Hausse de 1000 euros par mois pour les magistrats : les inquiétudes subsistent après une revalorisation « substantielle »
Alors que le garde des Sceaux a annoncé ce lundi revalorisation de 1000 euros brut mensuels des magistrats de l’ordre judiciaire, toutes les inquiétudes sur la justice française sont loin d’être écartées. Entre la peur des effets d’annonce, et l’insuffisance de seules revalorisations salariales, retour sur les questions soulevées par cette augmentation annoncée pour octobre 2023.

Hausse de 1000 euros par mois pour les magistrats : les inquiétudes subsistent après une revalorisation « substantielle »

Alors que le garde des Sceaux a annoncé ce lundi revalorisation de 1000 euros brut mensuels des magistrats de l’ordre judiciaire, toutes les inquiétudes sur la justice française sont loin d’être écartées. Entre la peur des effets d’annonce, et l’insuffisance de seules revalorisations salariales, retour sur les questions soulevées par cette augmentation annoncée pour octobre 2023.
Louis Mollier-Sabet

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Une revalorisation « inédite », s’est félicité Éric Dupond-Moretti sur RMC – BFMTV ce lundi matin. Il est vrai qu’une revalorisation « de l’ordre » de 1000 euros brut mensuels pour les magistrats de l’ordre judiciaire, « c’est substantiel, quand même », admet Céline Parisot, présidente de l’Union Syndicale des Magistrats (USM), qui tient tout de même à rappeler que l’objectif d’une remise à niveau par rapport aux salaires des magistrats administratifs n’est tout de même pas atteint. « On reste en dessous, mais on ne va pas se plaindre », ajoute-t-elle, « c’est aussi une reconnaissance de nos contraintes, parce qu’il faut être à la fois polyvalent et pointu, pouvoir remplacer tout le monde et être disponible 24h sur 24h. » Agnès Canayer, sénatrice LR de Seine-Maritime et secrétaire de la commission des Lois, se réjouit aussi d’une « bonne nouvelle pour les magistrats », mais estime qu’un travail sur les rémunérations « ne suffira pas » : « Le garde des Sceaux ne prend pas le sujet par le bon bout, la justice française est dans un tel état que c’est la vision globale qui nous avait été présentée aux Etats généraux de la Justice qui doit être mise en œuvre. »

« Si ce sont des contractuels pour 6 mois ça ne suffira pas »

Il y a un an, Emmanuel Macron avait en effet lancé les Etats généraux de la justice, qui devait servir de réflexion pour « restaurer le pacte civique entre la Nation et la justice et garantir l’efficacité du service public de la justice. » Le rapport finalement rendu en juillet dernier par Jean-Marc Sauvé, président honoraire du Conseil d’Etat, à Emmanuel Macron faisait le diagnostic d’un « état de délabrement avancé de l’institution judiciaire » et préconisait notamment une augmentation inédite des effectifs. Élisabeth Borne avait annoncé la création de 8500 postes de magistrats, greffiers et agents administratifs supplémentaires au cours du quinquennat. Éric Dupond-Moretti a évoqué ce matin « des embauches massives de magistrats et de juristes », avec 2000 recrutements dans le pénal et le civil.

Ces « annonces » sont pourtant loin d’atténuer les inquiétudes des magistrats, explique Céline Parisot : « Les négociations salariales devaient aller de pair avec une politique de recrutement offensive pour attirer du monde. Malheureusement, il n’y a eu aucune annonce précise et on ne sait pas sous quel statut seront faites ces embauches. Si ce sont des contractuels pour 6 mois ça ne suffira pas à véritablement augmenter la puissance de l’appareil judiciaire et sa capacité à résorber les délais de manière durable pour que les justiciables n’attendent pas des années. » Des interrogations partagées par Agnès Canayer : « Les magistrats sont submergés et le garde des Sceaux les soulage par des contractuels embauchés rapidement. Mais derrière, on n’a pas d’état des lieux précis de leur charge de travail, leur fonction n’est pas clairement définie, or on en a besoin pour évaluer leurs besoins et pouvoir embaucher en conséquence. L’urgence, c’est de pérenniser ces contrats pour faire en sorte que les personnes embauchées puissent avoir une véritable visibilité et s’investir réellement. » D’après la sénatrice LR, « c’était l’état d’esprit des Etats généraux de la justice » de « réorganiser l’équipe autour des magistrats » afin qu’ils aient les « moyens réels d’exercer leurs missions », avec « des audiences qui se terminent à des heures normales » et « des délais de jugement raisonnables. »

