Finies les vaches sacrées ? Chez les LR, un sujet – et un électorat – a toujours été choyé. Ce sont les retraités. Depuis des années, on entendait les LR se montrer à leur écoute, attachés à défendre leur pouvoir d’achat. Pas touche aux retraités ! Or aujourd’hui, alors qu’ils sont concernés par les mesures d’économies du budget présenté par François Bayrou, les LR ne rejettent pas tout en bloc, concernant les retraités, sans effacer totalement les critiques. Une évolution mais pas de révolution.
Reste que les temps changent. Et vite. Le 22 juillet 2024, Laurent Wauquiez, qui présentait aux côtés de Bruno Retailleau, devenu ministre de l’Intérieur, le pacte législatif des LR, mettait alors en garde. « Deux lignes rouges qui aboutiraient à une sanction immédiate de tout gouvernement qui les franchiraient » : l’augmentation des impôts et « les économies qui seraient faites sur le dos des retraités. Ils ne sont pas la variable d’ajustement d’un gouvernement qui a été incapable de faire des économies au cours des années écoulées », avertissait Laurent Wauquiez, qui ne voulait pas de « ponction sur les retraités ». Quelques mois plus tard, le premier ministre Michel Barnier veut reporter de six mois l’indexation des retraites sur l’inflation. Tir de barrage des LR, qui obtiennent en bonne partie gain de cause. Le président du groupe Droit républicaine vient même l’annoncer fièrement au JT de TF1.
« Les retraités ne peuvent être mis à contribution deux fois » affirme Bruno Retailleau
Un an après, quasiment jour pour jour, c’est le même Laurent Wauquiez qui prend la parole ce mercredi matin, à l’Assemblée. S’il appelle à « corriger et améliorer » le plan, il ne parle pas des décisions qui concernent les retraités. Ils sont pourtant dans le viseur de l’exécutif. Le gouvernement a en effet décidé, d’une part, d’une année blanche sur toutes les prestations, qui touchera aussi les retraités, dont les retraites ne seront pas indexées en 2026, avec l’avantage d’une inflation maîtrisée autour de 1 %, limitant la douloureuse. D’autre part, il veut transformer l’abattement forfaitaire de 10 % pour frais d’emplois sur l’impôt sur le revenu, dont bénéficient étonnamment les retraités au même titre que les actifs, par un forfait de 2000 euros. Une solution qui épargne les petites et même les moyennes retraites, selon François Bayrou. Les plus fortunés seraient en revanche mis à contribution.
Membre de la majorité du socle commun, les LR ont donc visiblement mis un peu d’eau dans leur vin sur la question, sans totalement tout lâcher. Dans un communiqué, Bruno Retailleau, aujourd’hui président des LR, critique, sans fermer la porte. « Les retraités ne peuvent être mis à contribution deux fois : à travers l’année blanche et la suppression des 10 % d’abattement dont ils bénéficient. C’est un point qui, là aussi, devra être amendé, dans un souci de justice pour ceux qui ont travaillé toute leur vie », écrit le ministre. Autrement dit, oui à une mesure d’économies sur les retraités, mais pas à deux.
Mathieu Darnaud « très dubitatif » sur l’évolution de l’abattement pour les retraités
C’est la tonalité qui est ressortie, ce midi, lors d’une réunion en visio de l’équipe dirigeante de LR, autour de Bruno Retailleau. « On attend que les mesures soient précisées. Sur l’année blanche et le gel sur les retraites, il y a encore des sujets à éclairer, notamment sur l’effort porté sur les petites pensions, moyennes et celles plus élevées », explique à publicsenat.fr Mathieu Darnaud, président du groupe LR du Sénat. C’est surtout l’abattement qui interroge le patron des sénateurs LR : « Je considère à ce stade que supprimer les 10 % d’abattement pour les retraités nécessite de réfléchir plus avant. Cela peut générer des effets de bord, affaiblir la situation des veuves et veufs, qui avaient perdu une demi-part sous François Hollande. Sur ce sujet, c’est un extrême point de vigilance ».
« Nous allons travailler avec les députés LR », ajoute le sénateur LR de l’Ardèche, qui « à titre très personnel » ne cache pas ses doutes : « Je suis très dubitatif. Plutôt que de supprimer l’abattement, je préférerais qu’il soit si possible maintenu, au profit d’économies supplémentaires sur les dépenses publiques ».
« Il y a une double peine pour les retraités », dénonce Julien Aubert
Critiques qui émanent aussi de Julien Aubert, l’un des vice-présidents des LR. « Il y a une double peine pour les retraités », pointe l’ex-député. « L’année blanche appliquée à tout le monde, d’accord. Mais pour les retraités, il ne faut pas qu’ils aient en plus une autre baisse ailleurs », avance ce proche de Bruno Retailleau. « Et quand on met un forfait, il y a un effet de seuil », alerte Julien Aubert.
