« Les choses ont démarré sur les réseaux sociaux avec les vidéos de ce parent d’élève et elle s’est terminée avec cette photo abjecte postée sur les réseaux sociaux par le terroriste », a déclaré le porte-parole du gouvernement après l’assassinat de Samuel Paty, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Le terroriste a en effet revendiqué l'acte en postant une photo du corps de la victime sur son compte Twitter, un compte alimenté depuis des semaines. Avant cela, l'identité de ce professeur d'histoire-géographie, qui avait montré à ses élèves une caricature du prophète Mahomet, avait été dévoilée par un parent d'élève dont les vidéos ont largement circulé sur les réseaux sociaux mais aussi sur des messageries partagées comme Whatsapp, Messenger ou Telegram. Le gouvernement cherche aujourd'hui a renforcé l'arsenal répressif concernant la haine en ligne.
Le porte-parole du gouvernement a dévoilé qu’un « dispositif juridique qui permette (…) de lutter contre la haine sur les réseaux sociaux » était à l’étude tant au niveau national qu’au niveau européen. Laetitia Avia, la députée qui a porté la proposition de loi contre les contenus haineux sur internet, précisait sur France Info : « En décembre, des annonces seront faites, un texte sera proposé à l’échelle européenne dans le cadre du Digital Services Act qui va proposer des mesures exigeantes vis-à-vis des plateformes ».
« Nous avons à faire face à une nouvelle génération de jeunes [...] qui se sont radicalisés chez eux, face à un écran de téléphone », a par ailleurs déclaré Marlène Schiappa lors d'une réunion avec les patrons français des grands réseaux sociaux et des plateformes dans le cadre de la « lutte contre le cyber-islamisme », ce mardi (voir la vidéo ci-dessous).
Les réseaux sociaux ont le statut d'hébergeur de contenus et sont à ce titre soumis à des règles. Malgré des avancées, ils sont régulièrement ciblés pour leur manque de régulation des contenus haineux et des fake news. Des associations telles l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), SOS racisme et SOS homophobie ont, par exemple, assigné le réseau social Twitter à de plusieurs reprises pour son manque de diligence voire d'inaction en matière de modération des contenus.
« Une nouvelle génération de jeunes se sont radicalisés face à un écran de téléphone »
Cette attaque terroriste relance ainsi le débat sur la modération et la répression de la haine en ligne. Comme lors des précédents débats, la tension entre la répression des contenus haineux et le souci de protéger la liberté d’expression apparaît, tout comme les questions sur la nécessité de légiférer à nouveau. « Essayer de contrôler tous les contenus sur Internet est une tâche sans fin », prévient ainsi la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly sur Publicsenat.fr. « Il faut s’armer pour lutter contre les contenus haineux mais il faut s’armer intelligemment et ne pas réagir dans le passionnel », ajoute en écho l’ancien rapporteur du texte sur la lutte contre la haine en ligne au Sénat, Christophe-André Frassa. Un point sur ce que dit la loi actuellement.
La loi de 1881 remise en cause
La loi de 1881 sur la liberté de la presse et la liberté d'expression est le premier texte à réprimer notamment la diffamation et l’injure. Ces délits peuvent faire encourir à leurs auteurs une amende de 12 000 euros pour diffamation publique et d’un an de prison et de 45 000 € d'amende si les caractères racistes, antisémites ou sexistes sont retenus. Les délits d’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale sont eux passibles d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Ce texte fondateur qui se veut le garant de l’équilibre délicat entre liberté d'expression et répression des abus, a déjà été remis en cause avec l’essor d’internet et la hausse du contentieux due aux délits de presse sur les plateformes.
Selon les informations du Monde, le garde des Sceaux pourrait envisager une modification de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Une des pistes rapportées par le quotidien consisterait à faire sortir les délits d’incitation à la haine de loi 1881 afin de permettre des procédures rapides comme la comparution immédiate ou des mesures de sûreté comme la détention provisoire ou le contrôle judiciaire.
