PARIS , LES CANDIDATS REMI FERAUD ET EMMANUEL GREGOIRE
Crédit : SEVGI/SIPA

« Force du dégagisme », « fin de cycle » et « bataille de chiens » à venir : les socialistes font le bilan, après la victoire d’Emmanuel Grégoire face à Rémi Féraud

La victoire d’Emmanuel Grégoire, dès le premier tour, lors de la primaire PS qui l’opposait au sénateur Rémi Féraud s’explique notamment par « la volonté de tourner la page Hidalgo » chez les militants, mais aussi le poids des rapports de force issus du congrès PS ou la « dérive clanique » autour de la maire sortante.
François Vignal

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« C’est maintenant que les choses très sérieuses commencent ». Au lendemain du vote des militants PS, qui a propulsé le député Emmanuel Grégoire candidat PS à la mairie de Paris, en vue des municipales de mars 2026, face au sénateur Rémi Féraud, les socialistes débriefent et refont le match. Un match que certains voyaient en réalité sans issue pour le dauphin désigné par Anne Hidalgo.

« Sédimentation de frustrations, de rancœurs accumulées »

Un cadre parisien avait senti le vent tourner, en voyant monter « la force du dégagisme. Chez les militants, il y avait la volonté de tourner la page Hidalgo », a ressenti ce socialiste durant la campagne, y voyant une « fin de cycle ». Certains militants ont notamment reproché à la maire son opposition à Olivier Faure et au Nouveau front populaire. « On est dans une fin de cycle politique. Ça nécessitait de préparer la transition de façon harmonieuse », pense aussi un sénateur du groupe PS. Un autre analyse la victoire d’Emmanuel Grégoire comme « la sédimentation de frustrations, de rancœurs accumulées et certainement de promesses ». Soit des fondations incertaines.

« Si la victoire est nette, le résultat est équilibré. Près de 45 % des militants ont voté pour moi », a réagi auprès du Parisien Rémi Féraud, qui assure ne pas « regretter d’avoir été candidat. Cette campagne a été une remontada car Emmanuel était le candidat annoncé depuis des années. Une remontada formidable… Pour la gauche, du rassemblement à la mise en ordre de bataille, tout commence ! » lance, beau joueur, celui qu’Anne Hidalgo a soutenu, contre son ancien premier adjoint, avec qui la brouille était totale, depuis son échec à la présidentielle. Elle s’est sentie trahie, quand Emmanuel Grégoire s’est rapproché d’Olivier Faure, numéro 1 du PS. « Elle lui a mené en rétorsion la vie très dure », confirme un socialiste de la capitale.

« Rémi Féraud n’a pas grand-chose à se reprocher »

Pour un parlementaire pro Hidalgo, qui a soutenu Rémi Féraud, le sénateur n’aurait « pas grand-chose à se reprocher. C’était un candidat solide. Il a mené une très bonne campagne. Il était capable d’organiser le rassemblement et la transition ». Mais les militants n’ont pas suivi.

Cet échec a de multiples explications. « La campagne était tardive, à l’évidence », juge une socialiste. Et la question de l’incarnation et du manque de notoriété de Rémi Féraud « a joué pour les militants. Ça a forcément pesé », confirme l’un de ses soutiens. A l’inverse, « Emmanuel, c’est aussi une incarnation pour gagner face à Rachida Dati », comme nous affirmait lundi soir, après les résultats, l’eurodéputée PS Emma Rafowicz, directrice de campagne du député de Paris, estimant qu’« Emmanuel Grégoire incarne quelque chose qui fait envie ». La liste des soutiens a joué aussi. « Les militants sont sensibles au truc « vu à la télé ». Le soutien de Lionel Jospin, ça pesait », remarque un parlementaire parisien, tout comme certainement un sondage, paru en fin de campagne, très mauvais pour le PS et où Emmanuel Grégoire était mieux placé que son concurrent.

« Anne a réussi son mandat, elle a raté sa sortie »

Certains socialistes parisiens, en rupture de ban avec la maire de Paris, y voient avant tout l’échec de la sortante. « Anne a réussi son mandat, elle a raté sa sortie », lâche un élu, qui ajoute que « Rémi est victime d’une dérive clanique, un enfermement sur soi », l’une des critiques régulièrement portée contre Anne Hidalgo. On évoque même « des pressions sur certains maires arrondissements, pour soutenir Rémi ».

