Guerre en Ukraine : comprendre le blocus de la mer Noire

Guerre en Ukraine : comprendre le blocus de la mer Noire

La mer Noire est l’autre théâtre d’opérations de la guerre en Ukraine. Forte de sa supériorité navale, la Russie impose un blocus aux ports de la côte menaçant l’équilibre alimentaire mondial.
Public Sénat

Par Louis Dubar

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Publié le

Grenier à blé de l’Europe, les exportations de l’Ukraine tournent au ralenti. Odessa, la principale « porte de sortie » des céréales ruthènes vers le reste du monde fonctionne au ralenti depuis le 24 février, date du début de l’invasion russe en Ukraine. Au cours d’une conférence de presse organisée à Kiev le 5 juin, le président Volodymyr Zelensky a alerté sur le danger d’un blocage prolongé et le risque d’une grave crise alimentaire à l’échelle mondiale. « Actuellement, entre 20 et 25 millions de tonnes de céréales sont bloquées et cet automne ce chiffre pourrait augmenter à 70 à 75 millions de tonnes », assure-t-il. Il est urgent pour l’Ukraine de vider les silos et permettre aux navires marchands arrimés à quai de prendre le large. Au cours de cette même allocution, le dirigeant ukrainien a précisé qu’une reprise du trafic maritime permettrait d’exporter plusieurs millions de tonnes par mois et de relâcher un peu la pression sur les prix de certaines denrées alimentaires. Toujours selon Volodymyr Zelensky, « des millions de personnes pourraient mourir de faim si le blocus de la Russie se poursuit en mer Noire. »

Le Kremlin jouit d’une supériorité navale incontestée

Théâtre d’opération militaire à part entière depuis le premier jour de la guerre, Russes et Ukrainiens s’affrontent en mer Noire. « Capturée le 25 février, l’île des serpents située dans l’axe d’Odessa représente un point stratégique dans le contrôle du nord de la mer Noire », explique Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française aux Nations Unies. Face à une marine ukrainienne modeste, Moscou jouit d’une supériorité navale incontestée, la flotte de la mer noire a été renforcée avant le déclenchement des hostilités par des navires de la Baltique. « Historiquement, la Russie n’a jamais été une puissance navale d’importance mondiale. Ce qui vient à l’esprit quand on évoque la marine russe, c’est 1905 et l’échec de l’Empire Russe face aux Japonais lors de la bataille de Tsushima », précise-t-il. Mais depuis plusieurs années, la Russie s’est montrée particulièrement active et volontariste « dans le développement de ses capacités militaires et dans le développement d’une industrie navale. »

Le 25 juillet 2021 à l’occasion d’une grande parade militaire navale à Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine avait vanté les moyens navals de la Fédération de Russie : « Aujourd’hui, la flotte russe a tout ce qu’il faut pour défendre la patrie et nos intérêts nationaux. Nous sommes capables de détecter n’importe quelle cible ennemie sous l’eau, à la surface ou dans les airs et de lui porter un coup létal si nécessaire. » Malgré les dires de Vladimir Poutine sur l’efficacité de sa marine, la guerre en Ukraine a révélé certaines vulnérabilités. « Moscou a connu des revers militaires importants notamment avec la perte du croiseur Moskva mais également d’autres embarcations de plus petite taille. » Touché par des missiles « Neptune » ukrainiens, le navire amiral de la flotte de la mer Noire a sombré au cours de son remorquage vers un port russe. Fait inédit depuis la guerre des Malouines en 1982, c’est la première fois qu’un navire est coulé à l’aide de moyens militaires. Quelques semaines auparavant, l’Ukraine avait revendiqué la destruction d’un autre navire ennemi, l’Orsk un navire amphibie près du port ukrainien de Berdiansk en mer d’Azov.

Craignant de nouvelles pertes, la flotte de la mer Noire se tient désormais « à l’abri, à environ 100 kilomètres de la côte » en dehors du rayon d’action des missiles ukrainiens. Cet éloignement ne signifie pas pour autant la fin du blocus maritime imposé au plus grand port ukrainien, Odessa.

Les céréales ukrainiennes, otages de la guerre et du blocus russe

notamment en Afrique et au Moyen Orient, quatorze ans après les « émeutes de la faim. » Le 13 juin, à la suite du conseil européen sur l’agriculture et de la pêche, le ministre français, Marc Fesneau a indiqué que « l’urgence aujourd’hui, nous le savons est de mettre en œuvre rapidement les voies de solidarité pour sortir d’Ukraine avant la prochaine récolte les céréales encore stockées. C’est crucial pour les agriculteurs ukrainiens mais également pour la stabilité des marchés mondiaux. » Toutefois, le problème est d’ordre logistique, la majorité des exportations ukrainiennes s’effectuait par la mer. L’écartement des rails entre l’Ukraine et les pays voisins, les embouteillages aux postes frontières, la crainte de bombardements des camions ou le manque de chauffeurs compliquent le transport du grain par des voies terrestres.

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La levée du blocus représente un enjeu crucial pour les pays dépendants aux céréales et aux oléagineux ukrainiens. En 2019, sur les 80 millions de tonnes récoltées en Ukraine, 54 millions avaient été exportées. Pour Dominique Trinquand, la visite du chef d’Etat sénégalais et président de l’Union Africaine, Macky Sall à Sotchi le 5 juin témoigne d’une inquiétude croissante de la part du continent africain. « On assiste diplomatiquement, à un changement de portage sur cette question. Cette problématique n’est plus dictée par une simple opposition classique est-ouest et concerne l’ensemble de la communauté internationale. » Les initiatives diplomatiques se multiplient afin d’établir des corridors sécurisés pour permettre la reprise du trafic maritime en mer Noire. Fin mai le président de l’Estonie avait suggéré une escorte militaire des navires partant d’Odessa. Le 10 juin, la France s’est pour sa part dite prête à aider dans la levée du blocage du port ukrainien, « une aide à la fois diplomatique, la France soutiendrait l’adoption d’une résolution écrite au conseil de sécurité pour acter d’un éventuel engagement de la Russie et une aide technique dans le déminage des eaux proches du port d’Odessa permettant ainsi de tenir la flotte russe à l’écart », explique Dominique Trinquand.

Cette mise en place de « corridors sécurisés » était au cœur des discussions entre le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov et son homologue turc, Mevlüt Cavusoglu. Pour Dominique Trinquand, cette crise du blé ne pourra être réglée qu’avec « l’accord des trois grands pays riverains de la mer Noire : l’Ukraine, la Russie et la Turquie. »

 

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