Jamais depuis le lancement de l’enquête « Fractures françaises » en 2014, les Français ne s’étaient montrés aussi pessimistes. 90 % d’entre eux estiment que la France est « en déclin », un record historique. Dans une France minée par les crises sociales, environnementales, géopolitiques et surtout politiques, la confiance des Français envers leurs institutions et leurs dirigeants continue de reculer. Cette morosité s’inscrit dans une période particulièrement mouvementée avec la censure du gouvernement Barnier, les démissions successives des gouvernements Bayrou puis Lecornu, et la reconduction difficile de ce dernier en octobre, juste avant la réalisation du sondage. Dans ce contexte de défiance généralisée, seule une institution et un parti se distinguent par leur niveau de confiance : la commune et le Rassemblement national.
Le RN s’impose comme parti « capable de gouverner »
L’édition 2025 de « Fractures françaises » confirme une mutation profonde du rapport des citoyens aux partis politiques. L’image du Rassemblement national continue de s’améliorer, 47 % des Français considèrent désormais que le RN est « capable de gouverner le pays », soit une hausse de 5 points par rapport à 2024 et de 15 points depuis 2020. De même, 42 % des sondés estiment que le RN est « proche de leurs préoccupations », le score le plus élevé parmi toutes les formations politiques. Par contraste, seuls 49 % des Français jugent encore le RN « dangereux pour la démocratie » (–12 points depuis 2020), et 50 % le perçoivent comme un parti « qui attise la violence » (–9 points depuis 2021).
Un paysage partisan bouleversé
Le rapport de force politique continue de se modifier. En 2025, 22 % des Français se déclarent sympathisants du Rassemblement national, contre seulement 8 % pour le Parti socialiste ou La France insoumise, 6 % pour Renaissance et Les Républicains, et 5 % pour les Écologistes. Les autres partis, PCF, MoDem, Horizons ou Reconquête ! oscillent entre 1 et 3 %. Par rapport à 2020, la progression du RN est spectaculaire, + 8 points en cinq ans, tandis que les grands partis traditionnels, de la droite à la macronie, s’effondrent. Renaissance et Les Écologistes perdent chacun plus de six points de soutien, signe d’une désaffection durable. Cette tendance s’explique en partie par « une attente de stabilité et d’autorité plutôt qu’un rejet des institutions démocratiques », selon les auteurs de l’étude.
Une droitisation des préférences partisanes
Avec 47 % de crédibilité sur sa capacité à gouverner, le Rassemblement national n’est désormais plus devancé que d’un point par Les Républicains et distance le parti présidentiel Renaissance de 17 points. L’étude souligne aussi une dégradation de la « force de répulsion » du RN. S’il reste perçu comme un parti d’extrême droite par 66 % des Français, ce chiffre est en recul.
En parallèle, 70 % des sondés qualifient La France insoumise de parti d’extrême gauche, signe d’une polarisation accrue. La gauche radicale pâtit ainsi d’une image de plus en plus « radicale », quand le Rassemblement National se repositionne comme une force de gouvernement. La normalisation du parti d’extrême droite semble désormais achevée. Pour une partie croissante de l’électorat, il incarne moins la rupture que la continuité d’un ordre à restaurer.
Vers une présidentielle sous tension ?
À moins de deux ans de l’élection présidentielle, cette dynamique place le Rassemblement national en position de favori. Si le « front républicain » a encore fonctionné lors des législatives de 2024, il pourrait se révéler beaucoup plus fragile en 2027. La désaffection vis-à-vis des partis traditionnels, la crise de confiance envers l’exécutif et la lassitude démocratique créent un terrain favorable à la progression du RN. Toutefois, les auteurs de l’étude soulignent qu’un écart persiste entre la crédibilité accordée au parti et le soutien électoral à une candidature spécifique. Mais dans cette France dépeinte comme « fatiguée », « inquiète » et en « quête d’autorité », le Rassemblement national apparaît, pour beaucoup, comme l’alternative la plus crédible.
Enquête réalisée en ligne par Ipsos du 1er au 9 octobre 2025, auprès d’un échantillon représentatif de 3 000 personnes âgées de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.