La mission sénatoriale sur les effets du confinement et des mesures sanitaires continue ses travaux. Après avoir livré un rapport très attendu sur l’impact des restrictions sur le secteur culturel, les sénateurs vont au chevet des élus locaux et notamment des maires. La chambre représentant les collectivités territoriales cherche à savoir comment ont fonctionné les services de l’Etat au niveau local, comment ils ont interagi avec les mairies, quelles actions ont dû engager les collectivités, et quels sont les coûts engendrés par cette année de crise. « On travaille sur la question de l’adaptation territoriale », nous expliquait Bernard Jomier (apparenté PS), le président de la mission. Une consultation en ligne vient d’être ouverte pour prendre le pouls des élus locaux. Au-delà de leurs expériences, l’idée est aussi de recueillir leurs propositions. Un questionnaire détaillé leur est soumis sur la plateforme du Sénat, jusqu’au 15 mai. Et il semblerait que les maires aient beaucoup de choses à dire. En une semaine, plus de 1 050 contributions ont déjà été déposées sur la plateforme.
Après plus d’un an de crise sanitaire, c’est d’abord le constat de frictions entre les élus locaux et l’Etat ou de ses services déconcentrés, qui s’impose. Le président de l’association des petites villes de France, Christophe Bouillon (PS), évoque des relations « parfois en dents de scie » entre l’exécutif et les élus locaux. Le maire de Barentin (Seine-Maritime) regrette une « forme d’infantilisation » qui a pu être observée entre les services de l’Etat et les maires. « On a alterné des phases d’écoute et de coconstruction, avec des phases d’incompréhension totale, voire de tensions. Les élus ne supportent pas une forme de stop-and-go, qui rend difficile la mise en œuvre de décisions. Chacun a en mémoire le protocole des écoles. Le fait de le connaître au dernier moment a compliqué la tâche des maires. »
« Ce dont ont besoin les élus, c’est plus d’anticipation et plus de confiance »
Aujourd’hui encore, les conditions de la réouverture des écoles, voulue par le président de la République, restent encore une préoccupation. « Nous nous inquiétons sur le terrain », relaye Caroline Cayeux, présidente de la Fédération des villes de France.
S’agissant de concertation, la maire (ex-LR) de Beauvais estime avoir été « suffisamment » sollicitée par les différents ministères, « mais pas forcément écoutée ». Les tensions sont ailleurs, selon elle. « Il y a de véritables échanges avec le gouvernement. Là où c’est compliqué, c’est avec les agences régionales de santé », reconnaît Caroline Cayeux. « Si nous avions gardé des ARS sur le modèle des anciennes régions, ce serait fluide », image-t-elle. La défiance vis-à-vis de ces agences semble partagée par une partie importante des maires. Lors d’une audition d’élus locaux organisée le 11 mars au Sénat, beaucoup de critiques s’étaient concentrées sur elles.
« Ce dont ont besoin les élus, c’est plus d’anticipation et plus de confiance », demande Christophe Bouillon. « Beaucoup de maires ne discutent pas les objectifs quand il y a un enjeu sanitaire. Ils sont capables de les atteindre avec un grand sens des responsabilités. »
L’année écoulée a été marquée par une succession d’allocutions présidentielles ou de conférences de presse animées par le Premier ministre. Les grandes annonces ont régulièrement manqué de précisions dans les heures qui ont suivi. « Il y a eu des difficultés pour les services de l’Etat de fournir un mode d’emploi. Il fallait insister pour l’obtenir », témoigne Christophe Bouillon.
Des dépenses lourdes engagées par les collectivités
Un sujet brûlant d’actualité pourrait également ressortir de la consultation sénatoriale : la montée en puissance de la vaccination, un sujet sur lequel les communes se sont fortement investies, en mettant à disposition des salles ou du personnel. Mais la dotation forfaitaire promise par le gouvernement se révèle insuffisante. « On a vu Olivier Véran à ce sujet il y a trois semaines. Il nous a promis une clarification, pour nous permettre d’avoir une prise en charge qui soit bien supérieure au montant annoncé au départ », espère Christophe Bouillon.
