Après un été caniculaire, marqué par les épisodes de fortes chaleurs, la sécheresse et un nombre record de feux de forêts, Élisabeth Borne a choisi de placer sa rentrée sous le signe de la résilience. La Première ministre doit présenter au cours de l’automne un plan de sobriété et détailler sa feuille de route sur la « planification écologique ». Ce week-end, elle a ajouté une corde à son arc en annonçant la création d’un « fonds vert » de 1,5 milliard d’euros, destiné à soutenir les collectivités territoriales face au défi de la transition écologique. « Cela leur permettra de mettre en place des solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et à s’adapter au changement climatique », a expliqué la cheffe du gouvernement dans un entretien accordé au Parisien, évoquant principalement les questions d’urbanisme avec la lutte contre l’artificialisation des sols, la rénovation thermique des bâtiments publics ou encore la renaturalisation des centres-villes pour limiter les îlots de chaleurs.
Placer les leviers de la transition entre les mains des collectivités ?
Selon le journal Le Monde, cette enveloppe sera directement inscrite dans le projet de loi de finances 2023 qui doit être présentée fin septembre. Les modalités de son attribution n’ont pas encore été précisées, mais elle pourrait marquer un basculement important de la politique écologique du gouvernement en permettant aux collectivités de reprendre la main sur le sujet, via l’aménagement du territoire. En théorie, les objectifs à atteindre, par exemple en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de limitation de l’urbanisation, resteront ceux fixés par le gouvernement, mais les territoires pourraient avoir une plus grande marge de manœuvre sur les moyens à déployer pour y parvenir. « À force d’avoir été déçu, je fais preuve d’une certaine prudence, mais j’ai le sentiment que c’est le début de quelque chose… », confie à Public Sénat le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. « J’ai eu l’occasion de travailler avec Élisabeth Borne lorsqu’elle était ministre de l’Ecologie, et je sais qu’elle est attentive à la territorialisation de la transition écologique. Cette annonce va dans le bon sens. Il n’y aura pas de lutte contre le changement climatique sans une mobilisation des territoires », réagit son collègue écologiste Ronan Dantec.
Depuis quelques années, cet élu défend la création d’un fonds de dotations pour l’écologie à l’attention des collectivités. Si la mesure a été largement adoptée par le Sénat en 2021, sous la forme d’un amendement au projet de loi « Lutte contre le dérèglement climatique », elle a été retoquée dans la foulée par l’Assemblée nationale. Pour Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste - solidarités et territoire à la Chambre haute, les événements des dernières semaines ont fini par faire bouger l’exécutif. « Mieux vaut tard que jamais ! On voit bien, après l’été que l’on vient de traverser, que c’est la panique du côté du gouvernement. Les plans d’urgence s’enchaînent, mais ils n’iront pas de l’avant sans planification ».
Un modèle de financement qui n’existe pas
Pour Ronan Dantec, des discussions doivent à présent s’engager entre l’exécutif et les élus pour flécher ces 1,5 milliard. « Ils doivent être utilisés au mieux possible, investis dans des effets leviers avec un véritable impact systémique, sinon l’Etat devra continuer à mettre des sommes considérables sur la table », explique-t-il. « Un milliard, cela peut sembler beaucoup, mais c’est le coût estimé pour la rénovation thermique du parc public de la seule agglomération nantaise, alors imaginez à l’échelle de la France… », relève encore cet élu de la Loire-Atlantique. « Les politiques ne peuvent pas être que des banquiers. Les sommes investies doivent procurer des économies, permettre d’optimiser la consommation d’électricité ou le rendement agricole… », souligne Jean-François Husson. « Sans retombées directes et si les citoyens ne voient pas à quoi a servi cet argent, on n’y arrivera pas », avertit Guillaume Gontard qui rappelle que la taxe carbone a été en 2018 le principal déclencheur de la grogne des Gilets Jaunes.
