Face à la gravité de la situation budgétaire, le Premier ministre table sur un coup de poker. François Bayrou sollicitera la confiance de l’Assemblée nationale le 8 septembre, jouant ainsi son va-tout pour tenter de faire passer un budget qui vise les 43,8 milliards d’euros d’économies, et dont les premières orientations, présentées avant la pause estivale, ont braqué une large partie de la classe politique.
« J’ai demandé au Président de la République, et il l’a accepté, de convoquer le Parlement en session extraordinaire le lundi 8 septembre. J’engagerai ce jour-là la responsabilité du gouvernement sur une déclaration de politique générale, conformément à l’article 49, alinéa premier, de notre Constitution », a déclaré le Palois à l’occasion d’une conférence de presse ce lundi 25 août. Le Premier ministre, qui n’avait pas demandé la confiance des parlementaires lors de sa nomination en décembre dernier, dans un contexte budgétaire tout aussi tendu, envisage ce vote comme une « clarification essentielle ». Il estime notamment que le constat « d’urgence nationale » sur la situation des comptes publics et la nécessité de réduire les dépenses n’est pas partagé par l’ensemble des formations politiques.
« Je ne sais si c’est un acte de panache ou un suicide politique »
Alors que La France insoumise, les communistes, les écologistes, mais aussi Le Rassemblement national ont déjà fait savoir leur intention de ne pas accorder leur confiance au gouvernement, tous les regards se tournent à présent vers le PS, susceptible de faire basculer la pièce d’un côté ou de l’autre. Si une majorité de députés vote contre la confiance au gouvernement, le Premier ministre devra présenter sa démission et celle de ses ministres au président de la République.
« Je crains que nous ne nous dirigions très vite vers un départ de François Bayrou le 8 septembre prochain », a lâché Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, sur TF1 ce lundi soir. Le député, réélu de justesse à la tête du parti à la rose en juin, avait jugé un peu plus tôt auprès du journal Le Monde « inimaginable que les socialistes votent la confiance au Premier ministre ». « Nous allons présenter un projet de budget alternatif à l’exécutif dans les prochains jours, mais je n’ai pas beaucoup de doutes », a-t-il encore glissé.
« François Bayrou nous prend de court. Je ne sais si c’est un acte de panache ou un suicide politique », réagit auprès de Public Sénat Patrick Kanner, le président du groupe socialiste au Sénat. Pour rappel, François Bayrou avait pu négocier un « pacte de non-censure » avec les socialistes en début d’année, mais depuis, ses relations avec les députés PS n’ont cessé de se dégrader.
« Aujourd’hui, il met un pistolet sur la tempe des députés en leur posant une question de confiance sur la situation budgétaire du pays, alors que le projet de loi de finances n’existe pas encore », déplore Patrick Kanner. « Moi-même j’ai besoin de prendre du recul, de réfléchir avec les miens pour analyser la situation. Nous sommes un parti démocratique, et nous allons avoir ce débat dans les prochains jours au sein de nos instances. Ce qui est certain, c’est que la maquette budgétaire présentée le 15 juillet est inacceptable. »
« Une forme d’entêtement jusqu’au-boutiste »
Le reste de la gauche sénatoriale analyse la conférence de presse du Premier ministre comme une forme de chant du cygne : « Je n’ai pas senti l’homme combatif. Il parlait au passé, comme s’il savait déjà qu’il n’allait pas avoir le vote de confiance. Et je ne vois pas comment il pourrait l’avoir ! », relève Guillaume Gontard, le chef de file des sénateurs écologistes. « S’abstenir, c’est permettre la poursuite de ce gouvernement, et je n’imagine pas une seule seconde l’ensemble du Nouveau Front populaire, y compris les socialistes, ne pas voter contre la confiance ». Il ajoute : « François Bayrou ne souhaitait pas subir une censure. Il s’imagine certainement que jouer cartes sur table est une manière de sortir par le haut ».
« Je ne vois pas comment on pourrait sortir par le haut en soumettant les Français et le Parlement à un insupportable chantage », dénonce Cécile Cukierman, présidente du groupe communiste. « Il y a une forme d’entêtement jusqu’au-boutiste de la part du gouvernement. Gouverner ce n’est pas imposer, c’est négocier au sens noble du terme. »
« Chacun doit prendre ses responsabilités »
L’annonce du Premier ministre a également suscité une certaine stupeur dans les rangs du bloc gouvernemental, largement représentés au Sénat. « C’est une surprise, mais tout cela n’est jamais que la conséquence d’une situation politique issue de la dissolution », constate le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général du budget à la Chambre haute. « Le gouvernement est prisonnier d’une équation à plusieurs inconnues, et l’attitude de François Bayrou peut laisser penser qu’il cherche une échappatoire. À lui de faire de la pédagogie, et les Français apprécieront s’il s’agit d’un coup politique ou non », explique l’élu. « Aujourd’hui, il n’y a pas de majorité dans le pays pour penser que la censure est une bonne chose, mais je ne vois pas comment il n’y aurait pas non plus de majorité à l’Assemblée pour ne pas vouloir profiter de cette situation », déplore-t-il.
« Ce vote de confiance mènera à la même situation que l’an dernier. Une France qui ne cherche pas un budget mais une France qui cherche un gouvernement. Ce coup de force politique est bien loin de l’urgence du pays », regrette sur X le sénateur LR Stéphane Le Rudulier.
Dans sa prise de parole, le Premier ministre s’en est vivement pris à une partie de la gauche, brocardant notamment la stratégie de « conflictualisation », adoptée par Jean-Luc Mélenchon. « Il y a comme une contradiction entre le discours du Premier ministre, centrée sur le retour à l’ordre, et le fait qu’il crée lui-même les conditions d’une nouvelle instabilité en jouant avec les institutions », pointe néanmoins Patrick Kanner.
« François Bayrou dresse un diagnostic grave mais juste sur la situation du pays. Il avait déjà tenté de convaincre l’Elysée de la nécessité d’un référendum sur le redressement des finances publiques. Aujourd’hui, de façon ultime, il essaye de frapper l’opinion et le Parlement pour pouvoir avancer », défend Hervé Marseille, le président de l’UDI et le patron du groupe centriste au Sénat. « Est-ce que l’on a les moyens de se payer une nouvelle crise politique ? Chacun doit prendre ses responsabilités. Il faut que la gauche fasse crédit à la situation du pays plutôt que d’essayer de marquer des points chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon », conclut-il.