« Le problème d’Anne, c’est que son entourage ne la contredit plus. Il y a un effet de Cour total », décrit un ancien soutien, « or beaucoup, en off, par derrière, n’y croyaient pas. Mais ils se sont fait tordre le bras pour monter sur l’estrade. Et les adjoints de l’hôtel de ville qui n’ont pas fait le bon choix ont été marginalisés. On ne les consulte plus, on ne les appelle plus. La servilité remplace la réflexion », raconte une source de gauche. Avec « Anne, qui est une femme très affective », il faut choisir son camp, avec comme seule alternative d’être avec elle, ou contre elle. Du classique, réplique-t-on chez les amis de la maire, où on rappelle qu’au fond, c’est toujours ainsi que fonctionne la politique.

« Les logiques de congrès ont dominé tout le reste »

Le congrès du Parti socialiste, qui a vu Olivier Faure conserver son poste, au prix d’un parti à nouveau coupé en deux, qui n’en finit plus de se diviser sur la ligne à tenir face à LFI, a aussi eu son effet. Il serait même essentiel. « C’est certain que les logiques de congrès ont dominé tout le reste. C’est une erreur », regrette un proche de Rémi Féraud. Evoquant le poids des textes d’orientation (TO), le nouveau nom des courants au PS, il lance :

 On ne fait pas des municipales avec des TO. 

Un proche de Rémi Féraud.

Le vote sur les TO, fin mai, lors du congrès, a en effet étonnamment donné, quasiment à la virgule près, le résultat de lundi soir. Le texte d’orientation de Nicolas Mayer-Rossignol, soutenu par Anne Hidalgo et Rémi Féraud, était arrivé à Paris en tête avec 47,7 % des voix. Mais l’addition des voix des 33,5 % du TO d’Olivier Faure, et des 18,6 % de celui du président du groupe PS de l’Assemblée, Boris Vallaud, qui ont tous deux soutenu Emmanuel Grégoire, dépassait les 50 %, avec 52,1 %… soit quasiment le score de 52,6 % obtenu par le député.

« La balle est dans le camp de Grégoire » pour faire le rassemblement

S’il faut laisser l’écume retomber, l’enjeu pour les socialistes sera maintenant de tenter de partir unis. Mais le veulent-ils réellement ? Emmanuel Grégoire, comme Rémi Féraud, l’assurent. « Emmanuel Grégoire dit vouloir rassembler tout le monde. Mais ça doit se traduire », dit une sénatrice PS. « La balle est dans le camp de Grégoire », ajoute un pro Féraud, qui constate que « pour le moment, les premiers signes ne sont plutôt pas à l’apaisement et à l’unité ». C’est le cas du 15e arrondissement, qui interroge, où Anouch Toranian, candidate pour l’arrondissement soutenant Féraud, s’est retrouvée à égalité avec Florian Sitbon, le candidat d’Emmanuel Grégoire. Les deux ont 57 voix chacun, avec en plus une voix litigieuse. Un nouveau vote est organisé jeudi soir. Le camp du perdant aurait vu comme un bon signe un geste en faveur d’Anouch Toranian, histoire de mettre en pratique le rassemblement.

Mais les socialistes ont encore le temps de la jouer unis. Rémi Féraud pourrait ainsi proposer au gagnant de reprendre certaines de ses idées. Le sénateur avait mis sur la table une prime climat ou voulait faire des familles monoparentales une priorité.

« Il y a un vrai risque de perdre la ville, bien sûr »

La campagne qui s’annonce maintenant sera loin d’être une partie de plaisir. « Il va y avoir une bataille électorale. Ce sont toujours des batailles de chiens, et celle-ci le sera aussi », prédit un sénateur de Paris. Mais une première bataille se jouera d’abord à gauche, avec le spectre de la division et d’un premier tour en forme de primaire. « Il n’y aura pas de victoire hors du rassemblement. C’est la réalité. Si vous entrez dans la séquence en ajoutant la division, vous perdez. Emmanuel Grégoire devra recoller les morceaux et s’adresser aux autres mouvements de gauche, tendre la main », pense un élu parisien, y compris à « cet électorat qui a pu voter Macron en 2017 ». Indispensable pour l’emporter dans « les swing states, c’est-à-dire dans les 12e et 14e arrondissements, où l’électorat est modéré », analyse cet élu.

Mais de l’autre côté, LFI monte, selon les sondages, et le candidat des Ecologistes, David Belliard, a déjà ouvert la porte à un accord avec le parti de Jean-Luc Mélenchon, qu’Emmanuel Grégoire a exclu pendant la campagne. Mais un sénateur de Paris prévient : si « la gauche est favorite » sur le papier, avec Rachida Dati qui pourrait manquer cruellement de réserves de voix pour le second tour, rien n’est fait en réalité, met en garde ce connaisseur de la capitale : « Avec trois listes de gauche, on risque de perdre la mairie, par nos divisions. Il y a un vrai risque de perdre la ville, bien sûr ». Un tremblement de terre dont les répercussions se feraient ressentir au-delà du périphérique.

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