Des préoccupations partagées sur le terrain. « La prise en compte et la mobilisation du Gouvernement à l’attention des collectivités en la matière est à saluer. Par ce plan annoncé par la Première ministre, l’Etat vient confirmer son soutien financier aux grandes villes qui sont en première ligne de la Transition écologique et se mobilisent déjà fortement. C’est une bonne chose », indique dans un communiqué l’association France urbaine qui rassemble métropoles et grandes villes. Avant de nuancer : « L’annonce reste cependant floue : 1,5 milliard d’euros est un chiffre global dont il est n’est pas précisé la manière de chiffrage ni la durée. Si c’est un fonds, ce n’est probablement pas un chiffre annuel. Pour mémoire, les collectivités investissent chaque année 50 milliards d’euros. France urbaine souhaite que cette somme ne soit pas fléchée projet par projet mais de façon globalisée et pluriannuelle. »
Le modèle de financement de la transition reste un point d’inquiétude au Palais du Luxembourg, aussi bien à gauche qu’à droite. Dans un rapport d’information présenté en juin dernier, le sénateur LR Jean-Baptiste Blanc alerte ainsi sur « l’absence de financement viable sans intervention publique » pour atteindre le « zéro artificialisation nette », un objectif porté par la loi du 22 août 2021 et qui vise à stopper d’ici trente ans le grignotage des espace naturels par l’extension urbaine. « Pour les communes, l’enjeu n’est pas tant la subvention que l’accès à l’emprunt », souligne Ronan Dantec. « Il faut sortir l’investissement pour la transition écologique du calcul de l’endettement. »
« Beaucoup de territoires ne savent pas encore par où commencer »
Davantage d’argent donc d’avantage de liberté ? Pas nécessairement. Selon les élus interrogés par Public Sénat les communes sont aussi bridées par l’absence de compétences. « Elles manquent d’ingénieries, de services. Il faudrait flécher une partie des fonds vers des plateformes d’accompagnement », pointe Guillaume Gontard pour ne pas reproduire certaines erreurs. « Par exemple, il y a eu beaucoup d’argent de débloqué pour la rénovation énergétique, et pourtant les résultats ont plutôt été limités. Les travaux engagés ne suffisent pas toujours à supprimer les passoires thermiques parce que les gens manquent d’informations, de perspectives. »
« Désormais, tous les territoires sont prêts à s’engager sur ces questions-là, mais beaucoup ne savent pas encore par où commencer. Il faut que la prochaine loi d’orientation soit plus claire sur ce que l’Etat attend des collectivités », martèle encore Ronan Dantec. Plus simple aussi. Au printemps dernier, la publication des décrets d’application de l’objectif « zéro artificialisation nette » a provoqué quelques sueurs froides chez les maires, poussant Françoise Gatel, sénatrice centriste d’Ille-et-Vilaine et présidente de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales à interpeller Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. « Les élus locaux sont accoutumés aux crises de migraine provoquées par la complexité des sujets qui font leur quotidien. Toutefois, l’art de la complexité a atteint un sommet avec la mise en œuvre du zéro artificialisation nette », a-t-elle relevé lors de la séance de questions au gouvernement du 13 juillet. « Aujourd’hui, beaucoup d’élus s’interrogent, mesurant leur manque d’information et d’outils pour être capables d’atteindre l’objectif », lui avait concédé le ministre, promettant d’engager des discussions. Ce qui n’a pas empêché, quelques semaines plus tard, les présidents de groupe Bruno Retailleau (LR) et Hervé Marseille (centriste) de réclamer un moratoire d’un an.
« Il y a une véritable exaspération dans les territoires par rapport aux injonctions contradictoires », soupire Jean-François Husson. « Je n’aime pas parler de planification, nous ne sommes pas en union soviétique, un plan c’est vertical, et la verticalité nous en avons soupé au cours des cinq dernières années. Mais il faut une stratégie, une vision convergente, des enjeux partagés à partir desquels entamer des discussions, territoire par territoire, avec les élus, la société civile, pour définir des solutions adaptées aux spécificités locales. »