« Fous le camp bougnoule » : le maire de Givors victime d’une lettre raciste
Le maire de Givors (Rhône), Mohamed Boudjellaba, a reçu un courrier anonyme, contenant des menaces de mort et des insultes racistes. La classe politique y répond par une condamnation anonyme.

« Fous le camp bougnoule » : le maire de Givors victime d’une lettre raciste

Le maire de Givors (Rhône), Mohamed Boudjellaba, a reçu un courrier anonyme, contenant des menaces de mort et des insultes racistes. La classe politique y répond par une condamnation anonyme.
Public Sénat

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Quatre pages d’une violence extrême, ponctuées de « bougnoule » et de menaces de mort. Le maire de Givors (DVG), Mohamed Boudjellaba, élu en 2020, a publié sur Twitter quelques extraits d’une lettre anonyme, dont il a été destinataire.

L’édile indique avoir porté plainte et écrit au procureur de la République, ainsi qu’au préfet du Rhône : « Le respect des citoyens et des élus, dans leur diversité, est un impératif qui ne peut être remis en cause, déclare-t-il. Il est le fondement sur lequel repose notre République, il est la pierre angulaire du vivre-ensemble »

Le gouvernement a réagi, dès le lendemain, sur Twitter. « Quatre pages de répugnances non signées. Une enquête est ouverte pour retrouver cet anonyme et le présenter à la justice », a précisé le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, en adressant son soutien à « notre compatriote » maire de Givors.


Agnès Le Brun, porte-parole de l’association des maires de France, témoigne de sa « solidarité » et « apporte un soutien total à l’élu », soulignant le caractère « assez inédit » de cette lettre : « Il ne s’agit pas d’une injure raciste proférée dans la rue ou d’une éructation brève. Quatre pages de menaces de mort comme celles-ci, c’est – de mémoire – l’attaque la plus violente dont on ait eu connaissance jusqu’ici. »

L’AMF fait en outre le rapprochement entre cette lettre anonyme et les insultes sexistes dont ont pu être victimes certaines élues : « Les agressions contre les maires apparaissent comme une exacerbation de la haine sociétale, contre les femmes, contre les personnes issues de la diversité, contre l’autorité », détaille Agnès Le Brun. « Un maire est surexposé à la bêtise, la haine, la jalousie, etc. »

« Des centaines de lettres anonymes »

« J’en étais venu à croire que les racistes ne prenaient plus la peine de se cacher », ironise Kofi Yamgnane, conseiller général du Finistère pendant quatorze ans et secrétaire d’État à l’intégration sous Mitterrand. Né au Togo, Breton d’adoption, il était devenu le premier maire noir dans l’Hexagone, en prenant la tête de la commune de Saint-Coulitz en 1989.

« Je n’ai jamais eu de difficulté singulière avec mes administrés, raconte-il. Au contraire ! Ce sont eux qui sont venus me chercher pour remplacer le précédent maire, qui était en place depuis 36 ans. Ils m’ont dit : "Vous êtes le seul à avoir le bac, donc le seul à pouvoir le battre". »

Il en ira tout autrement avec le « reste du pays » : « J’ai reçu des centaines de courriers anonymes, des injures, des menaces de mort. Je les ai d’ailleurs conservées. » Mais, selon lui, « les gens avaient encore conscience que le racisme n’est pas une opinion mais un délit ». Le slogan, pourtant, n’a pas changé : « C’est "sale nègre, retourne chez toi". Nous ne serions pas à notre place. »

Le rapport du Sénat, concernant les agressions de maire entre 2014 et 2019, faisait état de « quatre insultes ou tags racistes ».  Kofi Yamgnane réclame des « sanctions exemplaires » : « Il faut punir ces agissements pour que ces gens arrêtent de penser qu’ils sont supérieurs, sous prétexte qu’ils sont blancs et ont la carte de nationalité française. Ça n’a pas de sens ! »

La diversité progresse, lentement

Cette agression soulève également la question de la diversité dans les mairies de France. Le Conseil représentatif des associations noires (Cran) avait publié en 2014 une étude montrant la timide progression de la diversité dans les conseils municipaux des 50 communes les plus peuplées de France. Seuls 9 % des maires adjoints étaient issus de l’immigration : 7 % d’élus d'origine maghrébine, 2 % d’élus noirs et 0,1 % d’élus d'origine asiatique.

