Après l’émotion, les réactions. Et dans le contexte de l’attaque du Hamas contre Israël, puis de l’attentat meurtrier contre le professeur d’Arras, Dominique Bernard, les politiques ne font pas toujours dans la demi-mesure. Du côté du gouvernement, on observe un durcissement des propos ou une surenchère. Deux ministres, celui de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et son collègue de l’Education nationale, Gabriel Attal, sont sous les projecteurs dans cette séquence. Ce sont les premiers concernés, de par leur portefeuille. Mais on observe aussi des propos ou prises de position qui sont loin d’être anodines.
Le ministre de l’Intérieur n’a pas laissé indifférent en attaquant, lundi soir, sur Cnews, le footballeur Karim Benzema. « Monsieur Benzema est en lien – on le sait tous – notoire, avec les Frères musulmans », a soutenu Gérald Darmanin sans apporter de preuve, tout en affirmant, pour étayer ses propos, que l’ancien joueur des Bleus est pratiquant et n’a pas réagi pour les victimes de l’attaque du Hamas. La veille, l’ex-joueur du Real de Madrid avait écrit sur X (ex-Twitter) : « Toutes nos prières pour les habitants de Gaza victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants ». Autre sortie encore de Gérald Darmanin, qui a fait réagir à gauche : « La haine du juif et la haine flic se rejoignent. Pas par conviction, mais par calcul électoral », a-t-il affirmé mardi.
Suite à l’attentat, le ministre de l’Intérieur a par ailleurs fait un lien entre terrorisme et immigration, sujet sur lequel s’avançaient jusqu’ici plutôt l’extrême droite puis et une partie des LR. Après l’attaque d’Arras, Gérald Darmanin, a en effet présenté son projet de loi comme un moyen d’« expulser tous ceux qui, même arrivés [en France] à l’âge de 2-3 ans, sont étrangers et méritent de retourner dans leur pays d’origine (…) parce que ce sont des dangers en puissance ».
De son côté, jeudi soir, sur France 2, Gabriel Attal a dit « travailler à des mesures » qui permettent de « sortir de nos établissements » scolaires les élèves signalés pour radicalisation, quand les personnels de l’éducation « signalent des élèves qui constituent selon eux, potentiellement une menace (…) en raison de propos qu’ils ont tenus ou d’actes qu’ils ont commis ». L’idée serait de « penser à des structures qui peuvent accueillir » ces élèves.
« Gérald Darmanin profite, en quelque sorte, de ce contexte »
Pour Emilie Zapalski, communicante politique, le ministre de l’Intérieur cherche à amener la situation à son avantage. Concernant le projet de loi immigration, « alors qu’il a du mal à faire avancer les choses depuis un an, Gérald Darmanin profite, en quelque sorte, de ce contexte, entre l’attaque du Hamas et l’assassinat à Arras, en se disant qu’il y a une fenêtre de tir. Avec l’idée de pousser plus loin, pour voir s’il peut avoir le soutien des LR », dont il a besoin pour faire adopter son texte, analyse la fondatrice de l’agence « Emilie Conseil ».
Mais le lien fait entre immigration et terrorisme, « c’est nouveau », note la communicante, qui ajoute : « Déjà que ce texte voulait traiter d’immigration et d’économie, par les métiers en tension, là, on va sur le terrorisme, en faisant un raccourci un peu nauséabond. Ça devient un texte fourre-tout ».
« Gérald Darmanin inscrit sa trajectoire politique dans les pas de Nicolas Sarkozy »
Bruno Cautrès, politologue au Cevipof de Sciences Po, estime en revanche qu’« on est un peu dans du classique de la part d’un ministre de l’Intérieur. Face à des situations de terrorisme, qui heurtent l’opinion, les ministres de l’Intérieur veulent incarner une posture de fermeté très forte. Il faut incarner l’autorité de l’Etat », rappelle le chercheur. « Après, il y a les particularités de Gérald Darmanin. C’est une figure de style imposée, mais il y apporte sa contribution personnelle, car depuis des mois, il veut afficher qu’il incarne une posture de fermeté régalienne au sein du système macroniste ».
Bruno Cautrès y voit le style de l’une des figures récentes de la droite. « Gérald Darmanin inscrit sa trajectoire politique dans les pas de Nicolas Sarkozy. On retrouve aussi chez lui cette communication qui veut s’affranchir du vocabulaire politiquement correct, on assume de dire des choses qui sortent du cadre. C’est la filiation sarkozyste ». Il ajoute :
Sortir les élèves radicalisés, comme le veut Gabriel Attal, « on ne sait pas ce que ça veut dire »
Pour le cas de Gabriel Attal, Emilie Zapalski y voit « une communication un peu plus maîtrisée. Il a commencé très fort avec l’interdiction de l’abaya à l’école. Il a gagné beaucoup en popularité ainsi. Evidemment, c’est de la com’, il essaie de faire beaucoup parler de lui, mais sur des choses concrètes ». En revanche, sur l’idée de sortir les élèves qui seraient radicalisés, le ministre se lance sur un terrain plus glissant, soulève la communicante : « Est-ce que ça cible les islamistes intégristes ? Les écolos virulents ? Ou l’extrême droite radicale ? On ne sait pas ce que ça veut dire ».
