Fusion TF1-M6 : une ingérence sur les lignes éditoriales « ne serait pas compatible avec nos principes », estime le PDG de Bertelsmann
Auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias, Thomas Rabe, le PDG du géant allemand Bertelsmann, a évoqué les contours du rapprochement de son groupe, propriétaire de M6 et RTL, avec Bouygues, le détenteur de TF1. La nouvelle entité pourrait profondément chambouler le paysage médiatique français et le marché publicitaire.
Il s’agit de l’un des mouvements les plus importants jamais vus sur le marché médiatique français. Le groupe TF1, détenu par le groupe industriel Bouygues, et le groupe M6, propriété de RTL group dont l’actionnaire majoritaire est le géant allemand Bertelsmann, devraient fusionner d’ici la fin d’année. Une opération qui sera scrutée de près. De très près. Notamment par l’Autorité de la concurrence, puisque le rapprochement des deux premières chaînes privées du bouquet français pourrait aboutir à la création d’une entité dont les parts sur le marché publicitaire avoisineraient les 70 %. Une situation de monopole donc. Du côté des deux groupes, on invoque la nécessité de répondre à la concurrence des plateformes de vidéos à la demande, les Américains investissant des sommes pharaoniques dans la création de contenus.
« Il y a un basculement vers la vidéo en ligne et les contenus digitaux dans tous les pays du monde. C’est un phénomène global, prononcé chez les jeunes », constate Thomas Rabe, le PDG du groupe Bertelsmann, qui détient via RTL group 68 chaînes de télévision et 31 stations de radio, dont les françaises M6, W9, 6ter, Paris Première, Téva, Gulli, RFM TV, RTL, RTL2, ou encore Funradio. « Si nous ne rassemblons pas nos forces dans les pays européens, nous n’allons pas pouvoir - je ne dirais pas 'survivre' -, mais maintenir une position suffisamment forte », avertit cet économiste de formation, qui était auditionné jeudi matin par la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias.
Bouygues, premier maître à bord
Devant les élus de la Chambre Haute, Thomas Rabe s’est donc posé en défenseur d’un marché culturel et du divertissement européen menacé par l’appétit américain, et assure que le futur rapprochement de TF1 et M6 se fait « dans l’intérêt de l’audiovisuel français ». « L’alternative aurait été de vendre M6 et d’encaisser. Je peux vous dire que nous avons reçu un tas d’offres intéressantes », glisse-t-il.
« Nous avons proposé au groupe Bouygues un rapprochement entre TF1 et M6. Nous partageons la même analyse et la même vision stratégique », explique encore ce dirigeant, qui a accepté de laisser à l’industriel tricolore, spécialiste des télécommunications, les rênes de la nouvelle entité. « Nous ne nous retirons pas du marché français, nous restons dans le capital du nouvel ensemble à hauteur de 16 %, en partenariat avec Bouygues (actionnaire à 30%, ndlr)», indique Thomas Rabe. « Nous avons accepté qu’un groupe français soit l’actionnaire de référence d’un grand groupe de médias français. […] Il n’y a pas de conciliation si tout le monde veut continuer à contrôler ».
« Je n’interviens pas dans la ligne éditoriale, pour moi c’est une évidence »
Les rédactions des différents médias concernés par cette fusion, notamment TF1, M6 et RTL, vont-elles garder leurs moyens et leur indépendance malgré le rapprochement ?, a voulu s’enquérir le rapporteur socialiste de la commission, David Assouline. « Absolument ! », assure Thomas Rabe. « C’est dans notre intérêt de maintenir le caractère et les identités des programmes ». Car c’est là le point que tente d’éclaircir la commission au fil de ses auditions : le possédant est-il aussi un dirigeant qui ne dit pas son nom ? Les rédactions tombées dans l’escarcelle de grands groupes conservent-elles leur liberté de ton et d’investigation ?
« Nos managers sont des entrepreneurs, il y a une grande liberté de gestion. Les rédacteurs en chef sont responsables des contenus et de la ligne éditoriale », répond Thomas Rabe, selon qui la valeur des médias détenus par Bertelsmann est aussi déterminée par leur capacité à fournir des « informations crédibles » et indépendantes. « Nous prenons chaque jour des milliers de décisions sur ce que nous publions. Si je ne fais pas confiance aux différents responsables, le groupe devient ingérable », poursuit le PDG.
