Qu’est-ce que le coronavirus a provoqué sur la scène internationale ?
Cette crise amplifie les tendances constatées ces dernières années. La plus évidente est notre gestion de la relation avec la Chine. Pékin était la première puissance mondiale jusqu’en 1750. Elle est désormais pleinement de retour sur la scène internationale, et s’impose comme l’une des deux grandes puissances.
Comment allons-nous gérer ce changement géopolitique majeur ? Pour le moment, nous le gérons très mal. On s’achemine vers une nouvelle guerre froide. Or, si la guerre froide avec l’Union soviétique était quelque chose de sérieux, le conflit avec la Chine s’engage dans des circonstances plus inquiétantes encore, car nos économies sont désormais profondément intégrées.
Mais la gestion de la crise par la Chine et ses mensonges sur le virus ne sont-ils pas au contraire le signe que le régime de Pékin n’est pas encore prêt à assumer le leadership au niveau mondial ?
En effet. Beaucoup décrivent la Chine comme une espèce de monstre ayant un projet politique de domination du monde. Cela ressemble à ce qu’on disait des Japonais dans les années 1980. Cette analyse, aux accents quelque peu racistes, est une grave erreur. Il faut garder en tête que la Chine a d’énormes problèmes intérieurs. Sur le plan démographique, financier et économique les indicateurs ne sont pas si bons qu’on le dit.
La principale puissance pour les décennies à venir restera les États-Unis. Après plusieurs décennies d’humiliation et de conflit avec ses voisins, Pékin tente actuellement de se pousser en avant, et essaye progressivement de changer la donne. Washington cherche à contenir cette poussée. Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est un rééquilibrage des puissances. Or, il n’y a rien de plus dangereux en géopolitique que ces moments d’adaptation de l’équilibre.
Comment interpréter l’attitude des États-Unis sur la scène internationale depuis le début de la crise sanitaire ?
L’administration Trump a joué la carte électorale. Donald Trump espérait être réélu en novembre grâce à l’excellente situation économique américaine. Et puis, tout s’est effondré avec le coronavirus. L’ensemble de sa campagne électorale est désormais axé sur le slogan « ce n’est pas ma faute, c’est la faute des Chinois ». C’est primitif, mais c’est efficace. On assiste à une escalade anti-chinoise pour mobiliser l’opinion publique américaine. Il faut cependant dire que même si Joe Biden était élu lors de la prochaine élection, la diplomatie américaine vis-à-vis de Pékin ne changerait pas pour autant. Nous entrons dans une ère de confrontation globale sino-américaine.
Vu de l’étranger, la France a-t-elle bien géré l’épidémie ?
On a constaté que les pays européens avaient réagi de manière nationale. Chaque pays a fermé ses frontières et interdit l’exportation de produits médicaux. Tous les pays ont plus ou moins adopté les mêmes politiques, et rencontré les mêmes problèmes. De l’étranger, on retiendra que l’Italie a particulièrement souffert, que l’Allemagne s’en tire très bien et que le Royaume-Uni a sombré. Les commentateurs étrangers ne s’attardent pas sur le cas français, car la France ne s’en est pas moins bien sortie qu’un autre pays.
Mais en France, on sait déjà comment les choses vont se régler à la fin. Peu importe la manière dont les choses ont effectivement été gérées, tout se termine toujours sur une guillotine Place de la Concorde. C’est la manière dont les Français traitent tous les problèmes. La gestion de l’épidémie ne devrait pas échapper à la règle.
Comment sortir sans trop de dommages de la crise actuelle ?
Il faut tout d’abord changer notre approche vis-à-vis de la Chine. Si on laisse les Américains et les Chinois se regarder en chiens de faïence, nous sommes certains d’aller vers une période de confrontations. Nous allons nous retrouver pris entre le marteau et l’enclume. Il faut au contraire trouver une voix spécifiquement européenne à opposer aux deux puissances.
Deuxièmement, au lieu d’être chacun pour soi, il faut relancer l’économie mondiale, en coopérant au niveau international. Tout le monde est touché par cette crise. La Chine aussi, qu’on considère comme l’ « atelier du monde ». Or, si plus personne n’achète les produits chinois, le pays s’enfoncera dans une grave crise économique.
Il faut enfin renforcer le multilatéralisme. Sur ce point aussi l’Europe doit prendre l’initiative. En restant modeste, car le multilatéralisme est toujours dépendant de la bonne volonté des États. Pouvons-nous redonner une nouvelle jeunesse à la coopération internationale ? Cela implique une réforme profonde des institutions internationales. Cette refonte ne devra pas être une entreprise occidentale, mais devra se faire avec les Indiens, les Chinois, les Russes, les Brésiliens, les Africains et les autres.