper le dynamisme des entreprises.
Didier Migaud rappelle que l’institution de la rue Cambon est persuadée que sur la question des niches fiscales, il y « a des marges de manœuvre ». « Cela passe par un travail d’évaluation de chaque niche fiscale, explique-t-il. Lorsque nous faisons nous-même ces travaux d’évaluations, nous pouvons constater des effets d’aubaine donc il y a effectivement quelques ajustements qui pourraient être faits sur quelques dispositifs fiscaux qui existent ».
« S’il n’est de pire pauvreté que les dettes, on peut s’inquiéter pour notre pays »
Enfin, le président de la Cour des comptes a été interrogé sur la dette écologique. Jean-François Husson est monté au créneau, affirmant « que s’il n’est de pire pauvreté que les dettes, on peut s’inquiéter pour notre pays ». « Certains disent que la dette écologique est encore plus sensible, plus dommageable que ne pourrait l’être la dette financière. Elles ne sont pas de même nature et je ne suis pas sûr qu’il faille les opposer. Il ne faut pas oublier en tout cas que lorsque l’on parle d’investissement nécessaire pour l’écologie que la dette financière est également là et qu’elle peut être payée aussi par les générations futures par les problèmes de pouvoir d’achat. Donc on ne peut pas faire l’impasse sur les conséquences d’une dette financière.