Le souvenir de la guerre d’Algérie reste une plaie ouverte pour bon nombre d’Algériens. Aborder ce sujet peut être ainsi très problématique. Neïla Latrous, rédactrice en chef à Jeune Afrique en charge du Maghreb et du Moyen-Orient, fait part d’un secteur révélateur de ce phénomène : « cette période de la guerre d’Algérie est extrêmement difficile à traiter pour les journalistes, les historiens, le monde de la culture … ». En effet, elle affirme que « le ministère des moudjahidines, des anciens combattants, doit délivrer son autorisation pour faire un film sur la guerre d’Algérie », rendant ainsi impossible tout discours allant à l’encontre de celui produit par les autorités.
En 2019, comment une telle censure est-elle possible ? Naoufel Brahimi El Mili, politologue, répond : « ce ministère finance donc il valide ». Or, la culture cinématographique peut influencer la mémoire d’une guerre dans la population. Affronter l’ensemble des aspects de la guerre par la culture n’est pas rendu possible par ce fonctionnement algérien.
« Les Algériens ont été biberonnés à cette histoire »
Davantage qu’un discours commun élitiste sur le déroulé de la guerre, c’est l’ensemble de la population qui s’approprie cette mise en récit nationale : « les Algériens ont été biberonnés à cette histoire », estime l'historien Pierre Vermeren. Naoufel Brahimi El Mili, politologue, ajoute : « on dit que la France est un pays malade de la commémoration mais un pays est plus malade que nous : c’est l’Algérie ». Les discours sur la guerre permettent la création d’une unité nationale, au risque de s’éloigner de l’analyse historique de la guerre.
Extrait Un monde en docs - Algérie
Un des effets de cette guerre est parfaitement illustré par le fonctionnement de l’armée, estime Pierre Vermeren : « Cette guerre de l’ombre, entre les services secrets français et les services algériens, a rendu l’armée algérienne paranoïaque ». Le déroulé actuel des contestations résulte en partie de l’appropriation de la guerre d’Algérie : tant dans le fonctionnement de l’armée que par la réappropriation d’anciens combattants du FLN par des manifestants. Neïla Latrous témoigne : « dans les manifestations, on voit des portraits de révolutionnaires », et réciproquement, dans le discours du pouvoir, « on reste toujours dans cette idée d’infiltration [par l’armée française d’une tentative de déstabilisation du pays] ».
Un nouveau récit pour une nouvelle société ?
La contestation du pouvoir par la société algérienne est-elle donc condamnée à se construire dans l’ombre de la guerre d’Algérie ? Si cette dernière produit effectivement des effets dans les manifestations, Jean-Charles Jauffret, historien, spécialiste de la guerre d’Algérie, souligne cependant un changement majeur, déterminant : « il y a des jeunes qui en ont assez de la rente mémorielle sur laquelle le système est établi. Ils ont enfin le sentiment de toucher ce que les jeunes de la génération de 62 auraient touché : le chèque de la liberté ».