Ça bouge à gauche. Dans cette période d’incertitude politique, où la gauche n’a pas terminé à Matignon, malgré un Nouveau front populaire arrivé en tête aux législatives, les initiatives se multiplient. Et c’est en particulier dans le champ de la social-démocratie qu’on observe une certaine émulation. S’il est encore difficile de savoir comment tout cela va atterrir, la période ouvre quelques perspectives.
« Chacun est en train de créer sa boutique pour essayer de peser »
« Les partis se mettent en ordre de marche pour 2027, avec l’étape intermédiaire des municipales de 2026, donc chacun est en train de créer sa boutique pour peser, conquérir des mairies, négocier une place », pense le spécialiste de communication politique, Philippe Moreau Chevrolet, fondateur de MCBG Conseil.
La tectonique des plaques est une chose par définition mouvante, à gauche. Et en cette rentrée, ça se bouscule au portillon, dans un esprit qui ressemble, pour l’heure, davantage à une saine émulation. Jeudi soir, c’est le maire PS de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, qui a lancé son mouvement, « La France humaine et forte ». Inconnu du grand public jusqu’à cet été, quand son nom a été évoqué pour Matignon, il entend jouer un rôle à l’avenir. Les tribunes du Red Star, qui accueillaient l’événement, comptaient une bonne partie des figures de cette gauche qui se revendique de gouvernement, et qui ne porte pas vraiment « le bruit et la fureur », chers à Jean-Luc Mélenchon et à LFI, dans son cœur. L’ancien président François Hollande, redevenu député, était présent, tout comme l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, ou encore Olivier Faure, patron du PS, dont les opposants internes, issus de cette mouvance social-démocrate, font monter la pression, en vue du prochain congrès, ou encore le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner. Même l’ex-ministre des Transports macroniste, Clément Beaune, a fait le déplacement.
Place publique veut passer à la vitesse supérieure
Un raout qui intervient cinq jours après que Carole Delga a rassemblé à peu près les mêmes personnes, à Bram, dans l’Aude, pour défendre les couleurs de « la gauche du courage » contre la « gauche d’estrade ». L’ancien premier ministre, Bernard Cazeneuve, était cette fois de la partie. Celui qui aurait pu aussi être nommé à Matignon, par Emmanuel Macron, a également son propre mouvement, avec La Convention. Lui aussi pense à la suite.
Ce week-end, c’est Place Publique, parti que codirige Raphaël Glucksmann, qui tient son université d’été, à La Réole, en Gironde. Il entend passer à la vitesse supérieure, en structurant son mouvement en vue de 2027. Celui qui a réussi un beau résultat aux européennes, aux côtés du PS, avec près de 14 %, entend préparer d’éventuelles législatives, si d’aventure Emmanuel Macron décidait de dissoudre à nouveau, à partir de juin 2025…
« C’est la revanche de la social-démocratie »
On le voit, l’après, ou plutôt la suite, s’écrit maintenant. Et ça trépigne. Pour Philippe Moreau Chevrolet, « c’est la revanche de la social-démocratie. Pendant des mois, si ce n’est des années, LFI a été le seul à exister. Là, la social-démocratie relève la tête ».
Ce sursaut débute le 9 juin. « C’est un sillon qu’a creusé Raphaël Glucksmann, avec son résultat eux européennes, qui a donné un peu d’espoir sur la capacité qu’une gauche modérée se reparle, se reforme », souligne Emilie Zapalski, experte en communication politique, « mais le problème, c’est que Glucksmann n’a pas pu trop en profiter, car il y a eu la dissolution ». « La dissolution, c’était une arme contre la reconstruction de la social-démocratie », avance même Philippe Moreau Chevrolet.
« La social-démocratie peut légitimement se dire qu’elle a une chance d’imposer un candidat en 2027 »
Mais la bombe à fragmentation, qu’a été la dissolution, a eu des effets imprévus. « La gauche est en train de renaître dans l’opposition à Macron », pense Philippe Moreau Moreau, « car c’est la seule force d’opposition, car le RN s’est transformé en force d’appoint, ou auxiliaire au gouvernement ». Il ajoute :
Entre la fin du macronisme, Emmanuel Macron ne pouvant pas se représenter, entraînant la disparition du « bloc central » et le retour d’un clivage droite/gauche, un RN plus fort que jamais mais toujours repoussoir pour une partie du pays, une droite LR qui joue quitte ou double au gouvernement, au risque de se brûler les ailes, la gauche peut espérer trouver une ligne de crête qui la ramènera au pouvoir, et pas seulement sur un malentendu. « La social-démocratie peut légitimement se dire qu’elle a une chance d’imposer un candidat en 2027 », pense Philippe Moreau Chevrolet.
Mais le communicant voit un écueil : « La social-démocratie est encore en revanche loin de raconter une histoire au pays. Il manque à la gauche modérée un récit ». L’autre « obstacle à la reconstruction de la sociale démocratie, c’est Emmanuel Macron, car le bloc central continue de capter des électeurs ». Mais « ce crépuscule du macronisme peut faire espérer une reconstruction à gauche ».
« La complexité à gauche, c’est que sans LFI, il est très difficile d’espérer d’avoir des résultats aux élections »
Vouloir présenter cette gauche comme une gauche anti-France insoumise serait une lecture trop simplificatrice, selon Philippe Moreau Chevrolet. « Je ne sais pas si c’est une gauche anti LFI. Car la complexité à gauche, c’est que sans LFI, il est très difficile d’espérer d’avoir des résultats aux municipales, législatives et présidentielle », remarque le communicant, qui ajoute que « le Nouveau front populaire, c’est une alliance de nécessité, pour espérer l’emporter aux élections ». « On voit que la gauche de gouvernement a pu gagner en 1981, dans une alliance avec le PCF. Il y a des oppositions fortes, mais l’histoire de la gauche montre qu’elles sont surmontables », ajoute Philippe Moreau Chevrolet, qui rappelle qu’alors, « le PCF était hégémonique, puis le PS a réussi à composer avec le PCF et à tuer le PCF ».
Un rapport complexe avec LFI, fait de rapprochement, de tension et de dépendance électorale. « Chacun essaie maintenant de profiter de ce sillon creusé par Glucksmann. Même si la stratégie qu’a initiée Jean-Luc Mélenchon a été gagnante sur certains points, ils veulent se détacher de cette gauche criarde, pas constructive, un peu sectaire, qui est capable d’utiliser le Proche Orient à des fins électoralistes – ce qui a marché dans les quartiers. Ils veulent essayer de couper ce cordon qui les a nourris un moment », ajoute Emilie Zapalski, qui rappelle que « sans la Nupes, on ne sait pas si le PS aurait eu autant de sièges en 2022. Rebelote avec le NFP ».
« Il y a peut-être un sursaut, mais ils ont encore beaucoup de chemin »
Les initiatives qui se lancent dans tous les sens sont à la fois source de dynamisme, mais aussi de potentielles tensions futures, au sein de cet ensemble hétéroclite. « Le problème, c’est qu’on sent qu’il y a beaucoup d’ambitions, de velléités. Karim Bouamrane, c’est quelqu’un qui sort un peu du lot, qui un positionnement solide. Raphaël Glucksmann est plus discret, mais il est aujourd’hui plus à l’offensive. Carole Delga a toujours tenu ce discours mais elle est plus dans un ancrage local. Et il y a Clémentine Autain. Donc on a beaucoup de monde qui veut ce petit bout de morceau », constate Emilie Zapalski, qui ajoute :