Le sénateur Roger Karoutchi (LR), l’un des trois rapporteurs de la mission sénatoriale, estime que la consultation pourrait servir à « faire pression » sur le gouvernement, pour réclamer un accompagnement financier supérieur. Dans son département des Hauts-de-Seine, le sénateur a constaté des coûts journaliers de 2000 à 3 000 euros dans les centres de vaccination. « La dotation forfaitaire du gouvernement de 50 000 euros ne permet même pas de fonctionner un mois. Et on imagine sans peine que les centres fonctionneront six voire neuf mois », compte le sénateur de la commission des finances.
Car depuis un an, les dépenses exceptionnelles se sont empilées les unes après les autres pour les élus locaux. Des achats de masques de protection aux aides apportées aux commerçants, dans un contexte de chute importante des recettes. « Les budgets covid sont extrêmement lourds pour les collectivités et la crise impacte nos marges d’autofinancement », s’inquiète Caroline Cayeux. « Cela crée des arbitrages un peu douloureux sur les autres investissements du mandat. »
Un besoin de souplesse dans l’application des directions nationales demandé
Une territorialisation de nouvelles mesures sanitaires, une possibilité évoquée récemment par le ministre de la Santé, semble demandée largement. A l’approche de la saison touristique, le sénateur (LR) de l’Ardèche, Mathieu Darnaud, fait part d’un « contexte très anxiogène » chez ses maires. « Il n’y a pas un seul jour sans que j’aie en ligne un maire qui me demande des nouvelles. » L’ancien maire juge que la territorialisation sera indispensable. « On est arrivés au bout du bout de ce qui acceptable », lâche-t-il. « Mettre tout sous cloche brutalement, on peut le comprendre quand on fait face à un rebond dramatique, mais il y a des territoires qui ont la capacité d’avoir une gestion différenciée. Il faut laisser une marge d’adaptation aux préfets, quand c’est possible ». « A un moment donné, la décentralisation et la déconcentration, il faut que ça ait du sens, sinon la décentralisation est cosmétique. »
C’est sans doute le principal enseignement de la crise : les élus locaux sont nombreux à demander plus d’agilité et de souplesse. Le maire UDI de Sceaux et secrétaire général de l’Association des maires de France, Philippe Laurent regrette les règles « un peu trop strictes » qui se sont fait jour durant la crise. L’édile en sait quelque chose. En avril 2020, en plein confinement, Philippe Laurent avait pris un arrêté pour exiger le port obligatoire du masque dans les rues commerçantes les plus denses de sa ville. Le Conseil d’Etat avait retoqué l’arrêté. Aujourd’hui, il plaide pour « une certaine liberté et une certaine marge de manœuvre » accordée aux élus locaux, mais « sous le contrôle des préfets », insiste-t-il.
Caroline Cayeux en est convaincue, il faut « laisser des décisions territoriales par région ou département », et faire preuve de « souplesse ». Elle a particulièrement insisté sur cette adaptation dans le formulaire qu’elle a remis au Sénat. « La doctrine du cadre national, avec des adaptations au niveau local, en s’appuyant le binôme maire-préfet, c’est une solution qui efficace. Elle permet de ne pas être déconnectée des réalités de chaque territoire », analyse-t-elle. Christophe Bouillon note que le couple maire-préfet a parfois « disparu » à certains moments de la crise. « Plus que la différenciation, c’est l’adaptation qui est importante », insiste-t-il. « Il faut tenir compte de la réalité de son territoire. »
La mission d’information sénatoriale compte auditionner dans les prochaines semaines une série de représentations d’associations représentant les collectivités locales. Les conclusions de leurs travaux devraient être présentées à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin. Le recueil des doléances des maires et ce retour sur expérience arrivent d’ailleurs à point nommé pour les sénateurs. En juillet, ils doivent examiner le projet de loi 4D (différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification), qui fait l’objet de fortes attentes chez les élus locaux.