La loi antiterroriste de 2014, portée par Manuel Valls, avait déjà modifié la loi de 1881 en faisant passer le délit d’apologie du terrorisme de la loi sur la presse au code pénal.
Haine en ligne : les avancées législatives
En 2004, la loi baptisée « Confiance dans l'économie numérique » transposait dans le droit français la directive européenne de 2000 sur le commerce électronique et certaines dispositions de la directive du 12 juillet 2002 sur la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques.
Ce texte permet notamment à toute personne victime de propos haineux de demander l’identification d’une personne via la requête d’un juge. L’identification procède généralement d’une enquête de police qui recherche l’auteur du délit via son adresse IP ou en effectuant une demande auprès du fournisseur d’accès à internet (FAI). Cette loi impose également aux hébergeurs de retirer les contenus « manifestement illicites » dont ils ont connaissance.
Par ailleurs, le code pénal dispose d’outils contre la diffusion de vidéos illicites. L'article 225-17 du Code Pénal sanctionne toute atteinte à l'intégrité d'un cadavre, par quelque moyen que ce soit. La diffusion d'une image particulièrement dégradante peut en faire partie. Une peine d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende est assortie de ce délit.
L'article 227-24 du Code Pénal sanctionne, lui, le fait qu'un mineur puisse avoir accès un contenu « à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ». Les peines encourues sont alors de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Concernant, l'enregistrement et la diffusion d’images de violence, l’article 222-33-3 du code pénal prévoit une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 Euros d'amende.
À l'Assemblée nationale, ce mardi, le Premier ministre s'est dit favorable à l'instauration d'un délit « de mise en danger par la publication de données personnelles ». L'article 226-4-1 du code pénal prévoit déjà une peine d'un an emprisonnement et de 15 000 euros d'amende s'il est fait « usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant (d'identifier un tiers) en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération ».
Créée en 2009, Pharos (Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements) permet de signaler aux services de police les contenus illicites. La plateforme est intégrée à l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC). La question des moyens alloués à ce dispositif peut aujourd’hui se poser puisque ce service comptait, en 2018, seulement 27 policiers et gendarmes spécialisés dans la cybercriminalité pour 163 000 signalements, soit plus de 3 000 chaque semaine, comme le souligne 20 minutes.
L’échec de la loi Avia
Censurée dans les grandes largeurs par le Conseil constitutionnel en juin 2020, la loi Avia contre la haine en ligne est la dernière tentative en date de modération des contenus haineux sur internet. La proposition de loi déposée par la députée Laetitia Avia visait à renforcer la contribution des opérateurs numériques à la lutte contre certains contenus manifestement haineux en ligne.
La mesure phare de ce texte fixait aux plateformes un délai de 24 heures, après notification par une ou plusieurs personnes, pour supprimer tout contenu manifestement illicite : les incitations à la haine, les injures à caractère raciste ou anti-religieuses. Un délai jugé bien trop court par le Conseil constitutionnel qui avait été saisi par les sénateurs. Le Conseil constitutionnel avait estimé que le dispositif de signalement par les internautes, pouvait « inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites », au risque d’attenter à la liberté d’expression.
Des pistes sont aujourd’hui à l’étude telles que la création de postes de magistrats totalement dédiés aux traitements des contenus haineux en ligne. « Il y a déjà des magistrats qui sont dédiés à cela, la question qui est posée est celle de leur nombre », précisait le ministre de la Justice, ce mardi, sur France inter. Éric Dupond-Moretti a rencontré lundi les procureurs généraux pour travailler sur les moyens de renforcer la répression des faits liés à la menace terroriste. Selon Le Monde, une circulaire ministérielle visant « les comportements, notamment sur Internet, incitant à la haine ou appelant à commettre des crimes ou délits » et « les comportements de harcèlement ou d’intimidation » devait être déposée dans les prochains jours.