Paris : Session of questions to the Prime Minister at the National Assembly

François Bayrou favorable au cumul des mandats, un thème cher à la droite

En plaidant pour le retour du cumul des mandats, le Premier ministre François Bayrou, qui entend bien rester maire de Pau, embraye le pas à la droite qui a déjà tenté de faire adopter plusieurs propositions de loi, notamment au Sénat, pour faire sauter le cadre légal mis en place sous François Hollande. La gauche, en revanche, y reste fermement opposée.
Romain David

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« Pour les députés, interdiction absolue du cumul. On ne peut pas l’interdire pour les députés et l’accepter pour les membres du gouvernement. Donc je suis pour l’interdiction de l’exercice de tout mandat quand on est ministre ». Cette déclaration est de François Bayrou, prononcée en marge de la présidentielle de 2012, à l’occasion d’un forum organisé par le magazine Elle à Sciences Po. Une séquence largement reprise sur les réseaux sociaux et dans les médias depuis hier soir, alors que le tout nouveau Premier ministre vient de relancer le débat sur le cumul des fonctions.

Lundi, François Bayrou s’est attiré de nombreuses critiques, y compris au sein du bloc central, pour avoir choisi de présider le conseil municipal de Pau, ville dont il est maire depuis 2014, plutôt que de se rendre à Mayotte, durement frappée par le cyclone Chido. « Il faut ré-enraciner les responsabilités politiques, dans les villages, les quartiers, les villes », a plaidé le Palois devant son Conseil municipal. « On s’est trompés en [rendant] incompatibles les responsabilités locales et nationales, c’est une erreur […] Pour les membres du gouvernement, c’est autorisé, pour les parlementaires, non. Je pense qu’il faut que ce débat soit repris », a-t-il expliqué.

Ce revirement a de quoi surprendre, lorsque l’on sait que par le passé François Bayrou a voulu proposer un référendum sur le non-cumul des parlementaires – finalement adopté sous la présidence de François Hollande -, ou encore faire inscrire l’interdiction pour les ministres d’exercer des fonctions exécutives locales dans le projet de loi de moralisation de la vie publique, préparé lors de son éphémère passage au ministère de la Justice en 2017. À la décharge du centriste, nommé à Matignon vendredi 13 décembre, réouvrir la possibilité pour les députés et les sénateurs de cumuler leurs fonctions de représentants de la Nation avec un mandat exécutif local est une question qui taraude la classe politique depuis plusieurs années, notamment à droite.

Entre parlementaires et ministres, deux poids deux mesures

Depuis une loi votée en 2014, mais entrée en application en 2017, les possibilités de cumul des mandats sont fortement encadrées. Les parlementaires, députés et sénateurs, n’ont plus le droit d’exercer une fonction exécutive au sein d’une collectivité. En clair, ils ne peuvent pas siéger à l’Assemblée nationale ou au Sénat et être à la fois maire ou adjoint au maire, président ou vice-président de conseil régional ou départemental, président ou vice-président d’un EPCI (établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre), comme une métropole.

Précisons que cette règle ne concerne pas les ministres. Rien, ni dans la loi ni dans la Constitution, ne les empêche d’exercer en sus de leurs fonctions gouvernementales un mandat de maire. Toutefois, une forme de jurisprudence s’est installée depuis Lionel Jospin, qui avait imposé la règle selon laquelle un ministre doit quitter sa mairie. Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron s’en sont émancipés à plusieurs reprises, permettant aux membres du gouvernement de conserver leurs fonctions d’édiles. À l’exception notable des Premiers ministres Edouard Philippe et Jean Castex, qui ont renoncé à leurs mairies respectives en arrivant à Matignon. Un modèle que n’entend pas suivre François Bayrou.

Les divisions du bloc central

Fin mai, le député Renaissance Éric Woerth, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, présentait un rapport très attendu sur la décentralisation. Il y préconisait notamment de revenir au cumul des mandats, et de « permettre à tout parlementaire d’exercer le mandat de maire, d’adjoint au maire ou de président d’EPCI ». « À l’Assemblée nationale, ils ont passé trois mois sur des marchés, ils ont serré la main à deux maires et ils ont l’impression d’avoir fait le tour des problématiques locales. L’absence de cumul des mandats a fait beaucoup de mal et déraciné tout le monde », avait brocardé le député fin octobre lors d’une audition au Sénat, en évoquant les 155 néodéputés arrivés au Palais Bourbon à l’occasion des législatives anticipées.

L’idée est loin de faire l’unanimité dans le camp présidentiel. Ce mardi matin, sur franceinfo, Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, a redit son opposition : « Je suis contre le cumul de mandats et je pense qu’il ne faut pas, en tout cas en ce moment, remettre ce sujet sur la table, ce n’est vraiment pas le moment », a-t-elle martelé. En mars dernier, les soutiens d’Edouard Philippe avaient réussi à faire adopter à l’Assemblée nationale une version édulcorée du retour au cumul, avec une proposition de loi permettant aux parlementaires d’exercer en plus la fonction d’adjoint au maire. Les députés Renaissance présents dans l’hémicycle se sont divisés sur ce texte, finalement adopté en première lecture grâce aux voix du Rassemblement nationale et des Républicains.

