Fonds Marianne : ce qu’a révélé l’audition très tendue de Mohamed Sifaoui

Reportée deux fois, l’audition de Mohamed Sifaoui devant la commission d’enquête du Sénat, s’est révélée riche en enseignements. Les élus ont appris que le journaliste et ancien directeur des opérations de l’USEPPM, une association mise en cause dans l’affaire du Fonds Marianne avait bénéficié d’un contrat de consultant avec le CIPDR. L’audition a également été marquée par des invectives de Mohamed Sifaoui, sur la défensive.
Simon Barbarit

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Après Marlène Schiappa mercredi, c’est Mohamed Sifaoui, un autre protagoniste de l’affaire du Fonds Marianne qui a été auditionné par la commission d’enquête du Sénat, ce jeudi 15 juin. C’est dire que sa venue était attendue après deux convocations reportées. Le journaliste, ancien directeur des opérations de l’USEPPM, (l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire) s’était d’abord fait excuser pour raison de santé fin mai. Puis, mardi dernier, son audition avait été annulée en raison de la perquisition de son domicile.

Lancé par l’ancienne ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, au printemps 2021, le Fonds Marianne, doté de 2,5 millions d’euros, avait pour but de financer des associations pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes, notamment sur les réseaux sociaux et les plateformes en ligne.
Mais depuis des révélations dans la presse, le Sénat, le PNF (Parquet national financier) et l’IGA (Inspection générale de l’administration) s’intéressent particulièrement à la subvention de 355 000 euros accordée à l’USEPPM, principalement utilisé pour salarier son président, Cyril Karunagaran et Mohamed Sifaoui. Placé sous protection policière depuis des années, ce dernier passe pour être un spécialiste de la radicalisation islamiste. Sa présence au sein de l’association en faisait une « caution scientifique évidente », selon les mots de Christian Gravel, l’ancien secrétaire du CIPDR, (Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation) qui pilotait le projet Fonds Marianne.
Le bilan des productions en ligne de l’association a été qualifié « d’une rare pauvreté » par le président de la commission d’enquête, Claude Raynal (PS). En outre, les différentes auditions de la commission d’enquête ont mises en lumière des dysfonctionnements dans le processus de sélection qui a conduit à cette subvention accordée à l’USEPPM.

  • Mohamed Sifaoui s’en prend à un membre de la commission d’enquête

C’est dans ce contexte, que Mohamed Sifaoui faisait face aux sénateurs ce matin à 9 heures. Sur la défensive, le journaliste se lance dans un propos introductif qui prend des allures de plaidoirie et vire à l’admonestation d’un membre de la commission d’enquête. « Non, non et non. Le sujet qui intéresse votre commission d’enquête n’est pas l’expression de la république des copains pour reprendre vos propos scandaleux car insultants et diffamatoires utilisés par l’un de vos collègues sur la chaîne Public Sénat. Je parle de vous, M. Daniel Breuiller », tance-t-il à l’adresse du sénateur écologiste qui a effectivement utilisé cette expression sur notre antenne. Le journaliste ne s’arrête pas là et enchaîne. « Le premier copinage qui devrait être dénoncé, c’est celui qui lit votre courant politique, les écologistes à l’islamisme et ce dans plusieurs villes de France ».
« Il y a des propos qui ne peuvent pas fonctionner ici. Notamment sur l’un de nos collègues de cette mission. Nous considérons que les choses peuvent se traiter autrement », le reprend Claude Raynal.

Plus loin, il s’en prend au rapporteur de la commission d’enquête, Jean-François Husson (LR). « Ça vous embête (ce que je dis) parce que l’heure du déjeuner est proche ». « Vous êtes des élus et vous connaissez le cynisme politique mieux que moi ».

  • « Je n’ai rien de comparable à Marlène Schiappa, ni sur le fond, ni sur la forme »

Le ton est donné. On va comprendre, en effet, très vite que Marlène Schiappa et Mohamed Sifaoui ne sont pas « copain » ou du moins ne le sont plus. La ministre l’avait affirmé hier sous serment. L’ancien trésorier de l’USEPPM, le confirme. « Je le dis. Marlène Schiappa n’est pas mon amie, elle ne l’a pas été hier et elle ne le sera pas demain […] Je n’aime pas les gens qui n’ont pas de courage, je ne respecte pas les gens qui n’ont pas de courage. Je vous l’ai dit, Madame Schiappa est innocente mais j’ai aussi dit, dès le départ, que son attitude est curieuse. Elle a une attitude de quelqu’un qui est coupable ».
Une similitude relevée par le rapporteur de la commission d’enquête, Jean-François Husson entre ses déclarations et celles de Marlène Schiappa, le font sortir de ses gonds. « Ça, c’est une accusation. Je ne peux pas vous laisser dire ça […] Vous allez retirer tout de suite ce que vous venez de dire. Il n’y a aucune posture chez moi. Je n’ai rien de comparable avec Marlène Schiappa. C’est clair ? […] On se serait concertés ? C’est ce que vous voulez dire ? […] Vous faites un raccourci malheureux. Je n’ai rien de comparable à Marlène Schiappa ni sur le fond ni sur la forme. C’est clair ? »

