Guerre en Ukraine : « On voit arriver une deuxième vague de réfugiés, bien plus démunis »

Guerre en Ukraine : « On voit arriver une deuxième vague de réfugiés, bien plus démunis »

Auprès de Public Sénat, deux responsables d’organisations caritatives, Oxfam France et Solidarités international, évoquent la situation humanitaire en Ukraine. Alors que la plupart des réfugiés continuent d’affluer vers l’ouest, l’absence de couloir humanitaire empêche de mesurer l’ampleur des besoins dans les zones de combats.
Romain David

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Toujours pas d’évacuations humanitaires en Ukraine, douze jours après le début de l’offensive russe. Moscou a annoncé l’ouverture ce lundi de plusieurs couloirs humanitaires, devant permettre de sortir les civils ukrainiens des zones où les combats font rage, notamment dans les environs de Kiev, dans l’est et le sud du pays, à Kharkiv et Marioupol. L’Ukraine a toutefois refusé cette option lundi, estimant que l’acheminement de civils vers la Biélorussie ou la Russie n’était « pas une option acceptable », selon des déclarations de la vice-Première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk. Le Kremlin a indiqué que ces couloirs humanitaires avaient été mis en place « à la requête d’Emmanuel Macron » qui s’est entretenu pendant deux heures dimanche avec Vladimir Poutine. Mais dans un entretien accordé à LCI, le chef d’Etat français a dénoncé « le cynisme » de la Russie sur ce sujet. « Il faut que les acteurs de l’humanitaire puissent intervenir, et qu’il y ait des trêves complètes quand ils interviennent pour mettre en protection les femmes, les enfants et les hommes qui doivent être sortis de la zone de conflit. Ce ne sont pas seulement des couloirs qui sont tout de suite menacés, et ce n’est pas ce discours hypocrite qui consiste à dire, on va aller protéger les gens pour les emmener en Russie. Tout cela n’est pas sérieux, c’est du cynisme moral et politique », a-t-il déclaré.

Deux tentatives d’évacuation des civils de la ville portuaire de Marioupol ont déjà échoué. Ce week-end, malgré un cessez-le-feu, les bombardements ont poussé la municipalité à mettre un coup d’arrêt au départ de 200 000 personnes. Selon des déclarations à la BBC de Dominik Stillhart, le directeur des opérations du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), l’itinéraire d’évacuation se serait révélé miné. Marioupol apparaît désormais comme un bastion stratégique pour l’armée russe, la ville se dressant sur l’itinéraire de jonction des forces entrées par le Donbass, et de celles arrivées par la Crimée. Selon une estimation des Nations unies, le conflit ukrainien aurait généré en dix jours 1,5 million de réfugiés, une situation jamais vue sur le continent européen depuis la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs ONG ont envoyé des missions sur place, pour tenter de définir les besoins de la population, et mettre en place une stratégie de soutien humanitaire. Public Sénat a interrogé Jon Cerezo, responsable humanitaire d’Oxfam France, et Kevin Goldberg, directeur général de l’ONG Solidarités international, sur leurs premières estimations de la situation sur place.

Pouvez-vous nous parler de votre rôle sur place ?

Jon Cerezo – Oxfam a envoyé une mission d’évaluation sur place, pour déterminer quels sont les besoins de la population, et de quelle manière lui venir en aide. Il est parfois plus utile d’apporter un soutien aux organisations locales que d’installer une énième ONG. L’une de nos lignes de conduite est de s’assurer que les promesses faites en termes de dons et de soutien humanitaire par les autres pays, notamment les Etats membres de l’UE, soient bien tenues. Le 1er mars, la Banque mondiale a également promis une aide de trois milliards de dollars.

Kevin Goldberg – Nous avons également une équipe en Ukraine, pour comptabiliser les besoins des gens qui fuient les zones de conflits. Ils sont pour l’instant stationnés à Lviv, près de la frontière polonaise, où transitent une large partie des réfugiés qui partent vers l’ouest. Nous travaillons avec les organisations sur place. Le stade Arena de Lviv accueille chaque jour 5 000 à 6 000 personnes, il est devenu un hub pour l’aide humanitaire dans la région.

