Né en Guyane, petit-fils d’esclaves, résistant, Gaston Monnerville a été président du Sénat pendant 22 ans, de 1947 à 1968. Premier et seul président noir de la Haute assemblée, ce membre du Parti Radical a dédié son mandat à défendre le Sénat et les pouvoirs du Parlement.
Le Sénat de la IVe République : une chambre aux pouvoirs a minima
La Constitution de 1946 créant la IVe République dote le Sénat, qui s’appelait alors Conseil de la République, de pouvoirs très amoindris. En effet, la Haute assemblée ne dispose pas du pouvoir d’initiative législative et peut seulement émettre des avis. Elle est conçue comme une « chambre de réflexion » et non de décision.
Le but est de changer radicalement de la situation de la IIIe République, dans laquelle le Sénat était tout-puissant. Il disposait en effet de pouvoirs identiques à ceux de la Chambre des députés, détenait la possibilité de valider la dissolution de celle-ci par l’exécutif et avait le pouvoir de juger le Président de la République et les ministres.
Une volonté : rendre au Sénat ses pouvoirs d’antan
À son élection comme président du Conseil de la République en 1947, Gaston Monnerville arrive donc à la tête d’une chambre dont les pouvoirs sont réduits a minima. Il affirme dès son discours d’investiture sa volonté de reconquérir les pouvoirs d’antan du Sénat.
Il y parvient peu à peu. En 1949, les questions orales des sénateurs au gouvernement sont rétablies. En décembre 1954, une réforme constitutionnelle redonne au Sénat son pouvoir d’initiative législative, instaure la navette entre les deux chambres et autorise les sénateurs à examiner en première lecture les textes qu’ils proposent.
L’avènement de la Ve République en 1958 entérine le rôle essentiel du Sénat dans le bicamérisme. Gaston Monnerville est presque parvenu à ses fins.
La défense du Sénat lors de la crise de 1962
Charles de Gaulle, grand artisan de la Ve République, ne porte pas la même vision du Sénat que Gaston Monnerville. Il essaie à plusieurs reprises de l’affaiblir et de diminuer son pouvoir, l’occasion pour le président de la Haute assemblée d’affirmer frontalement son désaccord avec le Général.
Le premier affrontement entre les deux hommes a lieu en 1962, lorsque Charles de Gaulle souhaite faire adopter par référendum l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Gaston Monnerville s’oppose fermement à cette idée, considérant que le recours au référendum est un contournement inacceptable du Parlement, contraire à la Constitution.
Dans un discours devant le Sénat, il invective Charles de Gaulle à propos du référendum : « Non, Monsieur le président de la République, vous n’avez pas le droit, vous le prenez. »
Cette opposition vaudra à Gaston Monnerville d’être désigné par les médias comme « l’homme qui a dit non au Général de Gaulle ».
La défense du Sénat lors de la crise de 1968
L’inimitié entre les deux hommes s’accentue en 1968, lorsque le Général de Gaulle souhaite diminuer les pouvoirs du Sénat, qu’il appelle « le machin », par voie référendaire. Il propose en effet aux Français de fusionner la Haute assemblée et le Conseil économique et social, ne lui conférant qu’une fonction consultative, lui retirant tout pouvoir de blocage et législatif.
Gaston Monnerville, une nouvelle fois, s’oppose frontalement à la réforme et au référendum. Ses relations avec Charles de Gaulle, déjà mauvaises, se dégradent davantage. Il porte la campagne du « non » avec d’autres sénateurs comme Alain Poher.
En septembre 1968, Gaston Monnerville annonce son intention de ne pas se représenter aux élections du bureau du Sénat en octobre. C’est Alain Poher qui en est élu président le 3 octobre 1968.
Le 27 avril 1969, le « non » l’emporte, Charles de Gaulle démissionne le lendemain. Gaston Monnerville a gagné.