Interrogé sur les deux assassinats survenus à Marseille sur fond de guerre des gangs, le ministre de la Justice a annoncé une enquête administrative sur les conditions de détention, puisque le commanditaire agissait depuis sa cellule. Didier Migaud a également donné rendez-vous à la fin de l’année pour les débats sur la proposition de loi sénatoriale de lutte contre le narcotrafic.
Gouvernement Barnier, destitution, retraites… Les hésitations de la gauche sur la stratégie à adopter
Par Romain David
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La gauche affiche quelques dissonances sur la stratégie à adopter face à Michel Barnier. Lancé dans un nouveau cycle de consultations cette semaine, en vue de constituer son gouvernement, le nouveau Premier ministre recevra mardi les communistes. Ils sont les seuls, à gauche de l’échiquier politique, à avoir accepté une rencontre avec le nouveau locataire de Matignon avant sa déclaration de politique générale. « Pour voir ce qu’il a dans le ventre », selon la formule de Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF. Les Verts ont préféré attendre la nomination du nouvel exécutif, « pour ne laisser passer aucune ambiguïté » sur une éventuelle participation, a indiqué Marine Tondelier. Du côté des insoumis, Manuel Bompard, le coordinateur de LFI, indiquait la semaine dernière n’avoir reçu aucune invitation.
Quant aux socialistes, ils ont simplement refusé de rencontrer le nouveau locataire de Matignon, une position qui ne fait pas vraiment l’unanimité au sein du parti : « C’est une décision unilatérale, qui vient du Premier secrétaire. Boris Vallaud [le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, ndlr], a été mis devant le fait accompli », tempête un parlementaire auprès de Public Sénat.
Ecarté du pouvoir malgré sa courte victoire aux législatives anticipées, la gauche peut se consoler en contemplant le large espace politique que lui offre l’arrivée d’un Premier ministre issu des rangs LR, et qui bénéficie de la clémence du Rassemblement national. Pour autant, le Nouveau Front populaire (NFP), tiraillé par les divergences stratégiques, mais aussi l’animosité des uns envers les autres, peine à afficher une ligne claire, malgré un souci d’unité, indispensable pour parvenir à contrebalancer le poids du bloc central et de la droite.
« L’alliance du NFP sera plus solide que celle de la Nupes »
« Tout le monde a répondu à l’invitation de Michel Barnier à sa manière, chacun a sa propre philosophie sur ce type de rencontre, mais le fond reste cohérent », assure Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste au Sénat. « Nous avons un programme commun et des attentes. L’unité est là, préservée », souligne l’élu. À l’arrivée, discussions ou pas avec le Premier ministre, l’ensemble des forces de gauche devrait retomber sur ses pattes via une motion de censure que l’ensemble des groupes politiques du NFP annonce déjà vouloir signer. « Sauf à ce que Michel Barnier renie 50 ans de vie politique au service de la droite et de l’ultra-libéralisme, ce qui serait une énorme surprise… », sourit le sénateur Ian Brossat, porte-parole du PCF.
« D’une manière générale, je pense que l’alliance du NFP sera plus solide que celle de la NUPES. Les divergences sont moins marquées, le rapport de force a changé, nous ne sommes plus écrasés par un groupe hégémonique », poursuit le communiste, visant, sans les nommer, les insoumis, désormais talonné par un PS qui est passé de 31 à 66 députés.
La proposition de destitution d’Emmanuel Macron initiée par LFI
Mais si l’opposition unanime à un gouvernement qui s’annonce très marqué à droite semble aller de soi, d’autres obstacles parlementaires se profilent à l’horizon, susceptibles de bousculer la cohésion de la gauche. À commencer par la proposition de résolution visant à destituer le président de la République, déposée par Mathilde Panot, la cheffe de file du groupe insoumis. Le Bureau de l’Assemblée nationale examine mardi la recevabilité de ce texte qui, le cas échéant, sera renvoyé devant la commission des Lois. Olivier Faure et Marine Tondelier ont pris leur distance avec cette initiative. Au Sénat, Patrick Kanner, le patron des élus socialistes, l’avait même qualifiée « d’incongruité constitutionnelle ». Mais voilà, avec une gauche désormais majoritaire au sein du bureau – 12 sièges sur 22 – le NFP a le pouvoir de laisser, ou non, ce texte suivre son cheminement parlementaire.
Au risque de créer un précédent ; à ce jour, la seule tentative de destitution de la Cinquième République, portée par la droite contre François Hollande en 2016, avait été jugée irrecevable. « Je peux vous dire que la poutre travaille très fortement au sein du PS », confie un poids lourd socialiste. « Entre ceux qui refusent de laisser ce texte passer le Bureau, et ceux qui seraient tentés d’aller plus loin… »
« Nous en avons discuté en réunion de groupe, et nous sommes plutôt favorables à ce que cette proposition de résolution passe l’étape du Bureau », explique la députée Génération. s Sophie Taillé-Polian, qui siège avec les écologistes. « La destitution n’est pas une bonne perspective à donner aux gens. Je ne pense pas qu’il faille se projeter vers une nouvelle présidentielle pour résoudre une crise dont l’hyper-présidentialisation est la cause. Néanmoins, nous pensons qu’il serait bon d’avoir un débat dans l’hémicycle sur le rôle du président, sachant que ce mécanisme a très peu de chances d’aboutir. »
Le piège du RN sur l’abrogation de la réforme des retraites
Le 31 octobre prochain, d’autres débats risquent d’agiter le NFP, cette fois directement sous l’œil des caméras : ceux de la niche parlementaire du RN, qui a choisi d’inscrire à l’ordre du jour une proposition de loi portant sur l’abrogation de la réforme des retraites. La gauche, qui a combattu le recul de l’âge légal de départ à 64 ans, doit-elle soutenir un texte rédigé par l’extrême droite ? Certains élus, comme Sandrine Rousseau, députée écologiste de Paris, s’y refusent. « Nous devons arrêter de nous laisser imposer notre agenda par l’extrême droite. La gauche n’a pas de leçon à recevoir de la part du RN, qui n’a cessé de changer de position sur les retraites. Je serais pour ne pas prendre part à ce vote, et utiliser la prochaine niche parlementaire du NFP pour déposer notre propre proposition d’abrogation. Notre démarche sera plus crédible que celle de l’extrême droite », explique Guillaume Gontard.
