Plus de six mois après le commencement du mouvement des gilets jaunes, un groupe de travail du Sénat s’intéressant aux conséquences économiques des violences commises en marge des manifestations, dresse un premier état des lieux de « l’impact économique durable » occasionné par le mouvement. Le document ne se risque pas à un chiffrage général et total, « hasardeux et prématuré » pour le moment, mais dresse une série de chiffres alarmants sur l’économie des centres-villes, déjà fragilisés par une désaffectation des consommateurs. Fin mars, Bruno Le Maire avait évalué l’impact macroéconomique à 0,2 point de PIB pour 2018 et 2019.
Le chiffre à retenir du rapport, basé sur les principales villes concernées par les manifestations, fait état d’une perte d’activité sensible pour les commerçants et artisans impactés. Celle-ci s’élève en moyenne entre 20 % et 30 % du chiffre d’affaires. Malgré des mesures de soutien, comme les ouvertures le dimanche, CCI France estime que pour les deux tiers des commerçants, la perte d’activité est irrécupérable.
Près de la moitié des boutiques dégradées sont des commerces de proximité ou des magasins d’habillement
Dans des villes comme Nantes et Rennes, la perte est même comprise entre 20 et 40 % du chiffre d’affaires. Pour le chef-lieu de la région Bretagne, 77 % des commerçants du centre-ville ont été touchés (1 521 entreprises), avec un manque à gagner global de 47 millions d’euros.
Si l’impact sur les ventes chaque samedi est de loin le plus important, il vient aussi s’ajouter aux dégâts matériels. Selon la Fédération française des assurances, le coût total des sinistres s’élève à 217 millions d’euros. Dans la capitale, plus de 500 entreprises ont été dégradées « dans les arrondissements centraux », selon la mairie de Paris. Un quart sont des commerces de proximité (opticiens, boulangeries, pharmacies), 21 % sont des entreprises du secteur de l’habillement et 20 % sont du secteur de la restauration. Le coût engendré par les mesures de protection, « uniquement à la charge des commerçants », a été également été renseigné par le groupe sénatorial pour les commerces situés sur l’avenue des Champs-Élysées : 5 000 à 35 000 euros, selon la taille de la boutique.
« Des salariés ont indiqué avoir perdu 1 000 euros par mois durant cinq mois »
Le rapport pointe également le cas emblématique de La Réunion, l’île avait été paralysée plusieurs jours. Selon la CCI, les pertes des 36 000 entreprises du département atteindraient 600 à 700 millions d’euros.
L’impact est aussi social. La baisse d’activité a eu des conséquences sur les salaires de certaines professions, à cause de la part variable de leur rémunération, liée aux résultats ou aux pourboires. « Des salariés, notamment des brasseries, ont indiqué avoir perdu 1 000 euros par mois durant cinq mois », relève le rapport. La situation « s’améliore seulement depuis le début du mois de juin ».
Plus que ces impacts immédiats et facilement identifiables par comparaison avec les exercices comptables précédents, les sénateurs alertent sur les conséquences à long terme. « Certaines de ces difficultés persistent et sont susceptibles de durer, du fait notamment d’une modification des habitudes de consommation », écrivent-ils. « Les conséquences négatives se prolongeant même après la disparition des causes qui les avaient entraînées. »
La médiatisation du mouvement à l’étranger a également un impact sur l’activité hôtelière. La sénatrice LR, Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteure du groupe de travail – et précisons-le, directrice d’un groupe hôtelier présent à Paris notamment – a pris le pouls du secteur. La baisse du taux d’occupation des hôtels parisiens, impactés directement du fait de leur positionnement géographique, est comprise entre 5 % et 32 %, selon le Club des dirigeants de l’hôtellerie internationale et de prestige.
En dehors des commerçants, du secteur du tourisme ou de la distribution, l’impact se répand par ailleurs dans toute la chaîne économique, dans un pays dont le tissu d’entreprises est constitué à 90 % de PME. Les fournisseurs ont été « fragilisés », insiste le rapport.
Les décisions du gouvernement « éloignées des réalités du terrain »
Face à cette situation – et alors que les manifestations ne se sont pas arrêtées, même si elles ont considérablement perdu en intensité – les sénateurs jugent la réponse de l’exécutif insuffisante. Les solutions sont selon eux « éloignées des réalités du terrain » et témoignent de la « méconnaissance du phénomène ». Les mesures de report des charges sociales voire d’impôts ne font que « repousser le problème », selon eux. De même, ils pointent la complexité des aides annoncées : trop d’interlocuteurs. Les demandes du rapport se résument en trois recommandations principales : un maintien de l’ordre public, un fonds national d’indemnisation des pertes d’exploitation et une facilitation des remises de créances fiscales.
Représentants des collectivités locales, les sénateurs relèvent également que les communes et les régions ont aussi mis la main au porte-monnaie pour soutenir directement les centres-villes. Certaines régions et métropoles ont ainsi constitué des fonds d’aide, et des communes ont adopté des mesures d’exonération de droit d’occupation du domaine public (droit de terrasse, droit de place).