Le Cran soulignait de « grosses disparités entre partis », les municipalités dirigées par le parti communiste comptant à elles seules 16 % d’adjoints issus de la diversité. « On observe malgré tout des progrès depuis 2007 », note le président de l’association Ghyslain Vedeux. « Maintenant, il nous faut travailler sur les raisons fondamentales qui construisent ces inégalités. »

Du sursis pour des injures racistes à l’encontre de Laetitia Avia

Les insultes envers des élus noirs ou d'origine maghrébine ne sont pas rares. Le 14 mai dernier, un ancien élu de Béziers, Michel Bousquet, avait publié un message sur sa page Facebook prenant pour cible la parlementaire, d'origine togolaise : « Elle s’exprime comme une merde, dont elle a la couleur ! Comment on peut foutre ça ministre ? Mystère ! », écrivait-il. Jugé à la mi-juillet, l’ex-conseiller municipal avait plaidé « une erreur, une maladresse » : « Je ne suis pas raciste », avait-il assuré.

Le 13 août, le tribunal correctionnel de Béziers l’a condamné à quatre mois de prison avec sursis, assortis de 4 000 euros de dommages et intérêts à la députée. En janvier 2019, elle et Hervé Berville avaient également été visés dans une lettre anonyme menaçant de mort le député Jean-François Mbaye.

Devant tous ces faits, Ghyslain Vedeux déplore un « manque de sanction », alors même que « ces agressions se multiplient ».

Partager cet article

Dans la même thématique

« Fous le camp bougnoule » : le maire de Givors victime d’une lettre raciste
3min

Politique

« C'est 50.000 euros de manque à gagner » : un an après les Jeux, ce para-sportif dénonce le départ de ses sponsors

Un an après, quel est l’héritage des Jeux olympiques et paralympiques ? Inclusion, transports, infrastructures, sponsors… pour Sofyane Mehiaoui, joueur de basket fauteuil qui a représenté la France, si l’accès à la nouvelle Adidas Arena porte de Clignancourt à Paris est un vrai bénéfice, le départ de ses sponsors révèle le manque d’engagement durable des marques auprès de parasportifs. Il témoigne dans l'émission Dialogue Citoyen, présenté par Quentin Calmet.

Le

« Fous le camp bougnoule » : le maire de Givors victime d’une lettre raciste
6min

Politique

Agences de l’État, qui veut gagner des milliards ? 

La ministre des Comptes publics propose de supprimer un tiers des agences de l'État pour faire deux à trois milliards d’économies. Seulement, pour en rayer de la liste, encore faudrait-il savoir combien il en existe…Une commission d'enquête sur les missions des agences de l’État s’est plongée dans cette grande nébuleuse administrative. ARS, France Travail, OFB, CNRS, ADEME, ANCT, des agences, il y en a pour tous et partout ! Mais “faire du ménage” dans ce paysage bureaucratique touffu rapportera-t-il vraiment les milliards annoncés par le gouvernement et tant espérés par la droite ? Immersion dans les coulisses de nos politiques publiques…

Le

President Emmanuel Macron Visits the 55th Paris Air Show at Le Bourget
7min

Politique

Budget 2026 : « Emmanuel Macron a une influence, mais ce n’est pas le Président qui tient la plume »

Le chef de l’Etat reçoit lundi plusieurs ministres pour parler du budget. « Il est normal qu’il y ait un échange eu égard à l’effort de réarmement qui est nécessaire », explique l’entourage d’Emmanuel Macron. « Il laisse le gouvernement décider », souligne le macroniste François Patriat, mais le Président rappelle aussi « les principes » auxquels il tient.

Le

Bruno Retailleau public meeting at Docks 40 in Lyon.
5min

Politique

Tribune de LR sur les énergies renouvelables : « La droite essaye de construire son discours sur l’écologie dans une réaffirmation du clivage gauche/ droite »

Après la publication d’une tribune sur le financement des énergies renouvelables, le parti de Bruno Retailleau s’est retrouvé sous le feu des critiques. Pourtant, en produisant un discours sur l’opposition aux normes écologiques, LR semble revitaliser le clivage entre la gauche et la droite.

Le