Les communistes, de leur côté, ne s’interdisent rien. « Quand on dit que nous voulons tout faire pour que cette réforme des retraites injuste faite dans le dos des Français soit abrogée, il faut être cohérent, et donc on doit tout faire pour qu’elle soit abrogée », a expliqué Fabien Roussel en marge de la Fête de l’Humanité, à Brétigny-sur-Orge. « Quand on vote une proposition de loi, on vote pour un texte, pas pour ceux qui le portent », abonde Ian Brossat.
Les insoumis se montrent plus nuancés sur le sujet : « Je ne sais pas comment ce texte va arriver, ni de quelle manière il va arriver. Jusqu’alors nous n’avons jamais voté un texte du RN, et je n’ai aucune envie de leur donner une victoire politique », a reconnu sur France 3 Mathilde Panot, la présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale. Quant aux socialistes, eux non plus non pas encore tranché, nous confie un cadre, qui ajoute : « Evidemment que ce texte est un piège pour la gauche ! »
Pour l’instant, les échanges entre les uns et les autres ne sont pas toujours des plus fluides. Même si les principaux leaders du NFP se rencontrent régulièrement, il n’est pas rare que certaines prises de position soient annoncées aux partenaires à l’occasion d’une déclaration maladroite – ou opportune – dans la presse. « Chez les écologistes, nous pensons qu’il faut remettre en place rapidement un intergroupe à l’Assemblée nationale [celui qui avait été créé du temps de la Nupes n’a pas survécu aux divergences sur le conflit israélo-palestinien, ndlr], pour qu’on n’arrête de courir après les déclarations des uns et des autres. Il est essentiel d’avoir un cadre de travail régulier, en complément des réunions entre partis », plaide Sophie Taillé-Polian.
Le divorce Mélenchon/Ruffin
Mais au-delà des positionnements sur les sujets parlementaires, la gauche va aussi devoir s’entendre sur sa stratégie électorale si elle veut maintenir son unité jusqu’à la fin du quinquennat, ou du moins jusqu’à la prochaine échéance électorale. Sur ce point, c’est du côté de LFI que les dissensions ont été les plus fortes ces derniers jours. Ce week-end, l’édition 2024 de la Fête de l’humanité a confirmé la rupture entre François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon, le fondateur de la France insoumise, sur un désaccord de fond. Le premier a dénoncé, dans un livre puis un long entretien au Nouvel Obs, les positions communautaristes du second. Des déclarations qui ont déclenché l’ire des lieutenants insoumis, qui reprochent désormais à François Ruffin de mettre « la lutte antiraciste sous le tapis ».
Le député de la Somme estime que La France insoumise, focalisée sur le vote des jeunes et des banlieues, s’est en partie coupée d’un l’électorat ouvrier et rural, tombé dans l’escarcelle du Rassemblement national, et appelle à maintenir le lien avec ces électeurs. Il y a « un immense commun entre la France des bourgs et la France des tours, et un chemin pour les unir » a martelé François Rufin sur la scène de l’Agora ce week-end. Le réalisateur de Merci Patron ! n’a pas manqué d’être chahuté, notamment par le néodéputé insoumis Raphaël Arnault.
« La gauche ne doit pas abandonner son ADN de lutte contre le racisme. Penser aujourd’hui que le vote d’extrême droite est uniquement un vote social et ne porte pas en filigrane les divisions de la société en fonction de la couleur de peau et de la religion, je pense que c’est une erreur de diagnostic qui amène à des erreurs politiques », a commenté l’eurodéputée Manon Aubry, ce lundi matin au micro de franceinfo. « Je ne pense pas que le glissement de certaines catégories d’électeurs vers le Rassemblement national soit un aller sans retour. Mais je ne nie pas la difficulté que représente ce problème. Quand la gauche était majoritaire en France, elle gagnait dans la plupart des circonscriptions aujourd’hui acquises au RN. Nous ne pouvons pas nous laver les mains de nos responsabilités », commente Ian Brossat.
« François Rufin dit de l’intérieur, puisqu’il est partie prenante de LFI, ce que nous disons depuis longtemps de l’extérieur, c’est-à-dire qu’il y a une dérive sectaire, brutale, communautaire et surtout une stratégie minoritaire de la part de La France insoumise et de Jean-Luc Mélenchon », a réagi François Hollande au micro du Grand Jury RTL-Le Figaro-Public Sénat. L’ancien président socialiste appelle sa famille politique à reprendre « le leadership de la gauche » en « s’affirmant sur chaque sujet en tant que socialistes, plutôt que d’aller chercher l’union pour l’union avec des positions qui ne sont pas les nôtres à gauche ».
« On ne peut pas encore prétendre exercer une quelconque hégémonie à gauche avec un parti en reconstruction politique », raille un responsable socialiste très critique vis-à-vis de la ligne de rapprochement avec LFI. À ce stade, néanmoins, il exclut la possibilité d’une émancipation. « On sent bien qu’entre Mélenchon et Roussel, ça n’est pas la joie, mais Marine Tondelier à des positions qui sont plus proches de celles des insoumis que des nôtres, et on ne peut pas se passer des verts. »
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