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Harcèlement moral : le cas de la sénatrice Esther Benbassa embarrasse le Sénat

Le 12 juillet dernier, le Bureau du Sénat a décidé de ne pas donner suite aux accusations de harcèlement visant la sénatrice, Esther Benbassa sur une ancienne collaboratrice, estimant que les faits « n’étaient pas établis ». Une décision qui provoque « l’incompréhension » du comité de déontologie de la chambre haute qui avait, à l’unanimité de ses membres, considéré que la situation de harcèlement était avérée.
Simon Barbarit

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« Une incompréhension totale ». Quelques jours après la décision du bureau du Sénat, la sénatrice socialiste, Michelle Meunier, vice-présidente du comité de déontologie du Sénat, peine toujours à y croire. Le 12 juillet dernier, le Bureau du Sénat, composé de 26 parlementaires (le président, les vice-présidents, les secrétaires, les questeurs), a décidé de ne pas donner suite au signalement de suspicion de harcèlement visant la sénatrice Esther Benbassa sur une ancienne collaboratrice parlementaire. « Le Bureau a considéré que l’existence de faits de harcèlement n’avait pas été établie », peut-on lire dans le communiqué.

Esther Benbassa avait été exclue du groupe écologiste du Sénat fin 2021 suite à des accusations de harcèlement moral de la part d’une dizaine d’anciens collaborateurs parlementaires. La décision du Bureau du Sénat portait sur une autre affaire dont Mediapart s’est fait le relais ces derniers jours.

Sur ce dernier cas, l’instruction menée par le comité de déontologie parlementaire, transmise au bureau du Sénat, avait pourtant conclu, à l’unanimité de ses membres, qu’il s’agissait bien d’un cas de harcèlement au travail. Pour prendre cette décision, le comité de déontologie parlementaire s’était appuyé sur les 386 pages de témoignages et de documents de l’ancienne collaboratrice de la sénatrice, de témoignages concordants de quatre anciens collaborateurs d’Esther Benbassa, de documents de (l’Association pour la gestion des assistants de sénateurs) qui attestaient d’un fort taux de rotation et de nombreux arrêts de travail au sein de l’équipe d’Esther Benbassa et surtout d’un rapport du cabinet 3 E Conseil, spécialisé dans les ressources humaines et le droit du travail, missionné par la cellule d’écoute et qui concluait à une situation de harcèlement.

Harcèlement : que prévoit la procédure instituée par le Sénat ?

Pour mémoire, depuis 2018, le Sénat a mis en place une « cellule d’accueil et d’écoute » à destination des victimes de harcèlement. Elle est composée d’un psychologue du travail, d’un représentant des salariés et d’un haut fonctionnaire. En 2020, la procédure de traitement des situations de harcèlement a fait intervenir le comité de déontologie parlementaire composé de neuf sénateurs représentants chaque groupe politique. Il est en charge d’émettre « une véritable instruction contradictoire », avant de faire des recommandations au Président du Sénat. Le règlement de la chambre haute rappelle que les actes de harcèlement « constituent un manquement au principe déontologique de dignité », et par conséquent peuvent « donner lieu aux sanctions de censure et de censure avec exclusion temporaire », par une décision adoptée en Bureau.

« Une décision qui pourrait remettre en question toute l’architecture de la procédure »

« Au sein du comité déontologique, il y avait des divergences sur les préconisations des sanctions. Je faisais partie de la minorité qui voulait demander au Bureau de faire un signalement au Procureur de la République. Nous avons finalement recommandé des sanctions disciplinaires car la collaboratrice avait émis le souhait de porter l’affaire aux prud’hommes plutôt qu’au pénal. Ce qui m’attriste le plus, c’est la manière dont ça s’est passé. Aucun membre du Bureau n’est venu, en amont de la décision, consulter notre dossier qui comprenait la retranscription de nos débats », affirme Michelle Meunier.

Dans un courrier adressé au président Larcher, Arnaud Bazin (LR) président du comité de déontologie et Michelle Meunier s’émeuvent de la décision du Bureau « qui pourrait remettre en question toute l’architecture de la procédure mise en place pour prévenir et lutter contre les faits de harcèlement ».

