L’osmose entre le Sénat et le gouvernement appartient à une époque révolue. Il est désormais loin le temps où le palais du Luxembourg avait réussi à décrocher neuf ministères dans le gouvernement de Michel Barnier, et se voyait en architecte principal du budget 2025 face à une Assemblée nationale sens dessus dessous. L’abandon du 49.3 et l’importante concession de Sébastien Lecornu faite aux socialistes sur les retraites redistribue les cartes du bicamérisme dans ce nouveau marathon budgétaire.
La forte instabilité ministérielle, après la chute de François Bayrou, et la longue stabilisation vers un gouvernement Lecornu, ont abouti à une présentation tardive des textes budgétaires en Conseil des ministres le 14 octobre. En somme le Parlement va devoir s’en saisir sous la pression du temps, notamment dans les commissions concernées, pour examiner le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Cette année, plus encore que les autres, l’agenda parlementaire va donc devoir rentrer au chausse-pied.
Ces conditions de travail dégradées ont provoqué du mécontentement en conférence des présidents du Sénat, qui était réunie mardi 14 octobre, dans la foulée du Conseil des ministres. Cette instance, qui réunit les présidents de commissions, ceux des groupes politiques et les deux rapporteurs généraux, sert à fixer les programmes de travail des séances plénières. Le calendrier budgétaire pour le Sénat, proposé par le gouvernement, reste à confirmer ou à être adapté la semaine prochaine, au vu du remous qu’a suscité la copie. « Gérard Larcher n’était pas content. Et quand il ne l’est pas, ça se voit tout de suite », relate l’un des participants à cette réunion. Les choses ne sont pas encore stabilisées.
« C’est le bordel ! »
L’objet de la discorde concerne l’agenda pour le budget de la Sécurité sociale (PLFSS). Il était attendu que son examen soit décalé, en raison du retard important pris dans le dépôt sur le bureau des assemblées. Initialement, le PLFSS devait être débattu en séance du 10 au 15 novembre. Le chaos politique de la fin de l’été a fait voler en éclat ce plan. « C’est le bordel. L’Assemblée nationale a fait savoir au ministre des Relations avec le Parlement qu’ils ne pouvaient pas adopter le PLFSS avant le 11 novembre », rapporte un autre membre de la conférence des présidents.
Le nouveau calendrier, à savoir un report du 17 au 22 novembre (à l’heure où nous écrivons ces lignes), selon le document mis en ligne à l’issue de la réunion, n’est pour le moment pas jugé pleinement jugé satisfaisant. « Gérard Larcher a fait part de son étonnement en le découvrant en séance, en disant que ce n’était pas des pratiques, et que le Sénat devait être respecté », témoigne un sénateur qui siégeait à la conférence.
Il est d’ailleurs précisé sur le calendrier mis à jour à l’issue de la réunion, qu’il s’agit toujours d’une « version provisoire, dans l’attente des décisions de la conférence des présidents du 22 octobre ». « Les incertitudes sur le débat des travaux à l’Assemblée appelaient à repréciser le calendrier dans les prochains jours », ajoute le président de la commission des finances, Claude Raynal (PS).
« Il y a un problème de qualité du travail parlementaire ! »
Dans l’état actuel du calendrier, des travaux à marche forcée attendent la commission des affaires sociales pour le PLFSS. Selon la « feuille verte » de l’Assemblée nationale – l’ordre du jour des séances publiques à venir – les députés doivent achever l’examen du PLFSS le 10 novembre, avant de se prononcer le 12 novembre lors d’un vote solennel. Ce qui ne devrait donner que six jours d’intervalle avant les travaux en séance plénière des sénateurs. La commission des affaires sociales ne travaillera pas non plus dans des conditions optimales. Par rapport à l’an dernier, celle-ci a d’ores et déjà perdu deux semaines, du fait de la présentation tardive en Conseil des ministres. « Il y a un problème de qualité du travail parlementaire ! » peste un président de groupe.
La commission des finances a elle aussi lancé ses travaux tambour battant, là aussi sous la pression des horloges et d’une incertitude politique dont elle ne parvient plus à s’extraire. « Il faut recaler les auditions. Tout cela met tout le monde en tension. Et la période nous oblige à travailler dans des temps extrêmement contraints », témoigne Jean-François Husson, rapporteur général (LR) du budget.
Les premiers jours de travail du nouveau ministre des Relations avec le Parlement, Laurent Panifous, ne s’annoncent pas de tout repos, avant même de pénétrer dans le chaudron bouillonnant des séances budgétaires de l’Assemblée nationale. « Cela va négocier », pressent un sénateur. « Cela peut bouger à la marge, d’une journée. Il ne peut pas y avoir de révolution », indique-t-on dans l’entourage du ministre des Relations avec le Parlement. Le délai constitutionnel de 70 jours de débats budgétaires avant la fin de l’année laisse peu de marge de manœuvre.