Quatre pages d’une violence extrême, ponctuées de « bougnoule » et de menaces de mort. Le maire de Givors (DVG), Mohamed Boudjellaba, élu en 2020, a publié sur Twitter quelques extraits d’une lettre anonyme, dont il a été destinataire.
L’édile indique avoir porté plainte et écrit au procureur de la République, ainsi qu’au préfet du Rhône : « Le respect des citoyens et des élus, dans leur diversité, est un impératif qui ne peut être remis en cause, déclare-t-il. Il est le fondement sur lequel repose notre République, il est la pierre angulaire du vivre-ensemble »
Le gouvernement a réagi, dès le lendemain, sur Twitter. « Quatre pages de répugnances non signées. Une enquête est ouverte pour retrouver cet anonyme et le présenter à la justice », a précisé le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, en adressant son soutien à « notre compatriote » maire de Givors.
Agnès Le Brun, porte-parole de l’association des maires de France, témoigne de sa « solidarité » et « apporte un soutien total à l’élu », soulignant le caractère « assez inédit » de cette lettre : « Il ne s’agit pas d’une injure raciste proférée dans la rue ou d’une éructation brève. Quatre pages de menaces de mort comme celles-ci, c’est – de mémoire – l’attaque la plus violente dont on ait eu connaissance jusqu’ici. »
L’AMF fait en outre le rapprochement entre cette lettre anonyme et les insultes sexistes dont ont pu être victimes certaines élues : « Les agressions contre les maires apparaissent comme une exacerbation de la haine sociétale, contre les femmes, contre les personnes issues de la diversité, contre l’autorité », détaille Agnès Le Brun. « Un maire est surexposé à la bêtise, la haine, la jalousie, etc. »
« Des centaines de lettres anonymes »
« J’en étais venu à croire que les racistes ne prenaient plus la peine de se cacher », ironise Kofi Yamgnane, conseiller général du Finistère pendant quatorze ans et secrétaire d’État à l’intégration sous Mitterrand. Né au Togo, Breton d’adoption, il était devenu le premier maire noir dans l’Hexagone, en prenant la tête de la commune de Saint-Coulitz en 1989.
« Je n’ai jamais eu de difficulté singulière avec mes administrés, raconte-il. Au contraire ! Ce sont eux qui sont venus me chercher pour remplacer le précédent maire, qui était en place depuis 36 ans. Ils m’ont dit : "Vous êtes le seul à avoir le bac, donc le seul à pouvoir le battre". »
Il en ira tout autrement avec le « reste du pays » : « J’ai reçu des centaines de courriers anonymes, des injures, des menaces de mort. Je les ai d’ailleurs conservées. » Mais, selon lui, « les gens avaient encore conscience que le racisme n’est pas une opinion mais un délit ». Le slogan, pourtant, n’a pas changé : « C’est "sale nègre, retourne chez toi". Nous ne serions pas à notre place. »
Le rapport du Sénat, concernant les agressions de maire entre 2014 et 2019, faisait état de « quatre insultes ou tags racistes ». Kofi Yamgnane réclame des « sanctions exemplaires » : « Il faut punir ces agissements pour que ces gens arrêtent de penser qu’ils sont supérieurs, sous prétexte qu’ils sont blancs et ont la carte de nationalité française. Ça n’a pas de sens ! »
La diversité progresse, lentement
Cette agression soulève également la question de la diversité dans les mairies de France. Le Conseil représentatif des associations noires (Cran) avait publié en 2014 une étude montrant la timide progression de la diversité dans les conseils municipaux des 50 communes les plus peuplées de France. Seuls 9 % des maires adjoints étaient issus de l’immigration : 7 % d’élus d'origine maghrébine, 2 % d’élus noirs et 0,1 % d’élus d'origine asiatique.
Le Cran soulignait de « grosses disparités entre partis », les municipalités dirigées par le parti communiste comptant à elles seules 16 % d’adjoints issus de la diversité. « On observe malgré tout des progrès depuis 2007 », note le président de l’association Ghyslain Vedeux. « Maintenant, il nous faut travailler sur les raisons fondamentales qui construisent ces inégalités. »
Du sursis pour des injures racistes à l’encontre de Laetitia Avia
Les insultes envers des élus noirs ou d'origine maghrébine ne sont pas rares. Le 14 mai dernier, un ancien élu de Béziers, Michel Bousquet, avait publié un message sur sa page Facebook prenant pour cible la parlementaire, d'origine togolaise : « Elle s’exprime comme une merde, dont elle a la couleur ! Comment on peut foutre ça ministre ? Mystère ! », écrivait-il. Jugé à la mi-juillet, l’ex-conseiller municipal avait plaidé « une erreur, une maladresse » : « Je ne suis pas raciste », avait-il assuré.
Le 13 août, le tribunal correctionnel de Béziers l’a condamné à quatre mois de prison avec sursis, assortis de 4 000 euros de dommages et intérêts à la députée. En janvier 2019, elle et Hervé Berville avaient également été visés dans une lettre anonyme menaçant de mort le député Jean-François Mbaye.
Devant tous ces faits, Ghyslain Vedeux déplore un « manque de sanction », alors même que « ces agressions se multiplient ».