« Ça envoie un message d’impunité pour les sénateurs »

Difficile d’aller plus loin sur les motivations qui ont conduit à cette décision du Bureau. « En matière disciplinaire, les sénateurs sont tenus au secret, je ne peux pas vous délivrer la teneur de nos échanges », confie l’un de ses membres.

Laurence Rossignol, vice-présidente socialiste du Sénat et donc membre du Bureau confirme ne pas avoir été consulter le dossier du comité de déontologie. « Ce n’était pas la peine, Je connais très bien cette affaire, vous savez. D’autant que nous avons sur la table un document très clair et très précis (le rapport du cabinet 3 E Conseil) ». Elle évoque « une décision désastreuse » de la part du Bureau. « C’est un désaveu du comité de déontologie et de la procédure mise en place pour mettre un terme aux affaires de harcèlement sexuel et moral qui peuvent intervenir entre un sénateur et ses collaborateurs. Ça envoie aussi un message d’impunité pour les sénateurs. Car le Sénat a refusé d’appliquer sa compétence ordinale pour sanctionner une élue qui a manqué à ses obligations déontologiques ».

Pour Esther Benbassa, « le Bureau du Sénat ne s’est pas laissé instrumentaliser et a statué en droit »

Contactée par publicsenat.fr, Esther Benbassa indique pour sa part prendre acte de la décision du Bureau du Sénat qui, selon elle, l’a « blanchie en totalité des accusations fantaisistes portées à (s) on endroit ». « Après avoir eu accès à toutes les pièces de ce dossier et à tous les témoignages, le bureau du Sénat a considéré qu’aucun comportement déplacé ou harcelant ne pouvait m’être reproché. Dans le cadre de cette procédure, j’ai transmis au bureau du Sénat des pièces mettant en exergue la volonté de nuire de la plaignante tant à mon endroit qu’à l’égard de l’une de ses collègues que j’ai voulu protéger. Et force est de constater que, contrairement à certains journalistes d’investigation, le Bureau du Sénat a pris soin d’étudier chacune des pièces qui lui a été transmise. Le bureau du Sénat ne s’est pas laissé instrumentaliser et a statué en droit, et je m’en réjouis », déclare-t-elle.

« A minima, le Bureau aurait dû transmettre le dossier à la justice »

Esther Benbassa précise, par ailleurs, ne pas avoir pris part à cette décision du Bureau. En effet, la sénatrice de Paris est secrétaire du Sénat depuis le dernier renouvellement de la chambre haute en 2020, à l’époque en tant que représentante du groupe écologiste. Poste qu’elle a conservé malgré son exclusion du groupe écologiste en 2021. « Le groupe écologiste n’est donc plus représenté au Bureau et n’a pas pu participer à la délibération », souligne Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste qui a publié un communiqué demandant au Bureau de revoir sa décision concernant Esther Benbassa. « Cette décision est une vraie faute. Après avoir mis en place une procédure de lutte contre le harcèlement, et au vu du travail effectué par le comité de déontologie, comment une telle décision a pu être prise ? A minima, le Bureau aurait dû transmettre le dossier à la justice. La responsabilité de l’institution Sénat est de protéger et de soutenir les collaboratrices et collaborateurs », insiste-il.

Du côté des collaborateurs, Yseline Fourtic-Dutarde, membre de la CGT collaboratrices & collaborateurs parlementaires, s’interroge désormais sur la volonté du Sénat de les protéger « des comportements abusifs de certains sénateurs employeurs ». « On ne peut plus faire confiance à la procédure interne qui s’est pourtant bien déroulée, dans ce cas précis, de A à Z. Le Bureau a préféré protéger l’image du Sénat plutôt que de faire respecter l’obligation de sécurité d’un employeur à l’égard de ses collaborateurs. Le Bureau n’a pas considéré qu’il avait une obligation morale de sanctionner. La cellule anti-harcèlement est morte. Elle a perdu toute légitimité ».

En guise de protestation, le 13 juillet, au lendemain de la décision du Bureau, les représentants des collaborateurs parlementaires AGAP, CGT-CP ont refusé de siéger à la réunion de l’instance de dialogue social.

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