« Pour la justice du quotidien, les dernières augmentations budgétaires sont inférieures à l’inflation »

Cette vision d’ensemble que demandent l’ensemble des acteurs du monde judiciaire pourrait-elle être concrétisée par le prochain budget de la justice ? Éric Dupond-Moretti s’est félicité ce matin des efforts budgétaires consentis par l’Etat sur les crédits de la justice ces dernières années : « C’est un budget inégalé. Trois fois 8 %, c’est une augmentation considérable pour une justice qui a été négligée pendant 20 ans d’un point de vue budgétaire, humain, politique. » Une augmentation « à relativiser » pour Céline Parisot : « Ces 8 % vont principalement dans le pénitentiaire, pour la justice du quotidien, au service direct des justiciables, les dernières augmentations budgétaires sont inférieures à l’inflation puisque c’était un peu plus de 3 % l’année dernière. »

La présidente de l’USM y voit une différence de traitement pour le judiciaire : « Le pénitentiaire obtient toujours plus que nous. Il y a des places de prison annoncées, les surveillants ont vu leurs rémunérations augmenter, tout comme les magistrats administratifs, qui ont obtenu 20 % de revalorisation cette année, avec un effet rétroactif au 1er janvier. » Céline Parisot en veut pour preuve les atermoiements dans le dossier des revalorisations des présidents de juridiction, qui avaient notamment des astreintes non rémunérées. « Cela fait plus de 9 mois que le texte est prêt, et que nous attendons quelques centaines d’euros », proteste-t-elle, en soulignant le peu d’impact budgétaire d’une mesure dont la portée reste très limitée. « Le budget est là, le décret est ficelé, mais au guichet unique de Bercy [qui gère les statuts et rémunérations des agents publics, ndlr], ça ne passe pas. »

Des revalorisations pour utiliser des crédits budgétaires non dépensés ?

Pour Agnès Canayer, « on ne peut pas opposer » le judiciaire et le pénitentiaire, « complémentaires pour l’efficacité de la justice en France. » Ce qui est surtout important, d’après elle, c’est de ne pas concentrer l’effort budgétaire sur « la face visible de l’iceberg », c’est-à-dire la procédure pénale. « La justice du quotidien, c’est la justice civile, avec 2,5 millions d’affaires par an, alors que la justice pénale, c’est seulement 800 000 affaires, même si c’est très important. » La sénatrice LR s’appuie sur l’exemple de la justice Prud’homale, à propos de laquelle elle avait rendu un rapport en 2019 : « Lors des états généraux il y avait eu des préconisations sur la simplification des procédures, nous espérons que cela trouve sa concrétisation, mais pour le moment, on est surtout sur des annonces, et les annonces, ce sont toujours sur les choses les plus tonitruantes. » Même son de cloche chez Céline Parisot : « La revalorisation est pour le moment annoncée pour octobre 2023. Attendons, mais d’ici là, il peut se passer beaucoup de choses, pour l’instant ce n’est qu’une annonce. »

Le Sénat propose depuis des années certaines pistes de long terme, avec notamment un rapport transpartisan de 2017 intitulé « 5 ans pour sauver la justice », qui préconisait déjà des augmentations budgétaires de 5 % par an sur 5 ans et des réorganisations dans les services judiciaires. Il y a un an, s’était tenue une « agora de la justice » , où Philippe Bas avait salué des « propositions » budgétaires « plus favorables » de la part du gouvernement, mais avait fait de la « sous-consommation des crédits une préoccupation majeure. » L’examen du prochain budget à l’automne dira si les revalorisations salariales permettent de pallier ces manques dans l’utilisation des budgets alloués à la justice. « Espérons rester dans la dynamique des hausses ‘historiques’ dont se targue le garde des Sceaux tous les ans », conclut Agnès Canayer.

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