Ukrainiens et Russes tentent de s’entendre pour mettre en place des couloirs humanitaires depuis les zones les plus touchées par les bombardements, notamment Kharkiv, Marioupol, et Kiev. De quoi s’agit-il ?

« J.C. – Que ce soit dans des conflits étatiques ou non étatiques, par exemple avec des bandes armées, tout acteur est tenu de garantir l’accès à une aide humanitaire aux populations civiles. Les blocus et les entraves à l’acheminement constituent des atteintes au droit international. Les organisations attendent des pourparlers un respect absolu du droit international humanitaire, le respect de l’intégrité des travailleurs humanitaires et, bien sûr, la possibilité d’acheminer des biens de première nécessité.

K.G. – Il s’agit d’une règle du droit international : les civils ne participent pas au conflit, et ils ont le droit à une protection, de même que leurs biens, via des zones neutralisées. Elles sont un élément clef des négociations de cessez-le-feu. Les personnes qui fuient doivent également avoir le choix du pays vers lequel elles veulent se réfugier.

» Lire notre article - Ukraine : qu’est-ce qu’un « couloir humanitaire » ?

D’après les informations qui vous parviennent, quelles sont les régions d’Ukraine ou la situation semble la plus critique sur le plan humanitaire ?

J.C. – On essaye toujours d’avoir une vision sur les besoins pour l’ensemble du pays, mais comme dans tout conflit, ce sont les zones frappées par les combats qui souffrent le plus. Nous sommes encore dans l’analyse de la situation, mais l’ONU chiffre déjà à 12 millions le nombre d’Ukrainiens dans le besoin, dont six millions dans une situation d’urgence, ce qui nécessiterait de débloquer plus d’un milliard de dollars pour leur venir en aide.

K.G. – Nos équipes essayent de progresser vers l’est, pour évaluer les besoins dans les zones de conflits. Mais plus aucun loueur n’accepte de mettre à disposition un véhicule pour aller dans cette direction. Il est difficile d’estimer la situation, les informations qui nous parviennent sont des informations de seconde main, issues de l’ONU, de la Croix-Rouge et des chaînes d’information, elles concernent principalement Marioupol, Kharkiv et la banlieue de Kiev.

Avez-vous réussi à déterminer quels sont les besoins précis des populations concernées ?

J.C. – Pour l’instant, la vision que l’on a du terrain laisse apparaître des besoins qui ressemblent à ceux de toute population prise dans un conflit armé : en priorité une protection pour les personnes qui n’ont plus de domicile et doivent dormir à la belle étoile, mais aussi un accès à l’eau potable, avec des moyens d’assainissement.

K.G. – Les premières personnes qui ont fui disposaient d’une voiture, ou avaient de la famille à l’étranger. À présent, on voit arriver une deuxième vague de réfugiés, des gens bien plus démunis, qui ont pris des bus ou le train pour se déplacer. Effectivement, il faut leur garantir un accès à l’eau, à l’alimentation et surtout de quoi rester au chaud. En ce moment, il fait très froid en Ukraine.

Vers quelles régions se dirigent majoritairement les Ukrainiens qui fuient les zones de conflit ?

J.C. – La Pologne est le pays qui assure l’accueil le plus important, avec 855 000 réfugiés. Mais il faut rappeler que lorsqu’il y a un conflit, la part de population qui choisit de quitter le pays est généralement minoritaire par rapport au nombre de personnes déplacées qui restent à l’intérieur du pays. Selon l’ONU, 1,5 million de réfugiés ont quitté l’Ukraine. On parle d’un pays de 44 millions d’habitants. À terme, plus de 4 millions de personnes pourraient vouloir quitter le territoire. À titre de comparaison, la Syrie comptait 22 millions d’habitants avant la guerre civile, et l’ONU estime à plus de 6 millions le nombre de réfugiés syriens dans le monde.

K.G. – On ne sait pas encore si la Pologne sera un pays d’accueil ou seulement une zone de transit pour ces réfugiés. Nous avons une attention particulière sur la Moldavie, avec une équipe sur place également. Car ce pays, qui a déjà vu arriver 100 000 personnes, apparaît comme le moins paré des pays frontaliers pour accueillir des réfugiés. Or, si Odessa venait à être attaquée, les populations fuiraient principalement dans cette direction.

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