Le pari est d’autant plus audacieux qu’il repose sur un contexte fragile. S’il ne se n’était pas prêté à l’exercice lors de son arrivée à Matignon, le 25 août dernier, lors d’une conférence consacrée au budget 2026, François Bayrou a créé la surprise en annonçant qu’il recourrait à l’article 49, alinéa 1, de la Constitution. Ce mécanisme permet au chef du gouvernement de solliciter à la suite d’un discours de politique générale, la confiance des députés, ce qui revient à leur demander s’ils approuvent la politique qui s’apprête à être menée. Dans une Assemblée où il ne dispose que d’une majorité relative, la démarche apparaît risquée. La gauche comme le Rassemblement national ont déjà fait savoir qu’ils voteraient contre.
Une arme politique rarement létale
L’histoire constitutionnelle montre pourtant que cette arme a toujours servi à conforter les Premiers ministres plutôt qu’à les renverser. Depuis 1958, l’article 49.1 a été utilisé à quarante et une reprises. Pierre Mauroy, sous François Mitterrand, y a recouru cinq fois entre 1981 et 1984, notamment pour son programme énergétique et économique, chaque fois avec succès grâce à une majorité absolue. Pierre Bérégovoy, en 1992, avait sollicité la confiance de l’Assemblée sur les négociations des accords généraux sur les tarifs douaniers et le commerce, obtenant 301 voix pour et 251 contre, un résultat serré mais suffisant pour rester en poste. Michel Rocard en 1988 sur la politique au Moyen-Orient, Édouard Balladur en 1993 sur le GATT, Alain Juppé en 1995 lors de sa réforme de la Sécurité sociale ou encore François Fillon en 2009 sur la politique étrangère de la France, ont également eu recours à cette procédure dans des moments sensibles, mais aucun n’a chuté. Le vote le plus incertain demeure celui de Jacques Chirac en 1986, lors de la première cohabitation, il avait obtenu la confiance avec seulement sept voix d’avance.
Des premiers ministres prudents ?
Conscients du danger que représente un Parlement fragmenté, les Premiers ministres récents ont évité cette procédure. Ni Élisabeth Borne en 2022, ni Gabriel Attal, ni Michel Barnier en 2024 n’ont osé s’y risquer. Le dernier à l’avoir utilisée reste Jean Castex en juillet 2020, dans la foulée de sa déclaration de politique générale. Avant lui, Édouard Philippe avait lui aussi sollicité la confiance en 2017 et en 2019, à chaque fois avec une large majorité. Mais beaucoup d’autres, avant même les mandats d’Emmanuel Macron, avaient déjà fait le choix de s’en passer comme Georges Pompidou en 1966, Raymond Barre en 1976 ou encore Michel Rocard en 1988.
Bayrou, premier à tomber ?
C’est donc dans un contexte institutionnel inédit que François Bayrou a choisi de placer le sort de son gouvernement entre les mains des députés. Cette décision, justifiée par sa volonté de « mettre chacun devant ses responsabilités » face à l’urgence budgétaire, pourrait bien précipiter sa chute. Car cette fois, contrairement à ses prédécesseurs, il ne bénéficie pas d’une majorité solide. Si les députés refusent de lui accorder leur confiance, François Bayrou deviendra le premier Premier ministre renversé par l’article 49, alinéa 1. Cette éventualité marquerait une rupture dans l’histoire de la Ve République. L’instrument constitutionnel, conçu pour affermir l’exécutif, deviendrait le symbole de sa fragilité. Plus largement, un tel épisode poserait une question de fond : est-il encore possible de gouverner durablement la France sans majorité absolue à l’Assemblée nationale ?