Mais pour les LR, « parti de gouvernement », il s’agit aussi de se montrer en responsabilité. « Nous n’appartenons pas au cartel du déni, nous y laissons une partie de la gauche et le RN. Oui, il y a urgence à agir », affirme le sénateur Max Brisson, membre de la direction et porte-parole du groupe LR du Sénat. Mais « sur les retraités, il y a débat. Attention aux personnes seules. Il faut qu’on mesure les effets de bord », demande cet autre proche de Bruno Retailleau, qui parle de « position de prudence affichée ce matin. Il n’y a pas d’opposition, mais une inquiétude, une alerte ».
« Il s’agit de ne pas considérer que des catégories de la population sont exemptées de l’effort de la Nation » souligne Max Brisson
Reste que les LR ont bien évolué sur la question des retraités. « Il y a urgence à agir. Donc il s’agit de ne pas considérer que des catégories de la population sont exemptées de l’effort de la Nation », soutient Max Brisson, qui ajoute au passage que « ça vaut aussi pour ceux qui rentrent illégalement dans notre pays ou qui ont un titre de séjour pour soin ». « Il y a des couples de retraités qui ont des retraites importantes et peuvent participer. Les retraités, ce n’est pas un bloc unique », reconnaît-il. Autrement dit, « il n’y a pas de vache sacrée, mais il ne faut pas qu’il y en ait non plus chez les autres… Sinon le premier ministre aura du mal à trouver une majorité pour voter son budget », ajoute le porte-parole des sénateurs LR.
Même son de cloche chez Jean-François Husson, rapporteur général LR de la commission des finances du Sénat. « Il ne faut pas rentrer dans du catégoriel. Il faut penser France d’abord, redresser les comptes du pays. […] Donc l’ensemble des Français sont concernés. Il y aura des contributions, des ajustements, parfois en fonction du niveau de ressources pour les personnes les plus modestes, mais aussi pour certains patrimoines, une contribution supplémentaire », soutient le sénateur LR de la Meurthe-et-Moselle. Il ajoute : « Il faut un effort, à la fois des actifs, mais aussi ceux qui sont inactifs ou éloignés de l’emploi. C’est ça faire France ensemble ». Regardez :
La sénatrice LR Christine Lavarde avait déjà « remis en cause l’abattement » lors du dernier budget
La sénatrice LR Christine Lavarde, qui vient de rendre son rapport de la commission d’enquête sur les agences de l’Etat, n’a pour sa part aucun problème à supprimer, du moins modifier l’abattement forfaitaire pour les retraités. Et pour cause : « A titre personnel, je l’avais déjà porté par amendement au dernier projet de loi de finances, en remettant en cause cet abattement de 10%. Je suis d’accord, notamment si on regarde le taux de remplacement dont bénéficient les retraités d’aujourd’hui et de demain », explique la sénatrice LR des Hauts-de-Seine. Mais s’il faut « mettre à contribution les retraités qui peuvent le faire, c’est toujours bien de dissocier ceux pour qui il n’est pas possible de faire un effort complémentaire ».
Elle aussi reste attentive et attend les détails. Il ne faudrait pas « que les retraités seuls payent plus que les retraites en couple ». Donc pour Christine Lavarde, « l’idée (du forfait) est bonne, mais il faudra voir le dispositif ». Mais « à un moment, on est au pied du mur. Je pense que tout le monde doit contribuer à cet effort, que ce soit les actifs et les retraités ».
« Bayrou sait très bien que c’est une potion amère »
Hors micro, certains interrogent quand même la stratégie du premier ministre, qui malmène un peu son allié LR sur cette question. « Bayrou sait très bien que c’est une potion amère. La question, c’est est-ce qu’il pense qu’il peut la faire passer ? Je me demande s’il ne met pas le monde politique au pied du mur, en disant : « Moi j’ai fait un truc courageux, mais si vous ne voulez-pas, renversez-moi, et il n’y a pas d’autres solutions » », décrypte un chapeau à plumes des LR. Le même continue son analyse : « François Bayrou ne touche pas au model social, car ça posera problème au RN et au PS. Il préfère cette solution à sa base électorale et à la base électorale de la droite. LR n’ira pas jusqu’à le censurer. Il fait le pari que la gauche va se neutraliser, moyennant quelques concessions ». S’il veut mettre toutes les chances de son côté, et elles sont minces, de faire adopter son budget, le premier ministre devra quand même peut-être se montrer un minimum à l’écoute de son allié LR.