  • Marlène Schiappa l’a bien encouragé à postuler au Fonds Marianne

Comme lors des précédentes auditions, les sénateurs s’intéressent aux conditions qui ont amené l’USEPPM à être retenue parmi les 71 dossiers déposés et à être la principale bénéficiaire de l’appel à projet Fonds Marianne piloté par le Comité Interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) mais impulsé par le ministère de Marlène Schiappa. Quelle était la teneur des contacts entre Mohamed Sifaoui et le cabinet de Marlène Schiappa en amont de l’appel à projets ? Le rapport de l’IGA fait état de 6 réunions entre le journaliste et le cabinet de la ministre entre mars et avril 2021 avant même l’appel d’offres du Fonds Marianne. Christian Gravel, l’ancien secrétaire du CIPDR, qui a démissionné suite aux conclusions de ce rapport, avait indiqué aux sénateurs avoir reçu un appel téléphonique de Mohamed Sifaoui avant la date de dépôt des candidatures du mois de mai. Ce dernier lui aurait précisé sortir d’un rendez-vous avec la ministre et lui aurait fait comprendre « que par son statut, son implication et son investissement il avait toute sa place » pour prétendre à une subvention du Fonds Marianne.

Marlène Schiappa a démenti tout « tête à tête » avec Mohamed Sifaoui, estimant que le préfet Gravel avait dû « mal comprendre ». « Je n’ai pas reçu M. Sifaoui dans mon bureau en mars, je démens cela ». La ministre avait toutefois concédé qu’il était possible qu’elle l’ait encouragé à postuler au Fonds Marianne à l’occasion d’une salutation rapide à son ministère où Mohamed Sifaoui était reçu par son cabinet.

Sur ce point, Mohamed Sifaoui est plus ou moins sur la ligne de la ministre. « Quand un ministre sort pour vous saluer et vous dit : je compte sur vous. Est-ce que c’est encourager à mettre en application un projet ou pas ? ». Le 24 mars 2021, Mohamed Sifaoui révèle s’être entretenu avec la ministre « dix, quinze minutes » et « pas entre deux portes ». « Les membres du cabinet et ensuite Mme Schiappa me parlent d’un Fonds qui sera dédié aux contre discours et qui sera mis en place assez vite ».
Il indique également avoir été convié à un autre rendez-vous « en tête à tête » avec Marlène Schiappa le 22 avril 2021. Le rendez-vous a été par la suite annulé pour des raisons d’agenda. Mohamed Sifaoui avait été reçu à la place par le directeur de cabinet de la ministre, Sébastien Jallet. « Elle arrive à la fin du rendez-vous. Elle me dit encore une fois qu’elle compte sur moi et m’encourage à mettre en application mon projet le plus vite possible », rapporte-t-il en précisant que jamais Marlène Schiappa n’avait pris d’engagements financiers à, son égard.

  • « La ministre a capitalisé politiquement à travers sa communication hallucinante »

Mohamed Sifaoui a aussi été invité à s’expliquer sur le montant demandé par l’USEPPM. Pour rappel, lors des échanges préparatoires entre son cabinet et Mohamed Sifaoui, Marlène Schiappa avait jugé la somme de 300 000 euros, « énormissime ».

« Je dis dès le départ qu’il n’y a aucun intérêt à financer un projet qui ne soit pas pluriannuel et dont on n’est pas sûr de la pérennité », rapporte-t-il. Raison pour laquelle, il chiffre avec Cyril Karunagaran, un projet sur trois ans, à hauteur de 1,5 million d’euros avec une première année à 635 000 « parce que la riposte à l’islamiste sur Internet nécessite la mobilisation de moyens humains seniors ». Le CIPDR informe par la suite l’USEPPM que le projet ne pourra être financé qu’à 60 % pour l’année 2021 « et qu’il nous appartenait d’aller chercher des subventions ailleurs ». « Progressivement, le projet, se dénaturait et se vidait de sa substance », regrette-t-il.

Mohamed Sifaoui finit par adresser un nouveau tacle à la ministre. « On est parti d’une volonté politique qui allait mobiliser des moyens à finalement une absence de volonté politique. Dès le moment où la communication a été faite avec tambours et trompettes, il n’y avait plus rien. La ministre a capitalisé politiquement à travers sa communication hallucinante » […] Je comprends en octobre 2021 que le projet sera difficilement réalisable ».

  • Un contrat de consultant avec le CIPDR révélé

Au fil des questions, les sénateurs vont découvrir que Mohamed Sifaoui était déjà rémunéré par le CIPDR en tant que consultant avant le Fonds Marianne. « Vers la mi-novembre 2020, Christian Gravel m’a fait savoir qu’il était gêné de me solliciter au quotidien et que je serais rémunéré », révèle-t-il en assurant que « cela faisait l’objet d’un devis et d’un contrat en bon et due forme », de 39 500 euros pour la période novembre 2020 jusqu’à janvier 2023.

De quoi faire tiquer les sénateurs. « Dans le contrat avec l’USEPPM, vous avez une rémunération à temps plein et en même temps, vous avez un contrat de consultant pour la même période. Comment vous faites ? », demande Claude Raynal.

L’explication coule de source pour l’intéressé. « J’ai une capacité de travail qui est bien supérieure à la normale, par passion, par intérêt intellectuel pour la matière […] Je ne travaille pas 35 heures. Mes week-ends sont très rares ». Claude Raynal le coupe : « Je vous rassure nous aussi ».

Pour conclure, Mohamed Sifaoui esquisse un mea culpa mais qui prend très vite la forme d’une nouvelle attaque à l’égard du pouvoir politique. « Bien sûr que je ne suis pas content du résultat. Je ne suis pas content de moi […] Jamais plus je ne suivrais des demandes d’un responsable politique. Jamais plus je n’échangerai avec un responsable politique sur mes thématiques parce que j’ai perdu confiance totalement dans l’action publique ».

 

 

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