Interrogé par le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet sur les mécanismes formels qui garantissent « l’étanchéité entre les propriétaires et les rédactions », Thomas Rabe invoque une « pratique culturelle », qui ne trouve pas nécessairement de transcription juridique ou sous la forme d’un règlement écrit. « C’est un principe qui est vraiment au cœur de Bertelsmann. C’est l’une des raisons de notre succès. Je n’interviens pas dans la ligne éditoriale, pour moi c’est une évidence, c’est clair ». Une réponse qui tranche avec celle apportée par Bernard Arnault, le dirigeant de LVMH, devant la même commission quelques jours plus tôt, et qui déclarait : « Si Les Echos [dont il est le propriétaire, ndlr] devaient défendre demain l’économie marxiste, je serais quand même extrêmement gêné. Il faut quand même qu’il y ait des garde-fous ».
Le « droit d’ingérence personnel » de Nicolas de Tavernost
Surtout, la culture d’entreprise décrite par Thomas Rabe semble quelque peu en rupture avec des propos tenus par le passé par son partenaire, Nicolas de Tavernost, l’actuel président du directoire du Groupe M6, et qui doit devenir le dirigeant du futur groupe. « Je considère avoir un droit d’ingérence personnel », a-t-il déclaré à Télérama. Des propos que le sénateur Assouline ne manque pas de rappeler. Quelque peu embarrassé, le PDG de Bertelsmann finit par concéder qu’une ingérence de Nicolas de Tavernost sur la ligne éditoriale « ne serait pas compatible avec les principes évoqués. » Mais de nuancer aussitôt : « Cela m’étonnerait que ça se fasse en pratique ». Nul doute que Nicolas de Tavernost, qui doit être entendu vendredi après-midi par la commission d’enquête, sera invité par les élus à préciser ses déclarations.
Trois chaînes sur la sellette
Un autre point qu’ont tenté d’éclaircir les sénateurs est celui des chaînes qui seront probablement vendues au moment de la fusion. En effet, la législation française interdit au même propriétaire de détenir plus de sept chaînes. Théoriquement, l’entité TF1-M6 en comptabilisera dix. Le nouveau groupe devra donc se délester d’au moins trois d’entre elles. Lesquelles ? Une question sur laquelle Thomas Rabe n’a pas souhaité s’éterniser. Pour rappel, parce qu’il est de nationalité allemande, ce patron n’était pas tenu de donner suite à la convocation du Sénat français, il n’a pas eu non plus à prêter serment au début de l’audition.
« C’est un sujet que nous sommes en train d’étudier, nous sommes en train de tester le marché », balaye Thomas Rabe. Il reconnaît néanmoins que les critères économiques sont en première ligne. À savoir : la rentabilité des chaînes, le montant des offres faites par d’éventuels acheteurs, mais aussi les « dyssynergies » qu’elles peuvent présenter avec les deux fleurons TF1 et M6.
La réunion à l’Elysée n’a pas abouti sur un accord. Mais avec des lignes rouges qui peuvent paraître très éloignées, la sortie de crise semble encore lointaine. Un début de rapprochement émerge cependant sur la méthode, autour du non-recours au 49.3.
Depuis la chute de Bachar Al-Assad, certaines déclarations de responsables politiques conciliant avec le régime dictatorial refont surface. En octobre 2015 par exemple dans l’émission « Preuves par 3 » sur Public Sénat, Jean-Luc Mélenchon estimait que les bombardements russes et syriens faisaient partie d’une guerre nécessaire contre les rebelles.
Reçus par Emmanuel Macron ce mardi, avec d’autres formations politiques à l’exception de LFI et du RN, socialistes et écologistes se sont engagés, s’ils accèdent au pouvoir, à ne pas utiliser le 49.3 à condition que les oppositions renoncent à la motion de censure. « Ça a été repris par Horizons, par le MoDem », a assuré Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS.
À la sortie d’une réunion avec les partis, hors LFI ou RN, le patron des députés de la Droite républicaine insiste à nouveau sur la nécessité d’aboutir à un accord de non-censure pour qu’un gouvernement survive. Il maintient sa ligne rouge : la droite ne veut ni ministres issus de la France insoumise, ni application du programme du Nouveau Front populaire.