« Il est temps d’avoir, dans nos grandes écoles, une représentation plus ressemblante de notre société, dans sa diversité géographique et sociale », annonçait Frédérique Vidal dans un entretien au Monde publié ce mardi. Si les boursiers représentent 38 % dans l’enseignement supérieur, ils se font rares dans les grandes écoles. À Polytechnique par exemple, ils ne sont que 11 % et la dernière promotion ne réunissait que 2 % d’enfants d’ouvriers et d’employés.
La ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche appelle donc à la remise en question des épreuves de culture générale dans les concours d’entrée « qui peuvent se révéler socialement discriminantes » et souhaite à ce qu’il y ait une réflexion sur « de nouvelles voies d’entrée dans les grandes écoles ».
Cet objectif d’une plus grande diversité dans les grandes écoles ne date pas d’hier, puisque Valérie Pécresse, alors ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, fixait en 2009 l’objectif de 30 % de boursiers dans ces établissements. À voir si cette fois, les volontés du gouvernement en la matière se concrétiseront.
La question des quotas pourrait enflammer le débat
L’objectif est donc d’aller plus loin que les mesures déjà mises en place dans plusieurs grandes écoles, comme les partenariats avec les lycées en ZEP de la région parisienne. Pour ce faire, la ministre a envoyé des lettres de mission aux directeurs de l’École polytechnique, des Écoles normales supérieures, d’HEC, de l’Essec et de l’ESCP Europe. Frédérique Vidal attend leurs propositions d’ici la mi-juillet.
De nombreuses pistes sont déjà lancées, mais la plus polémique est sans doute celle des quotas. Déjà présents dans plusieurs établissements de l’enseignement supérieur comme les IUT, les quotas de bacheliers issus de formation professionnelles et technologiques sont fixés par les recteurs d’académie. Mais peut-on imaginer un quota d’élèves boursiers dans les grandes écoles ? « Pourquoi pas ! Tout est sur la table pour que nous puissions aller vers une plus grande ouverture », répond la ministre.
« Madame Vidal se donne bonne conscience »
Du côté des sénateurs, la démarche de la ministre est loin de faire l’unanimité.
À gauche, le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, qui était monté au créneau lors de l’examen de la loi ORE, dénonce les positions de Frédérique Vidal. « Ce n’est pas honnête. On ne peut pas tenir deux discours opposés. Il y a eu une accentuation de la ségrégation sociale avec Parcoursup, qui a mis en place la sélection à l’université, et aujourd’hui on annonce qu’on va mettre de la mixité sociale dans les grandes écoles ». Pour le sénateur des Hauts-de-Seine, la ministre « se donne bonne conscience ».
L’option des quotas est à écarter pour la droite. « J’ai un avis plus que réservé à ce sujet. On a cette petite musique de chasse aux voies royales », dénonce Stéphane Piednoir, sénateur LR du Maine-et-Loire et membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. « Les bons élèves ne vont tout de même pas s’excuser de réussir », affirme-t-il.
Les inégalités dès l’enfance
Néanmoins, les deux élus se rejoignent sur le fait que les inégalités à l’école doivent être combattues dès le plus jeune âge. « Il faut mettre le paquet dès le primaire », selon le sénateur LR, soulignant que le dédoublement des classes mis en place « allait dans le bon sens ».
Le son de cloche est le même du côté des écoles, qui expliquent dans leurs communications respectives qu’il faut « aller chercher les lycéens ». Toutes vantent les partenariats et programme de tutorat mis en place ces dernières années.
Sur les pistes lancées par Frédérique Vidal, certaines écoles ont déjà adapté leurs concours d’entrée. L’ENS par exemple, où on comptabilise 20 % de boursiers, a mis en place en 2014 un concours réservé aux étudiants de licence. « Nous sommes passés dans ce nouveau concours à 25 % de boursiers, au lieu de 17 % pour le concours CPGE », explique Marc Mézard, directeur de l’ENS. « Une action qui n’est pas anecdotique, puisque ces étudiants représentent 40 % d’une promotion », selon lui.
« Le nombre de boursiers n’est pas une fin en soi »
Contactée, Chantal Dardelet, directrice du centre égalité des chances de l’Essec (qui revendique 21 % de boursiers), loue elle aussi les programmes d’admissions parallèles, réservés aux étudiants de licence, qui composent 50 % des actuels étudiants de l’école. Sur les pistes avancées par la ministre, elle juge difficilement applicable le principe de quotas.
« Évidemment, il faut se fixer des objectifs, mais le nombre de boursiers est un élément parmi d’autres. Ce n’est pas une fin en soi. Il faut que les écoles soient des moteurs de réussite pour tous les jeunes, en les accompagnant dès le collège et le lycée », explique-t-elle.
Chantal Dardelet insiste sur le fait qu’il faut faire connaître et expliciter ce qui existe déjà : « Il n’y a pas besoin d’inventer de nouvelles voies d’admissions, il faut communiquer sur les voies d’admissions parallèles et les programmes d’aides ».
L’exemple de Sciences Po Paris
Considérées comme de la « discrimination positive » selon certains, les voies réservées aux milieux défavorisés sont pourtant déjà présentes dans une grande école française : Sciences Po Paris. En 2001, l’IEP a mis en place le dispositif des Conventions éducation prioritaire (CEP), une voie d’accès sélective destinée aux élèves issus des lycées en ZEP. L’institution annonce qu’aujourd’hui, plus de cent établissements sont conventionnés et participent à la préparation et à la présélection des candidats.
Néanmoins, plusieurs limites ont été soulignées à propos de ce dispositif. S'il a permis d’augmenter la proportion de boursiers (en 2017, l’établissement en revendiquait 27 %, quand on en recensait 6 % en 2001), on voit aujourd’hui de plus en plus de familles plus favorisées inscrire leurs enfants dans les lycées conventionnés. « Ce qui est bénéfique pour la mixité de ces lycées, mais limite l’effet d’ouverture », regrette Frédérique Vidal.
L’institut d’études politiques pourrait même réformer ce système de conventions à partir de 2020, annonce Le Figaro. Selon le quotidien, « le seul fait d’être inscrit dans l’un des lycées partenaires ne suffira plus. L’origine sociale des lycéens sera prise en compte, peut-être via leur statut de boursier ».
En phase avec la réforme de l’ENA
Cette volonté annoncée de diversifier le profil des étudiants des grandes écoles est affichée quelques semaines après l’annonce de la réforme de l’ENA, confiée à Frédéric Thiriez. Celui-ci expliquait lundi 3 juin sur France info à quoi devait ressembler le recrutement du haut fonctionnaire de demain. « Nous recherchons toujours l'excellence, les meilleurs pour le service public donc il y aura un concours de toute façon. La question est : peut-il y avoir une forme de concours aménagé, de concours spécial ? Je dis pourquoi pas ».
Aujourd’hui, on ne compte à l’ENA que 15 % d’enfants d’agriculteurs, d’artisans, d’ouvriers ou employés, tandis que les fils de cadres sont surreprésentés à plus de 60 %. Si le constat d’une mauvaise représentativité est unanime, le chantier qu’ouvre Frédérique Vidal risque donc de faire débat à tous les étages de l’enseignement supérieur. La ministre s’est dite prête à user de la voie législative.