Emilie Zapalski s’étonne par ailleurs qu’« Emmanuel Macron dise en substance qu’il faut apaiser. Il faut qu’il tienne ses troupes dans ce cas. Il y a une double attitude ». Et pendant ce temps, « il y a un tapis déroulé au RN, qui ne parle pas. Ils n’ont rien à faire, mais juste à récupérer les votes. C’est très dangereux », selon la communicante.
« Gabriel Attal et Gérard Darmanin, ce sont les frères ennemis »
Inévitablement, une forme de concurrence, voire de rivalité, risque de s’installer entre les deux hommes, entre un ministre de l’Intérieur qui ne cache plus ses ambitions, et un autre qui est, comme dit Bruno Cautres, « une météorite, qui va très vite et gravit les échelons », en mordant sur le couloir de son collègue de la Place Beauvau. « Ce sont les frères ennemis », lance le communicant Philippe Moreau Chevrolet, qui ajoute : « Gabriel Attal et Gérard Darmanin jouent sur le même terrain de la laïcité et des valeurs républicaines, c’est vraiment un choc frontal ».
Selon le dirigeant de MCBG Conseil, l’ambition du ministre de l’Intérieur, et la volonté de l’Elysée de la contrôler, ne seraient pas sans lien avec la situation politique. « Gérald Darmanin a affirmé ses ambitions présidentielles cet été avec le soutien de Nicolas Sarkozy. On sait par ailleurs qu’il était soutenu par Bernard Arnault comme premier ministre potentiel. Il a appelé l’Elysée, il est intervenu. Et l’Elysée a cherché à limiter ses ambitions en mettant en avant Gabriel Attal, dont la sortie sur l’abaya a été faite le jour même de la rentrée politique de Gérald Darmanin. Il y a de la part de l’Elysée la volonté très nette d’opposer Gabriel Attal à Gérald Darmanin, pour calmer ses ambitions présidentielles. On est dans un jeu d’équilibre des pouvoirs et les deux sont supposés se neutraliser, car Emmanuel Macron ne veut pas avoir de successeur, car sinon, il perd son pouvoir », analyse Philippe Moreau Chevrolet. Mais la difficulté, « c’est que Gabriel Attal devient lui-même un successeur potentiel d’Emmanuel Macron et devient lui-même un problème pour l’Elysée ».
« Tout le jeu de Gabriel Attal consiste à exister aux dépens de Gérald Darmanin et il y arrive très bien. C’est un gros problème pour Gérald Darmanin qui se retrouve dans une surenchère, une spirale de communication, qui finit par se retrouver contre lui », continue Philippe Moreau Chevrolet. Le communicant pense ici à son attaque contre Karim Benzema :
« Au fond, Gérald Darmanin a très peur de disparaître et de se faire manger par Gabriel Attal »
« Les deux, Attal et Darmanin, ont besoin d’exister médiatiquement. Mais quand ça devient aussi obscur… La sortie sur Benzema, c’est une erreur. Mais c’est qu’au fond, Gérald Darmanin a très peur de disparaître et de se faire manger par Gabriel Attal. Du coup, il en rajoute des tonnes pour exister, et c’est là qu’on commet des erreurs », pense Philippe Moreau Chevrolet. Il relève qu’« en termes de communication, on peut attaquer quelqu’un de plus connu, pour essayer de grimper. C’est une stratégie qu’on recommande parfois en tant que communicant. Je ne sais pas s’il a voulu faire ça, mais le problème, c’est qu’on parle d’un joueur de foot, donc le niveau est un peu haut ».
Bruno Cautrès n’exclut pas non plus une concurrence entre ces deux animaux politiques. Mais le chercheur du Cevipof la tempère. « Ce sont des politiques. Tous les deux sont assez jeunes. Ils existent fortement, donc forcément, à un moment donné, ils seront en situation potentielle de rivalité. Mais pour le moment, c’est trop tôt pour dire s’il y aura entre eux un combat des futurs chefs », pense le politologue, qui note que « tant qu’on ne sait pas ce qu’il va se tramer au centre droit pour la présidentielle, si les LR iront de leur côté ou pas, s’ils feront un deal avec Edouard Philippe, toute interprétation est anticipée ». Mais « après, ce sont des politiques. Et évidemment, ils y pensent ».