Le président russe Vladimir Poutine a demandé jeudi à son armée d’observer un cessez-le-feu de 36 h en Ukraine. Comment interprétez-vous cette initiative, s’agit-il d’une manœuvre tactique ou d’une réelle volonté d’apaisement ?
Il s’agit d’un coup politique, sans aucune implication militaire. Vladimir Poutine veut montrer qu’il est le faiseur de paix et que les Ukrainiens sont ceux qui veulent la guerre. Le communiqué de l’agence de presse russe Tass, envoyé à midi pile au moment où entrait en vigueur le cessez-le-feu, et dans lequel il est affirmé que les Ukrainiens ont tiré, le montre bien. En réalité, Vladimir Poutine savait bien que le cessez-le-feu ne serait pas respecté par les Ukrainiens car il a été décidé de manière unilatérale.
Quel est le rapport de force sur le terrain ?
Rien ne bouge, car l’armée russe se réorganise, et de l’autre côté les Ukrainiens sont en train de préparer une grande offensive. Le seul endroit où les choses évoluent c’est à Bakhmout, où le groupe Wagner essaye de percer mais n’y parvient pas. Les Ukrainiens défendent très bien leurs positions, et Evgueny Prigojine, le chef du groupe Wagner, est bien forcé de reconnaître qu’il n’est pas à la tête d’une véritable armée en dépit de ce qu’il prétend. Il y a aujourd’hui une guerre interne entre Wagner et l’armée russe régulière.
Ce mercredi, pour la première fois, la France a annoncé qu’elle allait livrer à l’Ukraine des chars de combat de facture occidentale. Qu’est-ce que cela va changer sur le terrain ?
Cela va changer plusieurs choses. Tout d’abord, Emmanuel Macron répond à la demande du président Zelensky. Certes, nous parlons de chars légers, mais il s’agit quand même de chars et cela ne doit pas être minimisé. Par ailleurs, cette annonce a agi comme un « produit d’appel », puisque les Etats-Unis et l’Allemagne ont immédiatement réagi en promettant de fournir des véhicules blindés. Enfin, les chars que nous allons envoyer vont permettre aux Ukrainiens de se renforcer dans l’offensive qui vient.
Washington et Berlin ont promis à Kiev la livraison de blindés d’infanterie, de type Bradley côté américain et de modèle Marder côté allemand. De quoi s’agit-il ?
Ce sont des véhicules de transport de troupes sous blindage. Cela permet, tout en protégeant les soldats, de s’approcher au plus près des lignes de contact, car ces véhicules sont équipés de canon de 20 millimètres. Mais quand est-ce que ces blindés arriveront en Ukraine ? Je doute qu’ils le soient avant l’offensive ukrainienne.
Quels seront les objectifs de cette offensive à venir et pour quand est-elle attendue ?
C’est une offensive qui a été annoncée par le chef d’état-major ukrainien il y a plusieurs semaines. L’élément déterminant sera la météorologie, car il faut que ça gèle pour que les blindés puissent se déployer. Or, actuellement, tout est dans la boue.
On annonce le début du gel à partir de la semaine prochaine, il fera par exemple -15 degrés dans la région de Kharkiv. Cela ressemble à une période favorable pour un déploiement, mais il faudra sans doute encore attendre une dizaine de jours pour s’assurer que toutes les conditions sur le terrain sont réunies. L’objectif de cette offensive est de désorganiser l’armée russe dans la région de Kherson, et d’atteindre la mer d’Azov afin de couper le Donbass de la Crimée. Pour cela, toutes les forces ukrainiennes de réserve devraient être déployées.
La Russie a affirmé être ouverte à un dialogue avec l’Ukraine à condition que celle-ci accepte les « nouvelles réalités territoriales ». C’est une proposition qu’il faut prendre au sérieux ?
C’est une proposition inadmissible pour l’Ukraine, qui a d’ailleurs déjà déclaré qu’elle n’accepterait pas de telles conditions. Imaginez si en 1914, après la bataille de la Marne, l’Allemagne, qui occupe alors un quart de la France, avait proposé que l’on s’en tienne à la situation sur le terrain ? Ce n’est pas envisageable ! En faisant une telle proposition, Vladimir Poutine s’adresse surtout à la population russe, qu’il veut convaincre de sa bonne foi.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a proposé un « cessez-le-feu unilatéral » destiné à soutenir « les appels à la paix et les négociations entre Moscou et Kiev ». Quel rôle joue actuellement la Turquie dans le conflit ?
Cette déclaration est intervenue avant l’annonce du cessez-le-feu décrété par Vladimir Poutine. Erdogan joue son rôle, et tente de se présenter comme une force de médiation dans le conflit. Il faut rappeler, car on en parle peu, que la Turquie vient directement en aide à l’armée ukrainienne, en lui livrant des véhicules blindés et des drones. Tout cela se passe alors que des élections présidentielles décisives auront lieu en Turquie au mois de mars.
Est-ce que 2023 sera l’année de la fin du conflit et de la victoire ukrainienne ?
Je ne fais pas de pronostic, mais je peux exprimer un espoir. Si la victoire ukrainienne n’intervient pas au printemps, cela sera peut-être pour l’été. L’offensive à venir peut déstabiliser profondément l’armée russe. Elle peut chambouler pas mal de dispositifs. Mais il est impossible d’affirmer avec certitude qu’elle réussira.