Lier cumul des mandats et scrutin proportionnel

« Je suis un défenseur du cumul des mandats », explique Hervé Marseille, le patron des sénateurs centristes, au micro de Public Sénat. L’élu des Hauts-de-Seine est lui aussi l’auteur d’une proposition de loi, adoptée par la Chambre haute en 2021, autorisant le cumul d’un mandat exécutif local dans une ville de moins de 10 000 habitants avec un mandat de parlementaire. Désormais, il lie ce sujet à celui de la proportionnelle : « Ça n’est peut-être pas ce qu’attendent nos concitoyens tous les matins. Il n’y a pas une attente de la population sur ça, mais on sait que, politiquement, la situation étant ce qu’elle est, il faut trouver d’autres voies [pour avancer], notamment la proportionnelle. Moi j’y suis favorable », explique-t-il.

Le président du Sénat, Gérard Larcher, s’est déjà dit ouvert à l’introduction d’une dose de proportionnelle, mais à condition de la coupler à la fin du non-cumul des mandats pour les parlementaires. Le rapport présenté au printemps par le groupe de travail qu’il a lui-même piloté sur les évolutions institutionnelles place d’ailleurs la mesure en tête de ses préconisations, sans la lier à la taille de la collectivité mais à « une règle de l’écrêtement du cumul des indemnités ». Il n’est pas sûr toutefois que cela suffise à rallier les Français à un retour en arrière : ils sont 67 % à souhaiter le maintien de l’interdiction du cumul des mandats nationaux et des mandats exécutifs locaux, selon un sondage Elabe pour BFM TV publié en mars.

 De nombreux élus ont préféré conserver un mandat national et l’expérience locale a été sacrifiée sur l’autel du progressisme  

Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire

« L’opinion publique est tellement chauffée contre ce sujet que l’idée d’un retour au cumul des mandats est devenue inaudible. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas le porter », défend le sénateur LR Max Brisson. « Nous avons un vrai problème de gouvernance, le régler est un préalable au reste, pour autant nous ne devons pas nécessairement revenir à la situation antérieure » assure-t-il.

« François Bayrou a compris que le non-cumul a fini par tuer le vivier politique », abonde son collègue LR Laurent Duplomb, lui aussi à l’origine d’une proposition de loi visant à « garantir l’ancrage territorial des parlementaires », mais qui n’a jamais été débattue. « De nombreux élus ont préféré conserver un mandat national et l’expérience locale a été sacrifiée sur l’autel du progressisme », tempête-t-il. « Il y a des gens tout à fait capables de cumuler les responsabilités et d’être bons sur toute la ligne. Pourquoi devrait-on s’en priver ? », argue ce sénateur qui invoque le suffrage universel comme seul arbitre. « Si les électeurs ne veulent plus de cumulards ou qu’ils les estiment incompétents, alors qu’ils arrêtent de voter pour eux ! »

Pour la gauche « le Premier ministre s’égare »

À gauche de l’échiquier politique, en revanche, on continue de défendre la loi de 2014. « Je trouve cela assez stupéfiant que l’on considère que l’on peut être à la fois Premier ministre et maire d’une grande ville comme Pau », a épinglé Manuel Bompard, le coordinateur de La France insoumise sur Sud Radio. « Le Premier ministre s’égare », a balayé Olivier Faure, le Premier secrétaire du Parti socialiste sur France 2. Le sénateur PS Éric Kerrouche, y voit une manœuvre politicienne. « Evidemment, c’est une façon de faire avaler la proportionnelle à la droite », avance-t-il, François Bayrou étant un partisan de très longue date de ce mode de scrutin, qui hérisse les défenseurs du scrutin majoritaire.

« Nous sommes le seul pays à débattre de cela car le cumul n’a jamais existé chez nos voisins. Aussi, ils ne considèrent pas que leurs élus sont mauvais parce qu’ils n’exercent pas de mandats locaux. De surcroît, de nombreuses études ont démontré que l’une des deux fonctions pâtit nécessairement de l’autre », assure encore Éric Kerrouche. « C’est une illusion de penser que le renforcement du pouvoir des parlementaires passera par le retour au cumul des fonctions. Il s’agit plutôt d’élargir les responsabilités du Parlement en déprésidentialisant notre régime », avance cet ancien directeur de recherche au CNRS.

À leur sortie de Matignon, où ils étaient reçus ce matin dans le cadre des consultations organisées en vue de la constitution d’un nouveau gouvernement, les écologistes n’étaient pas moins sévères avec la proposition de François Bayrou. « Si ce qu’il a voulu faire hier c’est démontrer l’intérêt du cumul des mandats et qu’il pouvait avoir une jambe à Matignon et une autre à Pau grâce au Falcone, je pense que cela a été à contre-emploi », a commenté Marine Tondelier, la patronne des Verts. « La démonstration qui a été faite, c’est que quand on veut jongler avec trop de balles, à la fin… les balles finissent par terre. »

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